Elle n’a pas coutume de regarder sa vie dans le rétroviseur. Mais comment faire autrement quand on fête la même année ses 80 ans, ses 40 ans de mariage et ses adieux à la scène ? Depuis sa maison de Los Angeles, Sylvie se livre, sincère. Et nous offre un moment rare d’intimité. INTERVIEW PAR JEANNE BORDES
Le couple vient de rentrer d’une balade sur Beverly Drive avec le fidèle Muffin et Harlow, le chien de Darina, leur fille. Sylvie Vartan et Tony Scotti sont arrivés à Los Angeles en mars. Depuis, le temps y est aussi capricieux qu’en France. Mais leur villa blanche, aux allures romantiques, reflète la lumière. Sans rien d’ostentatoire, dissimulée dans la verdure, cette maison a tout de suite séduit Sylvie, il y a maintenant de nombreuses années.
Ici tout ramène à la douceur, à la famille.
On devine les éclats de rire des enfants, petits-enfants et même arrière-petitsenfants autour de la piscine. On ressent une harmonie que rien ne vient troubler. Les murs semblent n’avoir que de belles histoires à conter.
GALA : Que ressentez-vous lorsque vous posez vos bagages dans votre maison de Californie ?
SYLVIE VARTAN : Les Etats-Unis ont toujours été bénéfiques pour moi. Ils me permettent de prendre de la hauteur. Ici, je ne suis plus dans le vertige d’une vie qui me plaît, bien sûr, puisque je l’ai choisie, mais qui est un peu trop volcanique. J’ai besoin du calme de cet endroit pour réfléchir. Et puis, vous voyez tous ces livres dans la bibliothèque, eh bien je n’ai encore pas trouvé le temps de les lire ! Ils m’attendent…
GALA : Cette maison est-elle un refuge pour vous ?
S. V. : Depuis que j’ai vendu celle de Loconville [un manoir acheté avec ses premiers cachets dans le Vexin, et où les siens sont inhumés, ndlr], il y a déjà très longtemps, celle de Los Angeles a pris le relais.
D’abord ma mère se sentait très bien ici.
Et c’est devenu la maison de l’amour, du bonheur, des enfants… Je suis partie vivre aux Etats- Unis quand David a commencé l’école, pour qu’il échappe au tourbillon des médias et de toute cette curiosité galopante. Je voulais qu’il ait une vie normale. Puis Tony est entré dans ma vie, David avait 13 ans, et on a acheté cette maison ensemble.
GALA : Adoptez-vous un rythme californien : yoga, longueurs de piscine, jogging, cuisine végane… ?
S. V. : Je ne m’impose aucune obligation, si ce n’est celle de nager, ce qui est une prouesse parce que je n’aime pas tellement ça. Mais je dois me mettre en forme pour mes deux heures trente de spectacle à venir.
GALA : Le 2 juin, avez-vous fêté vos 40 ans de mariage avec Tony ?
S. V. : La fête, c’est tous les jours à ses côtés mais oui, nous sommes allés dîner au restaurant tous les deux. Chose rare car ici, contrairement à Paris, nous sortons très peu de la maison.
GALA : A propos de Tony, vous nous avez dit, un jour, qu’il était plus qu’un mari, qu’il est de votre sang… S. V. : Exactement. Tony, c’est mon tout. Et plus les années passent, plus c’est fort. C’était déjà complètement fou au début et, même si les choses changent avec le temps qui passe, l’amour demeure toujours aussi intense, inconditionnel, inébranlable… Et puis, quarante ans, dans nos métiers, on n’est pas loin d’entrer dans Le Livre Guinness des records ! [Elle rit.]
GALA : Vous l’avez rencontré en 1981, au cours d’un festival au Japon. C’était juste un an après votre divorce d’avec Johnny. Vous souvenez-vous de ce qui vous a immédiatement attirée en lui ?
