Partout, à travers le monde, les multiples effets dévastateurs du terrorisme, tout autant que leurs nombreuses conséquences, sont bien documentes.
Cependant, l’insécurité qui perdure depuis des décennies au Sahel est un exemple des spécificités de son terrorisme : plus tribal et commercial qu’idéologique. C’est sa marque. Couvrant de nombreux États indépendants, la bande sahélienne s’étend d’est en ouest sur 3 300 km de long et du nord au sud sur 1 600 km de large.
Pendant des siècles, elle a été, et demeure toujours en grande partie une « terre libre » soit une région qui échappe largement au contrôle des gouvernements.
Cet environnement géographique sans frontières est très apprécié des groupes indépendants et des individus qui le parcourent. Liberté de mouvements pour tous et pour tout !
Le terrorisme, incorporé au Sahel
Présent dans la région, au moins depuis 2002, le terrorisme sahélien reste non seulement actif mais se déplace vers le sud, d’un État à l’autre, visant les littoraux de l’océan Atlantique. Tout cela malgré de nombreuses forces militaires opérant à tous les niveaux : national, bilatéral et multinational. Dès lors, deux questions s’imposent.
Premièrement, quelles politiques intérieures pourraient aider le Sahel à retrouver la stabilité passée et éviter ainsi le sort des pays où le terrorisme structurel est devenu partie intégrante de leur identité ?
Deuxièmement, que peuvent faire le Sahel, ses amis et la communauté internationale dans son ensemble pour mettre un terme à la dynamique tragique en cours ?
Plus que de nombreuses régions touchées par la violence, le Sahel offre un environnement des plus favorables au terrorisme où il a prospéré, s’est profondément enraciné et s’y développe continuellement. De vastes zones, peuplées et éloignées des contrôles gouvernementaux, attirent toutes sortes d’activités illégales, y compris les sources de financement du terrorisme.
Au-delà de la légalité des cartes officielles, les frontières internationales des États du Sahel n’ont aucune réalité effective et notamment pour les éleveurs et les agriculteurs ruraux. Deux voisins éternels mais souvent hostiles l’un a l’autre et qui, volontairement ou non, offrent une couverture aux groupes terroristes.
Ce contexte sociopolitique global, qui rappelle l’Afghanistan, la Somalie et le Yémen mais aussi la Libye et le Soudan d’aujourd’hui, est attirant pour la plupart des types d’activités illégales, y compris le terrorisme. Beaucoup moins administré et ouvert à toutes activités, il séduit les citoyens dépités, souvent soutenus par leurs communautés tribales, y compris ses agents dans l’état.
Les violences sanglantes au Sahel visent également à générer et entretenir une anarchie propice à l’expansion des commerces et des trafics illégaux. Bien que redouté et condamné au niveau international, le terrorisme au Sahel devient lentement mais irréversiblement partie intégrante de la vie ordinaire de la région.
De fait, celle-ci s’est également imposée comme une sorte d’opposition politique face à des gouvernances inefficaces et souvent discréditées.
Promoteur de facto de la libre circulation des personnes et de toutes sortes de commerces et d’échanges informels, le terrorisme sahélien est désormais profondément ancré dans toute la région. Son objectif est d’atteindre et de contrôler, par la force ou par des effets d’imitation, les Etats côtiers des Golfes de Guinée et du Bénin.
Dans ces environnements hasardeux et désespérés, de vastes flux migratoires explosent, au sein de la région mais de plus en plus vers les États-Unis et l’Europe.
Étroitement liées à la forte croissance démographique, à une urbanisation anarchique, à l’insécurité et aux pratiques de corruption des gouvernements, les économies nationales se trouvent alors plus affaiblies.
Ainsi, toutes les conditions se trouvent- elles réunies pour encourager, voire favoriser des flux migratoires durables : croissance démographique plus forte, économies plus faibles, exclusion sur des bases ethniques ou politiques, violences armées, etc. Même au sein des forces de sécurité, les jeunes soldats sont attirés par ces migrations massives, cherchant à se joindre au mouvement. On estime qu’environ 8 millions de migrants se trouvent au Sahel sur les 25 millions que compte le continent.
Dans ce contexte, au Sahel, le terrorisme se renforce de jour en jour. La poursuite du changement climatique, avec les sécheresses et les pluies hors saison et les côtes menacées, ne font qu’aggraver la situation sécuritaire.
Ces facteurs d’insécurité globale sont soit ignorés, soit pas considérés comme des menaces sérieuses. Ce qu’ils sont. La promotion d’une véritable bonne gouvernance, en particulier la lutte contre la corruption, la modernisation du secteur de la sécurité et la garantie d’une coopération efficace en matière de sécurité entre les États voisins, devraient figurer parmi les priorités réelles.
