Douala — Grâce aux progrès réalisés dans la lutte contre le VIH/sida ces dernières années, l’espérance de vie moyenne en Afrique subsaharienne est passée de 56,3 ans en 2010 à 61,1 ans en 2023.
Tel est, entre autres, ce qui ressort du rapport mondial sur le VIH/sida en 2023 publié ce 22 juillet 2024 par le Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida (ONUSIDA).
En effet, d’après ce rapport, environ 31 millions de personnes étaient sous traitement antirétroviral en 2023.
Un « succès » qui, du point de vue des auteurs du document, a réduit le nombre de décès liés à cette maladie à son plus bas niveau (630 000 personnes) depuis le pic de 2004 qui avait vu périr près de deux millions de personnes.
« Le poids de l’épidémie chez les enfants et adolescents est une faute morale pour nous tous. Chacun doit se poser la question de savoir comment il peut ou il va faire pour apporter sa modeste contribution pour inverser la tendance »Fogué Foguito, Positive Generation
Pour Anne-Claire Guichard, conseillère principale en matière de politique à l’ONUSIDA, « le traitement lié ou intégré de la tuberculose et du VIH pour les personnes vivant avec le VIH et la tuberculose, par exemple, a permis d’éviter environ 6,4 millions de décès entre 2010 et 2022 ».
Interrogée par SciDev.Net, cette dernière qui est l’un des auteurs de ce rapport, fait savoir que les progrès qui ont permis d’aboutir à ce résultat se déclinent sous plusieurs aspects de la lutte contre la maladie.
Par exemple, « entre 2010 et 2023, l’Afrique orientale et australe a enregistré une réduction de 59 % et l’Afrique occidentale et centrale une réduction de 46 % du nombre annuel de personnes ayant le VIH », dit-elle.
Ajoutant que « la baisse globale de 39 % des nouvelles infections par le VIH dans le monde est principalement due aux progrès réalisés en Afrique subsaharienne ».
Anne-Claire Guichard relève aussi que neuf pays, dont sept en Afrique, ont déjà atteint les trois objectifs 95-95-95[1] fixés pour l’année 2025. Il s’agit de l’Arabie saoudite, du Botswana, du Danemark, de l’Eswatini, du Kenya, du Malawi, du Rwanda, de la Zambie et du Zimbabwe.
Dans le même temps, à l’échelle mondiale, parmi toutes les personnes vivant avec le VIH, 86 % connaissaient leur statut sérologique, 77 % avaient accès à un traitement et 72 % avaient une charge virale indétectable en 2023.
Nouvelles personnes infectées
Pour autant, malgré ces efforts, certains chiffres continuent d’interpeler. Ainsi, le nombre de nouvelles personnes infectées en Afrique subsaharienne demeure élevé. Soit 640 000 sur les 1,3 million enregistrés dans le monde en 2023. Tandis que sur les 630 000 personnes décédées de la maladie en 2023, 390 000 étaient originaires d’Afrique subsaharienne.
Le rapport indique aussi que pour la même année, 20,8 millions de personnes en Afrique orientale et australe et 5,1 millions en Afrique occidentale et centrale vivent avec le VIH/sida respectivement . Ce qui fait que 25,9 millions de personnes sur les 39,9 millions de personnes vivant avec la maladie se trouvent en Afrique subsaharienne.
C’est dire si malgré les avancées, les chiffres relatifs à la maladie restent importants dans le monde et toujours plus élevés en Afrique que partout ailleurs. Aux yeux de certains experts, cette situation s’explique…
Pour Eric Delaporte, médecin infectiologue et directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), « il ne faut pas oublier que l’Afrique a été et de loin le continent le plus affecté et pour lequel les challenges étaient les plus importants à surmonter ».
Le chercheur attire ensuite l’attention sur le fait que le traitement du VIH/sida est un traitement à vie. Par conséquent, les efforts sont faits sur le long terme avec une difficulté supplémentaire qui est le vieillissement des patients.
« Ils vont être confrontés à des pathologies liées à l’âge et/ou parfois aux effets secondaires du traitement, et pour lesquels il n’y a pas forcément accès à des traitements a fortiori gratuits. C’est encore un nouveau challenge à surmonter qui montre à quel point les efforts doivent être maintenus », argumente Eric Delaporte.
