Près de trois mois après la dissolution de l’Assemblée nationale, et après près d’une semaine de tractations et entretiens en tous genres avec différents acteurs politiques, le choix d’Emmanuel Macron s’est porté jeudi sur Michel Barnier qu’il a nommé au poste de Premier ministre, le chargeant de former « un gouvernement de rassemblement au service du pays ». Entré en politique en 1973, l’ex-commissaire européen, négociateur du Brexit, est, à 73 ans, le plus vieux Premier ministre de la Ve République.
Désigné Premier ministre, jeudi 5 septembre, Michel Barnier, 73 ans, a négocié avec succès les conditions du Brexit et devra désormais user de toutes ses qualités diplomatiques pour diriger un gouvernement minoritaire à l’Assemblée et tenter de devenir enfin prophète en son pays.
Applaudi à Bruxelles pour ses qualités de négociateur, au point que son nom avait circulé pour succéder à Jean-Claude Juncker en 2019 à la tête de la Commission européenne, ce Savoyard, membre du parti de droite Les Républicains (LR), s’est forgé une réputation de « pragmatique ».
« C’est un homme d’État. Un homme de consensus et de négociation comme il l’a prouvé lors des négociations du Brexit, ce qui est indispensable dans la période que nous connaissons », affirme à l’AFP le député LR Vincent Jeanbrun, persuadé qu’il parviendra à rassembler « bien au-delà de son camp ».
Le plus vieux Premier ministre de la Ve République succède à Matignon à Gabriel Attal, 35 ans, qui était lui le plus jeune.
Vieux loup de la politique française
« C’est l’une des rares personnalités politiques à pouvoir afficher une expérience solide aux échelons à la fois territorial, national et européen », se réjouit la sénatrice LR Agnès Evren, qui évoque une « méthode Barnier » qui « allie respect de son interlocuteur et solidité des convictions ».
Des qualités qui ont certes séduit Emmanuel Macron, à la recherche d’une personnalité capable de déjouer une majorité de censure à l’Assemblée, mais qui ont pour l’instant été plus applaudies à Bruxelles qu’en France et même dans sa famille politique des Républicains.
Il représente « tout ce que les Français ne veulent pas. Il est stratosphérique, déconnecté et il continuera ou finira de tuer la droite », déplore un parlementaire LR auprès de l’AFP.
Il a d’ailleurs mordu la poussière en 2021 dès le premier tour des primaires de LR pour désigner le candidat de la droite à la présidentielle de 2022.
Longtemps positionné sur une ligne centriste du gaullisme, Michel Barnier avait alors amorcé un virage droitier inattendu, sans pour autant parvenir à convaincre les militants qui lui ont préféré Valérie Pécresse. Il avait plaidé pour un « moratoire » de trois à cinq ans sur l’immigration.
Vieux loup de la politique française, il entre en politique en 1973. Une longue carrière qui fait dire au député RN Jean-Philippe Tanguy qu’il est « fossilisé de la vie politique ».
Des décennies à arpenter les allées du pouvoir, à Paris comme à Bruxelles, où cet homme à la haute stature et la chevelure blanchie s’est forgé la réputation d’écouter, argumenter et de chercher à convaincre.
« Derrière un air lisse se cache une personnalité torturée.
C’est un inquiet et il a besoin d’être conseillé. Il tire sa force d’une équipe de collaborateurs en qui il a une totale confiance », explique un de ses proches.
Michel Barnier a siégé dans plusieurs gouvernements de droite en France dans les années 1990 et 2000, avec des portefeuilles variés (Affaires européennes, Environnement, Agriculture, Affaires étrangères, etc…), a été commissaire européen à deux reprises, chargé des Politiques régionales et du Cadre financier (1999-2004), puis responsable du Marché intérieur et des Services (2009-2014).
Un « montagnard »
Marié et père de trois enfants, Michel Barnier rappelle volontiers qu’il est un « montagnard », manière de transformer en atout ce qui, en France, peut constituer un handicap : ne pas faire partie du sérail parisien et ne pas sortir de l’ENA mais, dans son cas, de l’École supérieure de commerce de Paris.
À Bruxelles, dans son bureau, il montrait volontiers à ses visiteurs une photo où il pose aux côtés du triple champion olympique de ski Jean-Claude Killy, avec qui il a mené à bien l’organisation des Jeux olympiques d’hiver 1992 dans sa ville d’Albertville.
Une autre le montrait lors de la libération de la journaliste Florence Aubenas, otage en Irak, obtenue alors qu’il dirigeait le quai d’Orsay.
Sa carrière européenne n’a pas toujours été couronnée de succès. Jean-Claude Juncker l’a battu en 2014 dans la course à la présidence de la Commission européenne lors du congrès du Parti populaire européen (PPE, droite).
Sa nomination comme négociateur du Brexit en 2016 lui a toutefois permis de rebondir et peaufiner sa stature internationale.
« Nous aurions pu avoir bien pire que le pragmatique et expérimenté Barnier », avait commenté Syed Kamall, chef de la délégation du parti conservateur britannique au Parlement européen, qui avait même jugé l’anglais de Michel Barnier « assez bon pour lui permettre de traiter directement avec ses interlocuteurs ».
Respecté dans sa famille politique, où le soutiennent aussi bien Laurent Wauquiez que Rachida Dati, Michel Barnier a tenté en vain d’obtenir l’investiture des Républicains pour la course à l’Elysée qui a débouché en 2022 sur la réélection d’Emmanuel Macron.
« Le macronisme a vocation à disparaître en 2027 », peut-on lire sur la page d’ouverture du site internet michel-barnier.fr où l’ancien ministre distille l’actualité de son mouvement « Patriotes et Européens ».
« Il faut entendre et répondre au sentiment populaire qui s’exprime dans notre pays, redonner confiance aux jeunes, faire face aux défis globaux du climat, de la sécurité, des inégalités… », souligne aussi celui qui est aujourd’hui appelé à diriger le gouvernement.
Reuters