Hausse du Smic en France: cinq questions pour comprendre les enjeux d’un débat électrique

Photo prise le 18 janvier 2006 de fiches de salaire. AFPPHOTO MYCHELE DANIAU

C’est l’une des propositions marquantes du Nouveau Front populaire qui a promis de relever le salaire minimum mensuel de 200 euros net alors qu’il aspire à gouverner après être arrivé en tête aux législatives. Si la mesure divise profondément le monde politique et inquiète les patrons, les économistes ne la voient pas forcément d’un mauvais œil. RFI fait le point sur les potentielles implications d’un Smic à 1 600 euros.

■ Que propose le Nouveau Front populaire ?
C’est l’une des mesures phares du Nouveau Front populaire. La coalition de gauche formée à l’occasion des élections législatives anticipées a promis pendant sa campagne qu’elle ferait passer le Smic à 1600 euros net en cas de victoire. Le Smic étant fixé à 1398,20 euros nets, la mesure entraînerait donc une hausse d’un peu plus de 200 euros mensuels du salaire minimum en France, soit une augmentation de 14,4%.

En France, le Smic est automatiquement revalorisé chaque 1er janvier, selon l’évolution de l’indice des prix à la consommation qui est calculé tous les mois par l’Insee, rappelle le chercheur en droit social Pascal Caillaud sur le site des Surligneurs.*

Si, en cours d’année, cet indice subit une hausse d’au moins 2% par rapport à celui constaté en début d’année, un arrêté doit relever le salaire minimum dans la même proportion le mois suivant. Outre ces augmentations obligatoires, le gouvernement peut décider de le revaloriser : le fameux « coup de pouce » promis par le NFP.

Pour les entreprises, une augmentation de 14,4% représenterait un coût supplémentaire de 530 à 550 euros par mois et par salarié au Smic.

Bien conscient que certaines PME-TPE auront des difficultés à appliquer cette hausse du Smic, le NFP prévoit des mécanismes de prêt à 0% sur un ou deux ans, un fonds de solidarité ou encore un dispositif de crédit à taux négatif pour aider ces entreprises en attendant que « les effets vertueux de la hausse générale des salariés se fassent sentir ». Le financement de ces programmes d’aide n’a, quant à lui, pas été précisé.

■ Qui est concerné par la proposition ?
En 2023, près de 17% des salariés français étaient rémunérés au Smic, un chiffre en constante augmentation depuis 2021, où ils n’étaient que 12%. Cela représente 3,1 millions de salariés.

L’impact de cette hausse sera cependant très différent en fonction du domaine d’activité et de la taille des entreprises. « Une entreprise qui a un assez fort pouvoir de marché, parce qu’elle a peu de concurrents par exemple, pourra assez aisément reporter cette hausse sur le consommateur en augmentant ses prix et sans subir un effondrement de la demande, remarque Éric Dor, directeur des études économiques à l’Ieseg School of Management.

Une entreprise qui réalise de très grosses marges bénéficiaires pourra également absorber le choc en réduisant ses bénéfices tout en restant dans une situation confortable. Mais il y a aussi toutes celles qui sont déjà tout juste au seuil de rentabilité et qui ne pourront pas absorber une hausse aussi forte du coût salarial. On pense surtout bien sûr aux TPE-PME. » La France compte 159 000 petites et moyennes entreprises.

■ Quels précédents en France ?
La France est le sixième pays de l’Union européenne avec le salaire minimum le plus important, selon l’agence Eurostat. Elle est aussi celui où la hausse a été la plus faible en dix ans. Mis à part ces revalorisations automatiques imposées par la loi, la dernière augmentation remonte à 2012 avec l’élection de François Hollande. Elle est de 2% : +1,4%, au titre de l’inflation de façon anticipée et +0,6% de « coup de pouce ».

