Cinéma: «Zinet, Alger, le bonheur», hommage à Mohamed Zinet

La Cinémathèque française, à Paris, propose vendredi 7 juin un hommage au comédien et cinéaste algérien Mohamed Zinet, disparu en 1995, avec plusieurs films, documentaires et fictions. Si la silhouette et la moustache de Zinet sont familières au public français, car il a tourné avec des réalisateurs renommés, quels souvenirs a gardés le public algérien de Zinet, auteur d’un seul long métrage dans son pays, « Tahia Ya Didou » ?

C’est sur ses traces qu’a enquêté Mohammed Latrèche, auteur de « Zinet, Alger, le bonheur », déjà projeté et récompensé dans plusieurs festivals.

On se souvient de l’Algérien justicier qui fait irruption avec un fusil à canon scié dans le bistrot où officie le raciste Lajoie (Dupont Lajoie d’Yves Boisset).

On se souvient aussi de Kadir Youssef, le fragile souteneur venu implorer madame Rosa (dont « tous les faux papiers sont en règle ») de lui présenter le fils qu’il lui avait confié bébé dans La vie devant soi de Moshé Mizrahi (1977)... Zinet, à l’exception du film Le Bougnoul de Daniel Moosmann (1975) dans lequel il est en haut de l’affiche aux côtés d’Élisabeth Huppert, c’est dans le cinéma français l’homme des apparitions.

« L’arabe de service du cinéma », grincent certains, raconte Mohammed Latrèche ; pas du tout répond Zinet, fier de son pays, l’Algérie, et de son indépendance, chèrement acquise et pour laquelle il s’est aussi battu dans les rangs du FLN.

Le film de Mohammed Latrèche est un carnet de route sur les traces à Alger de l’artiste Zinet.

Il mêle ses propres images de la Casbah, celles des manifestations du hirak qui occupaient les rues pendant le tournage du documentaire, celles des films dans lesquels a tourné Zinet, les entretiens réalisés avec ceux qui l’ont connu et travaillé avec lui, avec les protagonistes de son seul film algérien, Tahia Ya Didou, tourné au début des années 1970 comme son neveu, Redouane, petit bonhomme aux joues rondes et aux boucles rousses, comme l’ex-directeur de la Cinémathèque, Boudjemaâ Karèche auquel le réalisateur avait déjà rendu hommage dans un précédent documentaire, en 2021, Boudjemaâ et la maison cinéma, ou encore la Française Anne Papillon, tout à la fois muse et scripte.

« Inscrire Alger dans le monde »

« Tahia Ya Didou, ce n’est pas un film, mais une œuvre d’art », martèle Boudjemaâ Karèche.

Selon lui, Mohamed Zinet a évité tous les pièges cinématographiques, il n’a mis dans son film « que du Zinet », explique-t-il avec truculence. Avec ce film, il a réussi à « inscrire Alger dans le monde ». Un film au départ de commande des autorités d’Alger qui devait vanter une capitale s’inscrivant dans la modernité, et dont Zinet, s’affranchissant du cadre imposé, fit une ode à la casbah et au petit peuple d’Alger.

Une fantaisie, une poésie et une liberté de ton qui expliquent sans doute la modeste distribution du film, presque exclusivement à la télévision, sa quasi-disparition – une copie restaurée a néanmoins été retrouvée par Mohammed Latrèche au CNC algérien -, et in fine la grande déception de Mohamed Zinet qui partira travailler en France.

Un artiste inclassable

Né en 1932, enfant de la casbah d’Alger, très tôt Zinet est attiré par les planches, raconte Mohammed Latrèche : il crée au théâtre des personnages souvent iconoclastes, parfois irrévérencieux comme Tibelkachoutine qui met à mal la geste de la guerre d’indépendance.

Le refus des autorités algériennes de lui permettre d’adapter au cinéma son personnage de Tibelkachoutine qui égratigne tant la soldatesque française que ses frères d’armes pendant la guerre d’indépendance, sera un coup dur pour Zinet qui rêve de septième art.

Ses armes de cinéma, il les fera notamment en secondant Gillo Pontecorvo sur le tournage de La bataille d’Alger en 1965, Lion d’Or au festival de Venise en 1966. Zinet met notamment en scène les scènes de foule, « les plus réussies du film » selon Mohammed Latrèche.

Il travaille également avec le cinéaste breton René Vautier.

Solidaire de la cause algérienne, ce dernier a plusieurs fois illustré la guerre de libération, notamment dans le documentaire Algérie en flammes, tourné en 1957 dans le maquis des Aurès.

René Vautier fait tourner Zinet dans deux moyens métrages présentés aussi lors de cet hommage à la Cinémathèque : le tendre Les ajoncs et l’implacable Les trois cousins (tous deux en 1969), un « fait divers », entre documentaire et fiction sur la vie des Algériens, Portugais, Marocains, Bretons dans les bidonvilles de la ceinture parisienne.

On retrouve dans plusieurs séquences des clins d’œil au personnage de Charlot, dans le regard d’enfant étonné de Zinet, dans ses mimiques, dans le personnage du gendarme – interprété par Vautier – dans Les ajoncs, auquel fait écho la poursuite des enfants par le policier dans Tahia Ya Didou. « Pour raconter le triste, fais du Charlot », écrivait Vautier dans sa profession de foi Caméra citoyenne. Une leçon que Zinet retiendra du cinéaste breton.

Que reste-t-il de la casbah et du cinéma de Zinet ?

« Casbah, dis-moi pourquoi mes amis t’ont désertée et moi, je suis resté seul à tourner dans tes ruelles », peut-on encore lire sur un mur de la vieille ville. Un poème récité par Momo au début du film Tahia Ya Didou.

Que reste-t-il de la casbah et du cinéma de Mohamed Zinet ?

Beaucoup de ruines et de nostalgie si l’on en croit Redouane, l’enfant qui dévalait les escaliers blancs de la vieille ville dans le film de Zinet, ou encore Djamel le collectionneur, rencontré au hasard des rues, qui fait visiter son musée des souvenirs, un « caveau », nous dit Latrèche, où s’entassent les images de ce qui n’est plus.

La casbah, Alger était une ville dans laquelle les gens étaient vivants, heureux, raconte encore Redouane, devenu un adulte désabusé qui ne peut plus regarder le film de son oncle Zinet sans avoir envie de pleurer.

Une ville frondeuse et poète à l’image de Momo, le génie de la Casbah, principal personnage de ce film inclassable.

Avec son documentaire, Mohammed Latrèche voulait « rendre à Alger ce qui appartient à Zinet et rendre à Zinet ce qui appartient à Alger ». Il nous fait découvrir un cinéaste et poète, un écorché vif qui rêvait de cinéma et s’est durement frotté aux impératifs d’une geste nationale à construire et à sa langue de bois. Et il veut croire que l’esprit de Zinet, qui est aussi celui du hirak, n’est pas mort.

rfi

You may like