Effets de la COVID-19
Le chercheur français incrimine aussi les effets de la COVID-19, avec notamment, dit-il, les moyens réorientés vers cette maladie, des mesures drastiques de confinement avec des impacts « très négatifs » comme la rupture des intrants, la suspension d’activités, la difficulté d’accéder aux centres de soins etc.
Pour sa part, Fogué Foguito, directeur exécutif de l’ONG Positive Generation, une organisation de promotion de la santé et des droits humains au Cameroun, explique cette situation « par les difficultés d’accès aux soins et la faible capacité du système de santé en Afrique subsaharienne due aux facteurs socio-économiques tels que la pauvreté et les crises humanitaires ».
« Nous avons aussi des facteurs comme le stigma et la discrimination, notamment un environnement juridique et législatif qui n’encourage pas assez la protection et la promotion des droits humains notamment chez les personnes séropositives », dit-il.
A ces éléments s’ajoutent les obstacles financiers qui freinent la riposte au VIH/sida. « Environ 19,8 milliards de dollars étaient disponibles en 2023 pour les programmes de lutte contre le VIH dans les pays à revenu faible et intermédiaire, soit près de 9,5 milliards de dollars de moins que le montant nécessaire d’ici 2025 », relève Anne-Claire Guichard.
Pour ne rien arranger, « le financement de la lutte contre le VIH a diminué de 5 % entre 2022 et 2023, et de 7,9 % entre 2020 et 2023 », indique le rapport.
Enfants et femmes
Parmi les principales victimes de ces défaillances se trouvent les enfants et les femmes. Chaque semaine, apprend-on, 4 000 adolescentes et jeunes femmes âgées de 15 à 24 ans ont contracté le VIH dans le monde en 2023. Et 3 100 de ces infections sont survenues en Afrique subsaharienne.
A titre d’illustration, indique Anne-Claire Guichard, « en Afrique occidentale et centrale, un peu plus d’un tiers (35 %) des enfants vivant avec le VIH recevaient un traitement en 2023. La région abrite 20 % des femmes enceintes vivant avec le VIH dans le monde, mais près de la moitié d’entre elles (46 %) ne sont pas sous traitement ».
D’où l’analyse de Fogué Foguito : « le poids de l’épidémie chez les enfants et adolescents est une faute morale pour nous tous. Chacun doit se poser la question de savoir comment il peut ou il va faire pour apporter sa modeste contribution pour inverser cette tendance ».
Ce dernier regrette que la volonté politique réelle ne soit presque jamais « allée au-delà des discours et sommets dans les grands hôtels ou centres de conférences. »
Aussi le rapport recommande-t-il de mettre en place « une riposte durable ». Laquelle, décrit Anne-Claire Guichard, « doit être fondée sur des données, s’appuyer sur des systèmes nationaux intégrés solides garantissant un accès équitable aux services et aux innovations et s’appuyant sur une volonté politique, en plus d’être entièrement financée ».
Prévention
Ce d’autant plus que le rapport prévoit qu’il y aura toujours 30 millions ou 46 millions de personnes vivant avant le VIH/sida dans le monde en 2050 selon que les objectifs fixés pour 2025 ( à savoir moins de 370 000 infections par an) seront atteints ou pas.
Dans un communiqué de presse, le Fonds mondial de lutte contre le paludisme, le VIH/sida et la tuberculose insiste sur le fait que le rapport 2024 de l’ONUSIDA souligne la nécessité « urgente » d’accélérer les progrès en matière de prévention du VIH.
« La prévention doit être au premier plan de nos efforts. Pour lutter efficacement contre l’épidémie de VIH, nous devons éliminer les barrières qui entravent l’accès aux services de prévention, en particulier pour les populations marginalisées », peut-on lire.
Pour cette organisation, « un exemple prometteur d’innovation en matière de prévention est l’introduction et la distribution d’anneaux vaginaux à dapivirine (anneaux PrEP). Ces anneaux PrEP, qui libèrent des médicaments antirétroviraux, offrent aux femmes une méthode discrète et efficace de prévention du VIH ».
L’ONUSIDA pense qu’en agissant dès maintenant, les dirigeants du monde peuvent parvenir à éliminer le VIH/sida comme menace de santé publique d’ici 2030.
SciDev