Arrivé en tête des élections législatives avec une courte avance, le Nouveau Front populaire espère voir le prochain Premier ministre nommé dans ses rangs. Et sans majorité absolue, il a avancé l’idée de faire passer une partie de son programme par décret. Une possibilité prévue par la Constitution, mais qui reste en réalité très limitée. Explications.
Il n’y aura « aucune négociation », « le NFP appliquera son programme, rien que son programme, mais tout son programme […]. Dès cet été, les mesures prévues par ce programme peuvent être prises par décret, sans vote », a assuré le leader de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, dès le soir du 7 juillet.
Nous aurons un ou une Premier ministre du Nouveau Front Populaire.
Nous pourrons décider de nombreuses choses par décrets.
Sur le plan international, il faudra s'entendre pour reconnaître l'État de Palestine.#VictoireNFP pic.twitter.com/XYkzTk0zS4
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) July 7, 2024
Avec 182 députés élus, le Nouveau Front populaire est devenu la première force de l’Assemblée nationale.
Depuis, et même si le président de la République a décidé de maintenir Gabriel Attal dans ses fonctions pour le moment, la gauche revendique Matignon et promet de fournir prochainement un nom pour le poste de Premier ministre.
Mais sans une majorité absolue de 289 députés et avec un Hémicycle désormais divisé en trois blocs distincts, ce dernier peinerait certainement à faire adopter ses lois à l’Assemblée nationale.
Pour contourner ces blocages, le leader de la France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon, a donc évoqué dimanche la possibilité de gouverner par décret pour faire passer les principales mesures de son programme. Parmi elles, l’abrogation de la réforme des retraites, l’augmentation du Smic ou encore le blocage des prix.
Le prérequis : obtenir Matignon
« Avant tout, le premier prérequis, c’est qu’un Premier ministre soit effectivement nommé dans les rangs du Nouveau Front populaire », note Bruno Daugeron, Professeur de droit public à l’Université Paris Cité, rappelant que rien ne le garantit à l’heure actuelle.
Théoriquement, le président de la République a en effet le pouvoir de nommer qui il veut à Matignon.
Sa seule obligation, c’est que le candidat choisi doit pouvoir obtenir le soutien de la majorité des députés. Or, avec une majorité relative, le NFP ne peut pas le garantir. Pire encore, alors que l’idée d’une alliance avec LFI a souvent été vivement décriée ces dernières semaines dans les rangs de la majorité, le choix d’un candidat insoumis – pourtant la principale représentation du NFP dans l’hémicycle – risquerait d’entraîner immédiatement une motion de censure. À l’heure des tractations à gauche comme à droite, plusieurs scénarios semblent se dessiner.
Un champ d’action limité
Si le Premier ministre est effectivement choisi par Emmanuel Macron dans les rangs du NFP, jusqu’où un gouvernement peut-il agir par décret ?
« Dans la Constitution de 1958, la loi ne fait pas tout. Elle concerne certains domaines : les plus importants, comme le droit de vote, la finance, la défense. Tout le reste est du domaine réglementaire et peut se décider par décret », explique le constitutionnaliste. « C’est un grand domaine, car il concerne de nombreux sujets, mais assez faible, puisqu’il ne touche pas aux plus primordiaux. »
Dans le détail, il faut lire deux articles de la Constitution de pair – les 34 et le 37.
Le premier rassemble une liste de sujets dans le domaine d’application de la loi, comme les droits civiques, la nationalité, le code pénal, mais aussi les principes fondamentaux du droit du travail, de la sécurité sociale ou encore les lois de financement. Le second prévoit que tout ce qui ne relève pas de ce champ d’application peut effectivement être adopté par décret, c’est-à-dire en se passant d’un vote à l’Assemblée, sous la prérogative du Premier ministre.
« La marge de manœuvre est donc déjà limitée », résume Bruno Daugeron, « et ne pourra pas concerner de grandes réformes de fond ».
La loi l’emporte sur le décret
Autre frein : dans la hiérarchie des normes, une loi est toujours supérieure à un décret, rappelle le constitutionnaliste. Impossible donc de modifier une loi par un simple décret.
« On peut en revanche la bloquer en ne publiant pas ses décrets d’application », poursuit-il. « Mais là encore, cela a une limite : les députés pourraient se retourner contre le gouvernement pour la non-application de la loi avec une motion de défiance. »
Dernier obstacle : « Certains décrets sont décidés en concertation avec le Président de la République, qui y appose lui aussi une signature », explique le spécialiste. « Ces dernières années, ce procédé s’est généralisé, complexifiant encore la marge de manœuvre du Premier ministre. D’autant plus que le droit prévoit que pour revenir sur un texte signé par le Président et le Premier ministre, les deux doivent donner leur accord. » Un paramètre qui pourrait particulièrement poser problème en cas de cohabitation.
Abroger la réforme des retraites ?
Alors concrètement, quelles seraient les marges de manœuvre du NFP s’il accédait à Matignon ? Pourrait-il effectivement abroger la réforme des retraites ?
« C’est un vrai imbroglio », résume Bruno Daugeron.
« Et tout dépend de ce qu’on entend par ‘réforme des retraites’. En théorie, si on parle de la limite d’âge à 64 ans, alors c’est certainement possible. Car si le principe de l’âge en général dépend de la loi, la limite d’âge – par exemple passer de 62 à 64 ans – dépend du décret. »
Seul problème : dans le cadre de la réforme des retraites de 2023, « la loi est intervenue pour légiférer sur ce sujet normalement réglementaire », poursuit-il. Le gouvernement a en effet choisi l’an dernier de passer par la loi pour fixer l’âge de départ à 64 ans, puisque ce paramètre s’insérait dans une loi budgétaire. « Or, comme nous l’avons vu, il n’est pas possible d’abroger par décret une disposition législative. Seule une loi peut défaire une loi. »
Avant de revenir à 62 ans, « le gouvernement devrait donc avant toute chose saisir le Conseil constitutionnel pour obtenir que cette question sorte du domaine de la loi », termine-t-il. « Mais il n’est pas obligé de le faire. »
Il serait cependant toujours possible d’agir sur d’autres dispositions de la loi qui, elles, renvoient bien à des mesures réglementaires. Il s’agit de certains paramètres de la mise en application de la réforme des retraites comme « les critères de pénibilité de certains emplois, un plafond minimal des pensions », ou diverses « données quantitatives ».
En revanche, la revalorisation du smic annoncée parmi les premières mesures du NFP pourra effectivement se faire par décret.
Le point d’indice pour les fonctionnaires aussi. « Même si à terme, il faudra aussi une loi de finance rectificative », termine Bruno Daugeron. Il faudra alors présenter le texte devant l’Assemblée nationale, obtenir une difficile majorité ou recourir au 49-3.
Cet article de la Constitution permettant au gouvernement de faire passer un texte sans vote, en engageant sa responsabilité, a été utilisé 23 fois en un an par la Première ministre Élisabeth Borne, provoquant l’ire de la gauche. C’est ce même article qui avait été utilisée pour faire passer la réforme des retraites en mars 2023…
france24