Une hausse de plus de 14% serait sans précédent depuis 1981, et les +10% accordés par la gauche arrivée au pouvoir avec François Mitterrand. Depuis, elle n’a jamais excédé les 4%. Seuls deux présidents n’ont pas revalorisé le Smic à leur arrivée à l’Élysée : Nicolas Sarkozy en 2007 et Emmanuel Macron en 2017.

■ Pourquoi cette proposition inquiète-t-elle tant ?
Augmenter le Smic revient à augmenter le coût du travail, les entreprises françaises seraient ainsi contraintes à une augmentation de leurs dépenses, ce qui pourrait impliquer une potentielle destruction d’emplois, voire la disparition de certaines entreprises. Selon le Premier ministre Gabriel Attal, faire passer le Smic à 1 600 euros pourrait détruire près de 500 000 emplois.

Un Smic fixé à 1600 euros net par mois aurait un effet indéniable sur le marché du travail, mais il n’y a pas de consensus sur la question de la part des économistes. Éric Heyer, économiste à l’Observatoire français des conjectures économiques, a estimé auprès de l’AFP que près de 322 000 emplois pourraient être menacés par une telle hausse.

Mais d’autres effets induits par l’augmentation du salaire minimum pourraient largement venir compenser ce chiffre.

Le premier est l’augmentation de la consommation générée par la hausse des salaires. « Quand la demande des entreprises augmente, elles embauchent », ce qui pourrait générer 142 000 emplois, selon Éric Heyer.

La seconde est une baisse des cotisations sociales qui découleraient des mesures d’allégement de charges en vigueur dans le système français sur les salaires proches du Smic.

« Il y a un mécanisme automatique : augmenter le Smic augmente les exonérations sur les salaires qui sont au-dessus », expliquait l’économiste Michaël Zemmour sur l’antenne de RMC. « Pour une entreprise qui a quelques salariés au Smic, d’autres un peu mieux payés, puis d’autres encore mieux payés, les coûts sont en fait en partie amortis par cet effet automatique des exonérations », a-t-il développé. Ainsi, « augmenter le Smic de 14% » n’équivaut « pas du tout à 14% d’augmentation pour les entreprises ».

Ces baisses de cotisations sociales, qui pourraient coûter 20 milliards d’euros au budget de l’État – 10 milliards pour les plus optimistes -, permettraient ainsi à beaucoup d’entreprises de faire des économies et ainsi de créer des emplois, jusqu’à 151 000, selon Éric Heyer. Soit 293 000 au total. Le nombre d’emplois qui pourraient être détruits par une hausse du Smic serait par conséquent limité à un peu moins de 30 000.

« Mais attention à ne pas surestimer l’impact positif de cette relance keynésienne », avertit Éric Dor. Dans une économie mondialisée et à l’heure où les consommateurs cherchent le meilleur prix, une augmentation des salaires et donc du pouvoir d’achat pourrait surtout profiter à des entreprises étrangères plus compétitives. Ce qui dégraderait davantage la balance commerciale française.

■ Quels exemples à l’étranger ?
Les chefs de file du Nouveau Front populaire défendent leur mesure phare en s’appuyant sur les pays voisins. La patronne des Verts, Marine Tondelier, cite ainsi le cas de l’Allemagne, où le salaire minimum a été augmenté de 22% en 2022, passant de 10,45 euros à 12 euros l’heure. Autre exemple : celui de l’Espagne, où le salaire minimum a été relevé de 54% en six ans, avec une hausse de 22% en 2019.

« Lorsqu’on regarde empiriquement – par exemple en Allemagne, en Espagne ou dans l’Ontario qui avait augmenté le salaire minimum en 2018 de 20% – on ne constate pas une baisse de l’emploi », appuie l’économiste Clément Carbonnier.

Là encore, ce constat est à relativiser.

« La hausse de 2019 en Espagne a été abondamment étudiée. On a observé tout de même une légère détérioration de l’emploi qui, comme toujours, a davantage affecté les femmes et les salariés âgés. Et, sans surprise, c’est dans le sud que l’effet négatif sur l’emploi a été le plus fort », relève l’économiste Éric Dor.

rfi

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