Une coopération tripartite efficace entre l’Europe – le Maghreb et les États d’Afrique de l’Ouest et centrale – est devenue une nécessité humanitaire et sécuritaire pour les trois régions. Sa mise en oeuvre devrait être leur priorité commune pour faire face à un terrorisme qui s’éternise. Aujourd’hui, après plus de dix ans, le terrorisme constitue une menace profonde et durable pour leurs politiques de développement économique et humain. Cela vaut également pour leurs relations avec l’Europe, les États-Unis et bientôt les États du Golfe.
Lutter contre le terrorisme éternel au Sahel
Depuis plus de onze ans, le terrorisme a prospéré dans la vaste zone sahélo-saharienne, approfondissant ses racines et s’étendant au sud vers les golfes de Guinée et du Bénin. Pire, il s’est transformé en une entreprise des plus rentables sous une bannière religieuse militante. Les armées locales et extérieures ont réussi à le combattre avec un succès technique, mais avec des résultats politiques limités.
De fait, à moins qu’elles ne conduisent à une stabilité politique durable, les victoires militaires ne mettront pas fin aux conflits armés. C’est précisément le dilemme actuel au Sahel.
Les gouvernements concernés, ainsi que la plupart des observateurs, s’accordent sur la réalité du lien : terrorisme – criminalité organisée. Le lien entre les économies illicites, expansions du terrorisme et les pratiques de corruption de nombreux gouvernements, revêt de plus en plus des dimensions transnationales. Les » trois C » : coopération – coexistence, convergence entre les deux, constituent malheureusement une complexe réalité sahélienne. Une réalité qui repose en grande partie sur la forte coalition de fait entre les « trois T » : transnationale criminalité, terrorisme, tribalisme.
La force, la sensibilité et la complexité croissantes, en particulier de ces trois C et trois T, dépassent désormais les capacités militaires des gouvernements nationaux.
Pire encore, elles échappent souvent aux attentes et à la compréhension des partenaires internationaux. Mettre un terme à ces détresses sociales, profondes et généralisées, consécutives au terrorisme mais qui aussi l’alimentent, est devenue de facto la priorité. À moins qu’elles ne soient corrigées, leurs impacts resteront destructeurs pour la viabilité même des pays.
En même temps, la vulnérabilité climatique augmente dans tout le Sahel, y compris dans ses États côtiers dont certains se trouvent au-dessous du niveau de la mer. Cette importante question n’a pas encore été exposée et correctement abordée. On espère que l’appel récent du nouveau gouvernement sénégalais à respecter le littoral et à mettre un terme à sa destruction donnera des résultats efficaces et servira d’exemple tangible dans la région.
L’expansion du terrorisme a également eu des effets dévastateurs sur l’agriculture et donc sur les revenus, en particulier des femmes des zones rurales.
Pourtant, la pénurie d’eau et la négligence dans sa gestion sont souvent sources de désespoir pour les populations. Même quand elle est disponible, elle constitue souvent une source permanente d’instabilité en raison des conflits entre les populations rurales : agriculteurs et éleveurs de bétail, souvent d’origines ethniques différentes.
Ce vieil antagonisme aggrave encore la situation sécuritaire pour tous. Pire, ces contextes volatiles et souvent violents, encouragent des administrations parallèles, informelles, nécessaires à l’enracinement du terrorisme. Ses représentants deviennent ainsi « disponibles pour répondre aux préoccupations des tribus locales. »
Cette « retribalisation » croissante du Sahel est souvent, volontairement ou non ignorée. Le recrutement de combattants du terrorisme ainsi que l’enrôlement de candidats à l’immigration vers les États-Unis et l’Europe sont financés par des tribus et des ethnies.
Les déplacements des jeunes ruraux vers les capitales constituent souvent la première étape avant de traverser les frontières vers des destinations d’outre-mer. Un résultat pervers de ces situations est que, plus elles perdurent, plus elles deviennent des « opportunités d’affaires » – politiques et économiques – pour de nombreux acteurs sociaux et politiques.
Tant que ces situations tangibles resteront ignorées ou impunies et mal gérées par les gouvernements nationaux, les organisations internationales et les ONG, la sécurité au Sahel ne fera qu’empirer. Les politiques de statu quo contribuent à l’ancrage profond du terrorisme. La violence armée, avec les attaques contre les citoyens nationaux et étrangers et la destruction des infrastructures vitales, en sont les conséquences et non les causes.
Pire, elles perpétuent aussi une image et une réalité de violence aveugle bien ancrée dans le Sahel.
In fine quelle sera la suite? La récente visite en Turquie de l’ancien président du Niger Youssoufou Mahmoudou, suivie immédiatement à Niamey d’une délégation ministérielle turque de haut niveau, annonce- t- elle une nouvelle ère de coopération en matière de sécurité et développement au Sahel ? Ou bien une nouvelle ère de guerre froide au Sahel ?
Quoiqu’il en soit, la violence armée profondément ancrée ou la rébellion islamiste, étroitement associée au Sahel, est une réalité destructrice. Plus cela dure, comme c’est le cas actuellement, plus il est temps de se poser la question : la violence enracinée au Sahel est-elle due uniquement au seul terrorisme ?
Centre 4s.