S. V. : Je m’en souviens comme si c’était hier ! Il y a eu l’attirance physique, bien sûr, mais j’ai aimé sa curiosité des autres, son humanité et puis, on a beaucoup ri pendant les dix jours qu’a duré le festival. Tony est très sociable. Le contraire de moi, qui suis timide et assez réservée. C’est d’ailleurs pour cela que je fais ce métier car, sur scène, comme un alibi, je peux me permettre d’être différente, d’oser.
GALA : Avec Johnny, vous aviez connu des joies, mais également des souffrances. Quand vous avez rencontré Tony, il était marié. N’avez-vous pas craint de souffrir encore ?
S. V. : Non. Je suis assez instinctive. Je ne sais pas d’où cela vient mais je ressens les maisons, les vibrations des gens… Dès le premier regard que je pose sur quelqu’un, je sens, je sais. Et avec Tony, j’ai immédiatement su.
GALA : David avait 13 ans à l’époque. Puis, ensemble, en 1997, vous avez adopté Darina. Comment s’est-il révélé en tant que père ?
S. V. : Il a été merveilleux. Il était fait pour ça. Tony est quelqu’un vers lequel même des adultes viennent prendre conseil. Il porte bonheur, il est naturellement bon, généreux, joyeux, toujours positif. C’est quelqu’un qui ne m’a jamais déçue. Vous savez, je pense que dans la vie, malgré tout, il faut avoir un peu de chance. Et Tony, c’est ma chance !
GALA : Sans lui, votre vie aurait-elle été différente ? Auriez-vous eu autant le goût du bonheur ?
S. V. : C’est difficile d’imaginer ce que cela aurait pu être mais non, je ne pense pas. A la mort de maman, sa présence à mes côtés a été salvatrice. Tony, c’est une bouée. Avec lui, je me sens protégée. Et le regard qu’il pose sur moi m’est nécessaire. Son approbation aussi.
GALA : Est-il le seul pour lequel vous n’avez aucun secret ?
S. V. : On a toujours des secrets, mais oui, il sait tout de moi. Et je le connais par coeur. Quand on aime les gens, on les connaît parfaitement. Après mon divorce, je n’envisageais pas de me remarier un jour. Et je pensais impossible de rencontrer quelqu’un de compatible. Ne serait-ce que par rapport à mon métier, il est difficile de trouver quelqu’un de sincère. Bref, il fallait qu’il coche tellement de cases que cela semblait irréalisable ! Et la chance… Encore elle !
« Je n’aime pas le mot « fin ». C’est angoissant. Mais la vie est là. Le temps qui passe… »
GALA : Avez-vous eu le sentiment de mettre votre vie entre ses mains ?
S. V. : Je l’ai eu et je l’ai. Tout le temps.
GALA : Tony a-t-il été le premier à connaître votre décision d’arrêter la scène ?
S. V. : Bien sûr. Ça me traversait depuis quelque temps déjà. J’ai toujours voulu que mes spectacles aient un côté théâtral, sans doute poussée par mes vieux rêves de cinéma, d’acting.
C’est pourquoi je suis passée de l’Olympia, où j’ai chanté durant une dizaine d’années, au Palais des Congrès.
Je voulais faire les choses en plus grand. Je me suis amusée d’une manière incroyable pendant trente ans. Quand je me demandais ce que j’allais faire après, chaque fois, je rencontrais quelqu’un qui m’inspirait – parce qu’on ne réussit jamais tout seul.
GALA : Vous avez toujours été une femme qui fait des choix et les assume. Celui d’arrêter, après les six dates parisiennes, « Je tire ma révérence », titre de votre spectacle [les 8, 9 et 10 novembre au Dôme de Paris, et les 24, 25 et 26 janvier au Palais des Congrès, ndlr], est-il un de ceux qui vous coûte le plus ?
