Un rapport accuse le Liban et Chypre d’expulsions illégales de réfugiés syriens

L’Union européenne finance les institutions libanaises sans contrôler leur respect des droits fondamentaux, affirme l’ONG Human Rights Watch.

Les réfugiés syriens qui tentent d’atteindre Chypre depuis le Liban sont repoussés par les autorités libanaises et renvoyés de force vers leur pays d’origine, affirme un nouveau rapport publié mercredi par l’ONG Human Rights Watch.

Les garde-côtes chypriotes sont complices de ces renvois forcés en repoussant les réfugiés vers le Liban, tandis que l’UE injecte de l’argent dans les forces armées libanaises responsables de violations répétées des droits de l’Homme, indique également le rapport.

« Malgré l’intérêt apparent des donateurs de l’UE pour les obligations en matière de droits de l’Homme, le financement européen des agences de sécurité libanaises pour la gestion des frontières se poursuit, alors que ces agences se sont livrées à des refoulements abusifs et à des expulsions sommaires de réfugiés syriens », note le rapport.

Une « violation flagrante » du droit international

Les conclusions ont été recueillies par l’ONG basée à New York sur la base de photos et de vidéos, de données de suivi d’avions et de bateaux, ainsi que des témoignages de seize réfugiés et demandeurs d’asile syriens qui ont tenté de quitter le Liban, où ils sont confrontés à des conditions de plus en plus hostiles.

Sur les seize réfugiés, quinze ont subi des violations des droits de l’Homme de la part des autorités libanaises ou chypriotes, notamment des détentions, des passages à tabac, des contraintes corporelles et des insultes verbales.

Onze réfugiés ont été renvoyés de force en Syrie par les Forces armées libanaises (FAL), quatre d’entre eux ayant été précédemment renvoyés de Chypre au Liban.

Des réfugiés syriens à l'arrière d'un camion, à un point de rassemblement pour entrer en Syrie, dans la ville frontalière d'Arsal, à l'est du Liban, mercredi 26 octobre 2022.

« Il s’agit non seulement d’une violation flagrante du droit de demander une protection internationale – que les autorités chypriotes et libanaises leur ont sommairement refusé – mais ils ont également été battus, bousculés, menottés, détenus arbitrairement et soumis à des traitements inhumains« , déclare à Euronews Nadia Hardman, chercheuse pour la division des droits des réfugiés et des migrants de Human Rights Watch.

« Et ce qui est peut-être le plus tragique : ils ont été forcés de retourner en Syrie, où nous avons documenté la façon dont les réfugiés rapatriés sont détenus arbitrairement, disparaissent et sont parfois tués », ajoute-t-elle.

Augmentation des migrations clandestines

Selon Nadia Hardman, les actions des autorités chypriotes et libanaises constituent une violation flagrante du principe juridique de « non-refoulement », qui interdit à un État d’expulser une personne vers un pays où elle risque de subir des traitements cruels ou dégradants.

Les conditions de vie des réfugiés syriens au Liban – qui accueille le plus grand nombre de réfugiés par habitant au monde, dont 1,5 million de réfugiés syriens – se sont considérablement dégradées ces dernières années, alors que l’hostilité de la population à leur égard ne cesse de croître.

Une forte augmentation du nombre de réfugiés syriens traversant clandestinement vers Chypre, un État membre de l’UE, a été détectée en avril dans un contexte d’instabilité régionale croissante, ce qui a incité les autorités chypriotes à suspendre le traitement des demandes d’asile.

En mai, l’UE a réagi en proposant au Liban une aide financière d’un milliard d’euros jusqu’en 2026, destinée en partie à l’équipement et à la formation des forces armées libanaises afin qu’elles puissent mieux gérer la frontière.

Le président chypriote Nikos Christodoulides, le président du Parlement libanais Nabih Berri et Ursula von der Leyen (de gauche à droite), à Beyrouth, le jeudi 2 mai 2024.

La moitié de cette enveloppe (500 millions d’euros) a été adoptée en août, dont 368 millions d’euros destinés à soutenir les personnes vulnérables au Liban, notamment les réfugiés syriens. Les 132 millions d’euros restants ont été affectés à la mise en œuvre d’une série de réformes économiques et sécuritaires, notamment au renforcement du « soutien au secteur de la sécurité et à la gestion des frontières », selon la Commission.

