Législatives 2024 : les faux-semblants du Rassemblement national

Entre reculs programmatiques, mesures anti-sociales et candidats racistes et antisémites, le Rassemblement national n’apparaît pas comme le parti qu’il prétend être : à savoir une formation politique « prête à gouverner », œuvrant pour les classes populaires et ayant fait le ménage dans ses rangs. Tour d’horizon des faux-semblants du parti d’extrême droite de Jordan Bardella et Marine Le Pen.

Après de nombreuses hésitations et une longue attente, Jordan Bardella et le Rassemblement national (RN) ont enfin présenté leur programme, lundi 24 juin, pour les élections législatives anticipées (30 juin et 7 juillet).

Le parti d’extrême droite est aux portes du pouvoir après la dissolution de l’Assemblée nationale décidée le 9 juin par Emmanuel Macron.

Ce soir-là, avec 31,37 % des voix, le RN avait remporté un large succès aux élections européennes, devançant nettement la liste de la coalition présidentielle (14,6 %). Les sondages le placent à nouveau en tête du scrutin législatif, mais cette fois-ci dans un match avec le Nouveau Front populaire.

Travaillant depuis plusieurs années à sa dédiabolisation et à sa normalisation, le Rassemblement national est toutefois loin d’être le parti qu’il prétend être : ses renoncements, ses mesures à destination des classes moyennes et populaires et le profil de certains de ses candidats montrent en effet de nombreux faux-semblants.

Plusieurs renoncements ou reculs dans le programme
« Je le dis solennellement à nos compatriotes : le Rassemblement national est aujourd’hui le seul mouvement à pouvoir mettre en œuvre dès maintenant et raisonnablement les aspirations clairement exprimées par les Français. En trois mots, nous sommes prêts », a affirmé Jordan Bardella, qui aspire à devenir Premier ministre, lors de la présentation de son projet à Paris.

Une affirmation à prendre avec des pincettes tant le RN a habitué ses électeurs aux virages à 180° – il prônait jusqu’en 2018 la sortie de la France de l’Union européenne et de l’euro – et son programme a fait l’objet de tergiversations ces derniers jours.

Depuis le début de la campagne express des législatives, plusieurs mesures présentes en 2022 dans le programme présidentiel de Marine Le Pen ont ainsi été supprimées ou modifiées.

Alors que l’ancienne députée du Pas-de-Calais proposait de supprimer la TVA sur une centaine de produits de première nécessité pour améliorer le pouvoir d’achats des Français, Jordan Bardella n’entend pas appliquer cette mesure dès cet été et la remet à un second temps, à partir de l’automne, « en cas de forte inflation ». Dans l’urgence, seuls les carburants, l’électricité et le gaz seront concernés par une baisse de la taxe sur la valeur ajoutée à 5,5 %.

Autres renoncements par rapport au programme présidentiel de 2022 : l’interdiction de l’abattage rituel (nourriture halal et casher) et l’interdiction des signes religieux ostensibles dans l’espace public. Avec cette dernière mesure, c’est bien le voile porté par des femmes musulmanes qui était visé, mais une telle interdiction supposait d’en faire de même pour la kippa portée par des hommes juifs. Or, dans un contexte où le Rassemblement national tente de se présenter comme un parti défenseurs des juifs, il est apparu compliqué de bannir le port de la kippa dans l’espace public.

Cette question sera tranchée lors de la présidentielle 2027, a affirmé, dimanche 23 juin, Sébastien Chenu.

Par ailleurs, un certain flottement est apparu ces derniers jours concernant plusieurs mesures, dont l’abrogation de la réforme des retraites de 2023, les prix planchers pour les agriculteurs ou l’augmentation salariale des enseignants. Ces trois propositions figurent finalement bien dans le programme de Jordan Bardella, mais sont édulcorées ou évasives.

Pour les retraites, il est question d' »abroger la réforme des retraites de Macron » et de « mettre en place un système de retraites progressif, qui incite les jeunes à entrer de manière précoce sur le marché du travail et prend en compte la pénibilité réelle des emplois faiblement qualifiés ».

Aucun âge légal de départ et aucune durée de cotisation ne sont évoqués dans le document, mais Jordan Bardella a affirmé lundi que « les Français qui ont commencé à travailler avant 20 ans, qui justifient de 40 annuités, pourront partir à la retraite dès 60 ans ». « Pour les autres, une progressivité sera mise en œuvre (…) avec un âge légal de 62 ans et un nombre d’annuités allant jusqu’à 42 années de cotisations », a-t-il précisé.

Pour les agriculteurs, il est proposé de « garantir des prix rémunérateurs », sans aucune autre précision. Même chose pour les enseignants, pour lesquels le Rassemblement national propose de « revaloriser le métier (…) du recrutement à la fin de la carrière », mais sans donner le moindre chiffre.

