Naufrage au Sénégal : « Il faut dire aux jeunes Africains qu’ils ont un formidable potentiel »

L’économiste et fondateur du think tank WATHI, Gilles Yabi évoque les drames migratoires en mer à la suite du naufrage meurtrier survenu le 7 septembre 2024 au large de Mbour, sur la côte sénégalaise. Au moins 39 personnes sont mortes dans ce drame.

J’ai partagé sur RFI il y a quelques mois des faits, des analyses, et notamment ce que nous disent les travaux de recherche sur les déterminants des migrations, en rappelant que ces mouvements de personnes sont indissociables de l’histoire de l’humanité, que c’est largement la même combinaison de facteurs explicatifs que l’on retrouve sur tous les continents, à des époques différentes.

J’avais notamment parlé des théories économiques de la migration qui permettent de comprendre la concentration des flux de départs de migrants dans des localités données, dans des régions spécifiques qui ne sont pas toujours les plus démunies. On migre davantage lorsqu’on a des parents et des amis qui ont déjà migré et qui vivent plus ou moins décemment à l’étranger. La pression familiale et sociale dans une zone d’émigration pousse encore plus les autres à tenter leur chance.

On peut lire et écouter les experts des migrations internationales, mais on peut aussi voir un film récent qui vous a beaucoup marqué…
Oui, il s’agit de Moi, capitaine, sorti en septembre 2023 en Italie, pays d’origine du réalisateur, Matteo Garrone, puis sorti en salles au Sénégal et en France en janvier 2024. Nommé aux Oscars et aux Golden Globes, le film a reçu au festival international de Venise le prix de la mise en scène et le prix d’interprétation masculine décerné au jeune acteur amateur sénégalais Seydou Sarr, âgé de 19 ans, époustouflant dans son rôle.

Le réalisateur raconte que l’idée lui est venue d’une visite d’un centre pour adolescents migrants en Italie.

Basé sur des histoires vécues par ces jeunes, le film raconte le périple périlleux de deux adolescents sénégalais qui décident de partir pour l’Europe en traversant le Sahara, puis la Libye où sévissent des trafiquants d’êtres humains qui infligent d’atroces tortures aux migrants, avant de se lancer dans la traversée de la Méditerranée.

Comme après chaque naufrage, des survivants qui ont vu des amis mourir quelques heures plus tôt, se disent prêts à tenter à nouveau leur chance dès que possible…
Oui et cela nous paraît fou mais c’est parce que nous ne pouvons simplement pas nous mettre à la place et dans la tête de ces garçons de 17 ans, de ces jeunes hommes de 25 ans, de ces jeunes femmes de 30 ans, parfois accompagnées de bébés, de ces hommes qui ont un emploi ou une petite boutique, qui sont prêts à tout pour aller en Europe ou en Amérique du Nord.

Il faut bien sûr tout faire pour stopper l’hécatombe des candidats à la migration clandestine.

Mais il faut aussi dire et surtout montrer aux jeunes du Sénégal, de Gambie, de Mauritanie, de Guinée et d’ailleurs, qu’ils ont un formidable potentiel, que leurs vies ont de la valeur. Il faut reconnaître que leurs rêves sont aussi légitimes que ceux de tous les jeunes sur les autres continents. C’est à tous ceux qui peuvent voyager sans risque pour voir le reste du monde de porter un regard bienveillant sur ces adolescents et ces jeunes adultes qui rêvent de faire quelque chose d’utile et de bon de leur vie, dans leur pays ou partout ailleurs.

Et il faut saluer, soutenir, amplifier les initiatives qui, dans tous les pays africains, redonnent concrètement espoir à des milliers de jeunes, en créant des opportunités de formation, d’encadrement professionnel, de valorisation de leurs talents.

Je peux citer le Consortium jeunesse Sénégal qui fédère près d’une vingtaine d’organisations dédiées à la jeunesse et qui porte un plaidoyer constant auprès des décideurs politiques et économiques du pays sur toutes les questions cruciales pour la jeunesse, autrement dit, les questions cruciales pour l’avenir du pays. Ce modèle commence à inspirer d’autres dans la région et cela est très prometteur.

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