L’UE finance des institutions sans « contrôles significatifs »

Human Rights Watch affirme que l’Union européenne fournit de l’argent aux autorités et aux institutions libanaises sans les contrôles nécessaires pour s’assurer qu’elles respectent les droits fondamentaux.

« Il n’y a aucune conditionnalité pour que ces institutions, ces agences se conforment aux principes fondamentaux des droits de l’Homme », avance Nadia Hardman.

« En réalité, ce que nous avons vu avec l’accord UE-Liban, c’est qu’il s’agit presque d’une récompense, d’une nouvelle promesse de fournir des sommes d’argent faramineuses sans aucune sorte de conditionnalité », ajoute-t-elle.

La chercheuse précise que son organisation n’est pas opposée au financement des autorités libanaises, mais que des conditions claires et des mécanismes de contrôle doivent être introduits pour garantir que l’UE n’est pas complice de ces abus.

Le contrôle des partenaires de l’UE mis en question

L’ONG remet également en question la capacité de l’exécutif européen à vérifier si les partenaires qu’il engage pour fournir un soutien à la gestion des frontières aux autorités libanaises – tels que le Centre international pour le développement des politiques migratoires (ICMPD) basé à Vienne – respectent les droits fondamentaux, étant donné qu’ils ne sont pas soumis aux cadres de l’UE en matière de droits de l’Homme.

La Commission européenne a déclaré à Human Rights Watch dans une lettre datée du 20 août que les interventions financées par l’UE et menées par l’ICMPD sont « suivies de près par la Commission européenne, notamment par l’intermédiaire de la délégation de l’UE à Beyrouth ».

« Avant chaque paiement [à l’ICMPD], l’UE procède à une vérification des progrès financiers et opérationnels sur la base de rapports narratifs et financiers soumis par le partenaire de mise en œuvre », ajoute la lettre, selon Human Rights Watch.

L’ONG ajoute que dans des documents internes auxquels elle a eu accès, l’exécutif de l’UE reconnaît que « les acteurs de la sécurité bénéficiant de projets de l’UE peuvent agir à l’encontre des normes internationales en matière de droits de l’Homme ».

Chypre vise le poste de commissaire à la Méditerranée

Les révélations de Human Rights Watch interviennent alors que la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, auditionne les candidats pour le prochain collège de commissaires, qui sera chargé de diriger le travail de l’exécutif de l’UE pour les cinq prochaines années.

Le candidat chypriote, Costas Kadis, a déclaré lundi aux médias du pays que le nouveau poste de commissaire européen pour la Méditerranée était « intéressant » pour son gouvernement.

Ce rôle consistera à superviser les accords de gestion des migrations conclus par l’Union européenne avec les pays du bassin méditerranéen et du nord de l’Afrique, y compris les accords existants avec l’Égypte, le Liban, la Mauritanie et la Tunisie pour freiner les flux de migrants.

Certains de ces accords ont été fortement critiqués par les défenseurs des droits de l’Homme pour avoir ignoré des violations avérées dans ces pays.

Une nouveau « pacte pour la Méditerranée »

Dans ses priorités politiques pour le prochain mandat, Ursula von der Leyen s’est engagée à continuer à développer des « relations stratégiques » sur la migration et la sécurité avec les pays non membres de l’UE, ajoutant qu’un « nouveau pacte pour la Méditerranée » visera à approfondir ces partenariats.

À la suite de son rapport, Human Rights Watch s’interroge sur la pertinence de l’attribution du portefeuille de la Méditerranée à Chypre.

« Chypre se livre à des expulsions illégales. Elle est liée par les normes très puissantes de l’UE en matière de droits de l’Homme, qui sont ignorées », affirme Nadia Hardman.

« Tant qu’il n’y aura pas de responsabilité pour ces violations flagrantes du droit international, je ne pense pas qu’ils devraient obtenir un portefeuille où ils seront en charge de questions importantes telles que la migration », conclut-elle.

euronews

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