En marge de la convention démocrate à Chicago, des milliers d’Américains ont manifesté pour réclamer un cessez-le-feu à Gaza. Entre le vote juif d’une part, le vote arabe et musulman de l’autre, la guerre à Gaza constitue un jeu d’équilibriste électoral pour la candidate démocrate, Kamala Harris.
La grand-messe démocrate se poursuit, mardi 20 août à Chicago, alors que la convention doit officialiser jeudi soir la candidature de Kamala Harris à l’élection présidentielle. La vice-présidente de Joe Biden incarne un immense espoir pour des millions d’Américains, celui de battre dans les urnes en novembre le candidat républicain Donald Trump.
Mais sur les bords du lac Michigan, l’euphorie des uns doit composer avec la colère des autres. Lundi, des milliers de personnes ont manifesté pour dénoncer – notamment – le soutien de l’administration Biden-Harris à la guerre menée par Israël contre le Hamas dans la bande de Gaza.
« Ces manifestants ont des arguments à faire valoir. Beaucoup de personnes innocentes ont été tuées, des deux côtés », a concédé le président Joe Biden, qui est monté sur scène lundi soir pour réitérer son soutien à Kamala Harris.
Une situation « inédite »
Éloigné de la citadelle américaine, le conflit israélo-palestinien a longtemps occupé une place mineure parmi les préoccupations de la société civile. Aujourd’hui pourtant, ce sujet est « peut-être devenu la priorité numéro un de l’électorat. C’est absolument inédit dans l’histoire de notre pays », estime Sara Yael Hirschhorn, historienne américaine, professeure à l’université de Haïfa (Israël).
À Chicago, de retour d’une manifestation pour un cessez-le-feu à Gaza, Arielle, 29 ans, confie à France 24 son rêve : « Un monde où nous serions tous libres et en sécurité, de Chicago à la Palestine. » Cette juive américaine exige de ses dirigeants un embargo sur les livraisons d’armes à l’armée israélienne.
« C’est désormais la seule solution concrète pour parvenir à une paix durable au Moyen-Orient, spécifiquement à Gaza, et à un monde plus sûr pour tous. »
Pour Sara Yael Hirschhorn, cette position ne reflète pas la perception majoritaire chez les juifs américains – environ 7,5 millions de personnes, soit 2 % de la population. Mais dans ce pays allié d’Israël, des organisations juives – telles que Jewish Voice for Peace (JVP) – qui manifestent parfois aux côtés de Palestino-Américains pour réclamer la fin des combats à Gaza attirent les caméras du monde.
« Autrefois incontesté, le soutien à Israël est de plus en plus remis en question, au sein de l’électorat démocrate comme dans les rangs du parti », commente Sara Yael Hirschhorn.
À près de 10 000 kilomètres des combats, les États-Unis restent un acteur majeur du conflit déclenché dans la bande de Gaza après les massacres du Hamas sur le sol Israélien le 7 octobre 2023. Hyperactifs dans l’arène diplomatique, ils continuent de livrer à Israël armes et munitions.
Des livraisons sans lesquelles l’État hébreu serait contraint d’arrêter sa guerre « dès demain », assurent les experts contactés par France 24.
La riposte israélienne a ôté – selon le ministère de la Santé du Hamas – plus de 40 000 vies palestiniennes. Malgré l’indignation qu’elle suscite au sein d’une partie de la jeunesse juive, la communauté – acquise aux démocrates de longue date – devrait voter à 75 % pour Kamala Harris, prédit prudemment Sara Yael Hirschhorn, elle-même issue d’une famille juive américaine.
L’adhésion arabe et musulmane fragilisée par Gaza
Un autre électorat pourrait se détourner – plus dangereusement pour les démocrates – du duo Harris-Walz. Si les Américains originaires du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord ont rejoint le camp démocrate depuis les guerres lancées par l’administration George W. Bush en Irak puis en Afghanistan, ce qui est perçu comme le soutien de Joe Biden à Israël dans la guerre à Gaza a fragilisé l’adhésion arabo-américaine.
« Certains membres de notre communauté ont travaillé dur pour faire élire Joe Biden en 2020 et se sentent maintenant trahis », témoigne auprès de l’AFP Souzan Naser, d’origine palestinienne, qui a grandi dans la banlieue de Chicago.
Dans un sondage réalisé par le New York Times mi-mai, plus de 70 % de cet électorat affirmait alors que la situation à Gaza représentait leur principale priorité électorale.
Si certains Américains d’ascendance arabe ou de religion musulmane se tournent vers Donald Trump, le désaveu de nombre d’autres vis-à-vis de l’administration Biden-Harris pourrait surtout se traduire par de l’abstention.
« Ils n’auront pas notre vote cette année, et nous ne voulons pas qu’ils soient élus, parce que ce qui se passe (à Gaza) est mal, et nous ne tolérons pas cela », assurait lundi Ali Ibrahim, 20 ans et d’origine palestinienne, croisé par l’AFP à Bridgeview. La ville, située à une vingtaine de kilomètres de Chicago et surnommée « Little Palestine », abrite la plus grande communauté palestinienne des États-Unis.
Au niveau national, les communautés issues d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient représentent 3,5 millions de personnes, soit seulement 1 % de la population totale du pays.
Un électorat crucial dans les États-clés
Le système fédéral américain fait de ces communautés un électorat crucial dans certains États-clés, les « swing states ». Comme dans le Michigan, où la minorité arabo-américaine, forte de quelque 310 000 électeurs, représente environ 5,6 % des personnes appelées aux urnes dans cet État du Midwest.
Ces considérations ont vraisemblablement pesé dans la décision de Kamala Harris de ne pas prendre Josh Shapiro sur le ticket démocrate : « Un candidat juif et sioniste n’aurait pas été attrayant dans certains États-clés », selon Sara Yael Hirschhorn. Jugé trop proche d’Israël par ses détracteurs, le gouverneur de Pennsylvanie, apparu un temps comme un candidat crédible pour la vice-présidence, avait finalement été écarté au profit de Tim Walz.
Au début du mois, Kamala Harris a par ailleurs rencontré Abdullah Hammoud, le maire de Dearborn, dans la banlieue de Détroit. En janvier, ce jeune cadre du Parti démocrate avait attiré l’attention médiatique en refusant de rencontrer les responsables de la campagne de Joe Biden. « Le génocide (à Gaza) pèse plus lourd que l’impact de la politique intérieure de Biden », assurait le Libano-Américain.
« Dans la discrétion, Kamala Harris courtise évidemment le vote musulman, tente de toucher cette communauté, et d’en comprendre les revendications », note l’historienne Sara Yael Hirschhorn.
Le 26 juillet, lors de la venue du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu au Congrès américain, Kamala Harris avait fait une promesse : ne pas rester « silencieuse » face aux souffrances des civils dans l’enclave palestinienne. La vice-présidente avait alors insisté sur la nécessité de conclure un accord de paix sans tarder.
Jusqu’où la candidate démocrate pourrait-elle aller dans ses promesses de campagne ?
Face à la menace qu’incarne Donald Trump, le duo Harris-Walz « n’a qu’un objectif : la victoire », souligne Sara Yael Hirschhorn. « S’ils estiment qu’ils doivent adopter des positions plus propalestiniennes pour gagner, alors ils le feront. »
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