S. V. : Oui. Car je n’aime pas le mot « fin ». C’est angoissant. Mais la vie est là. Le temps qui passe… Arrêter la scène, c’est aussi donner plus de temps à ma vie de femme, de mère, de grand-mère et même d’arrière-grand-mère, même si j’ai toujours priorisé ma famille.
GALA : Tony a-t-il tout de suite été d’accord avec votre décision ?
S. V. : Non. Chaque fois que j’en ai parlé, il m’a toujours fait savoir qu’il était contre ! [Elle rit.] Mais il se rend compte aussi que c’est nécessaire si on veut vivre un peu plus calmement. Aujourd’hui, la vie est davantage derrière que devant, on le sait…
GALA : Le temps qui passe, ce sont aussi les amis qui disparaissent, comme dernièrement Françoise Hardy…
S. V. : Ça, c’est terrible. J’étais déjà ici quand je l’ai appris. Je n’ai pas souhaité m’exprimer. Ce qu’a dit Thomas, son fils, suffisait. On n’a pas besoin de grandes phrases pour dire son chagrin, en tout cas moi, je ne sais pas faire ça, j’ai toujours des réticences à m’épancher émotionnellement.
Je garde pour moi ma tristesse. Françoise, c’était ma jeunesse.
Ensemble, on a tellement voyagé, tellement rigolé ! C’est Jean- Marie Perrier qui nous avait présentées et je l’aimais beaucoup. C’était quelqu’un de digne. A la fois réservée et joyeuse, avec ce côté profond qui me plaisait. Et je la trouvais si belle.
GALA : Dans le film d’Emmanuelle Bercot, De son vivant, avec Catherine Deneuve et Benoît Magimel, il est dit que pour partir sereinement, « il faut ranger le bureau de sa vie »…
S. V. : Moi, j’ai encore beaucoup de choses à mettre en ordre. Je ne suis pas prête… [Elle sourit.]
GALA : Plus légèrement, êtes-vous plutôt une femme d’ordre ou de désordre ?
S. V. : Je suis quelqu’un de très ordonné, de méticuleux, et pourtant, partout où je vis, c’est le désordre, et cela me fait souffrir. C’est pourquoi deux jours avant de chanter, je vais dormir à l’hôtel. Je n’arrive pas à trouver le temps de ranger. Le temps me possède.
GALA : En arrêtant la scène, vous allez donc gagner du temps ?
S. V. : Exactement. Je vais mettre de l’ordre dans ma vie.
GALA : Le temps, c’est également le compteur des années qui tourne : 80 ans le 15 août, vous réalisez ?
S. V. : Pas du tout ! Curieusement, quand j’avais 7 ans, j’avais l’impression d’en avoir 50. Je me disais que tout le monde me prenait pour une enfant alors qu’au fond, j’avais compris les règles principales de la vie, sans pouvoir les intellectualiser bien sûr, sans me poser des questions, mais je savais comment marchait la société. Je savais ce qu’était la liberté, la peur, l’angoisse, ce qu’était la mort aussi dans ce qu’elle a d’irréversible.
Et à l’âge que j’ai, au contraire, je me trouve beaucoup plus jeune dans l’esprit.
Et d’ailleurs je suis ravie d’avoir mon arrière-petit-fils [Harrison, 2 ans, le fils d’Ilona Smet, ndlr], parce que je vais pouvoir regarder avec lui tous les merveilleux Walt Disney que j’ai montrés à mes enfants.
GALA : Si vous deviez choisir une seule chanson de votre répertoire pour accompagner votre vie, quelle serait-elle ?
S. V. : Ce ne serait pas une chanson de moi. Ce serait Mon enfance, de Barbara. Parce que c’est ce qui est tatoué dans mon coeur. C’est en elle que je puise mes réconforts, mes espoirs, ma gratitude. Tout ce que j’ai appris, tout ce que j’ai ressenti enfant, a fait que j’ai eu la vie que j’ai eue. Et que j’ai fait les choix parfois complètement fous que j’ai faits. La force qui m’a guidée vient des miens.
gala