Des classes moyennes et populaires perdantes
Le Rassemblement national cible les classes moyennes et populaires avec un discours axé sur le pouvoir d’achat et la disparition des services publics dans de nombreuses zones rurales. Une stratégie qui lui réussit bien puisque que le parti fondé par Jean-Marie Le Pen est arrivé en tête aux élections européennes dans 93 % des communes rurales.

Mais au-delà des discours, les mesures proposées par le RN vont finalement peu dans le sens de ces catégories. Jordan Bardella a notamment reculé sur la suppression de la TVA sur les produits de première nécessité (voir plus haut), qui constituait pourtant la principale mesure du partie d’extrême droite sur le pouvoir d’achat – seule la TVA sur les carburants, l’électricité et le gaz sera baissée à 5,5 %.

Quant aux salaires, le RN ne prévoit pas d’augmentation du smic, mais compte les revaloriser grâce à « une incitation forte » en permettant aux entreprises de les augmenter « de 10 % jusqu’à trois fois le smic, en les exonérant de l’augmentation des cotisations patronales pendant trois à cinq ans ».

Une mesure similaire à ce que font déjà depuis plusieurs années les gouvernements d’Emmanuel Macron, qui a pour politique d’augmenter le salaire net des Français en réduisant les cotisations salariales et patronales. Cette méthode entraîne une baisse des recettes de l’État et en particulier du financement de la sécurité sociale, des caisses de retraite et des allocations familiales, provoquant par ricochet une dégradation du système de santé, un déficit du système des retraites et des allocations en baisse ou restreintes, avec des conséquences négatives pour les classes moyennes et populaires.

Or, Jordan Bardella a insité sur ce point : il lancera dès l’été un « audit des comptes de la nation », accusant Emmanuel Macron d’avoir mis « en quasi faillite les comptes publics depuis sept ans ».

« Nous entendons ramener le pays à la raison budgétaire en réalisant les économies qui permettront de financer l’intégralité des mesures de pouvoir d’achat », a-t-il ajouté. Un discours qui laisse entrevoir un serrage de vis budgétaire plutôt qu’un investissement dans les services publics, d’autant que le programme du RN n’entend pas compenser ses nouvelles dépenses, en matière de sécurité notamment, par de nouveaux impôts ciblés sur les plus aisés.

« S’ils prévoient d’ouvrir de nouveaux commissariats et brigades de gendarmerie, Marine Le Pen et Jordan Bardella portent un programme de démantèlement des services publics dans tous les autres domaines, notamment en matière de santé, d’éducation ou de transports », écrivent ainsi Louis-Samuel Pilcer, maître de conférences en économie à Sciences-Po Paris, Francis Soulas, haut fonctionnaire, et Riwan Yahmi, agrégé d’économie et de gestion, dans une note publiée lundi 24 juin par l’Observatoire de l’économie de la Fondation Jean Jaurès.

Des candidats au profil sulfureux loin de la respectabilité recherchée par le RN
Le Rassemblement national a beau tout faire pour se présenter comme un parti respectable et tenter de faire oublier son étiquette d’extrême droite, plusieurs de ses candidatures sont épinglées à chaque élection. C’est à nouveau le cas en 2024 : des enquêtes journalistiques, de Libération et Mediapart notamment, ont révélé la présence aux élections législatives des 30 juin et 7 juillet de candidats du Rassemblement national racistes, antisémites et complotistes.

Ainsi, Mediapart révèle que l’ex-député de l’Aisne Jocelyn Dessigny, candidat à sa réélection, a posté sur son compte Facebook une photo de lui portant un tee-shirt du groupe de rock In memoriam, connu des néonazis pour avoir repris un chant de marche de la Jeunesse hitlérienne, La Colonne.

Alors que le RN se présente comme un parti combattant l’antisémitisme, il a de nouveau investi à Paris Agnès Pageard qui appelait, en février 2021 sur son compte X, selon Libération, à « relire Henry Coston » (1910-2001), un essayiste collaborationniste connu pour son antisémitisme et son antimaçonnisme.

Même problème en Gironde avec la conseillère municipale RN de Pineuilh Sandrine Chadourne, habituée des « likes » de pages antisémites, « comme celle du journal Rivarol ou du site Jeune nation, vitrine du mouvement néofasciste Les Nationalistes », indique Libération.

Autre exemple : Anne Sicard, candidate RN dans le Val-d’Oise et responsable du fonds de dotation de l’institut Iliade, « l’une des plus actives structures identitaires, fondée par des figures historiques de la mouvance », relate Libération, qui ajoute que cette structure « a armé idéologiquement des générations de suprémacistes blancs avec ses colloques et séminaires pontifiant sur le ‘grand remplacement' ».

« Le parti de Jordan Bardella et Marine Le Pen a beau affirmer qu’il a changé, qu’il a écarté ses éléments les plus radicaux et qu’il se prépare depuis des années à accéder au pouvoir, rien n’y fait », affirme Mediapart, qui comptabilisait, vendredi 21 juin, 45 candidats jugés problématiques en raison de leurs publications sur les réseaux sociaux.

france24

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