Le Niger, laboratoire des maux de l’aventure AES

Plusieurs personnalités dont deux lauréats du prix Nobel de la paix ont publié une tribune en soutien à Mohamed Bazoum, pris en otage depuis plus d’un an avec son épouse Hadiza Bazoum par le régime putschiste du général Tiani. Le Président Bazoum est maintenu en détention du fait de son refus héroïque de céder aux pressions de ses ravisseurs.

En refusant de démissionner pour acter son départ du pouvoir et ainsi symboliquement avaliser le putsch, Bazoum prouve qu’en plus d’être un homme d’État, il est un homme courageux et chevillé à des principes.

Le général Tiani et ses complices ont violé leur serment d’officier et ont stoppé la cadence du Niger vers la démocratie consolidée et l’État de droit, et les efforts entrepris par un Président élu démocratiquement à lutter contre la corruption.

Bazoum n’a été entendu par aucun juge ; tout juste son immunité a été levée par une Cour d’État, nouvellement créée par ses geôliers, sans aucune base légale, et dans laquelle siègent des militaires. Il y a une parodie de justice dont Mohamed Bazoum est victime du fait de son opiniâtreté et de son courage.

Sous prétexte d’un complot de la France, de ses alliés européens et dans une moindre mesure des États-Unis, les putschistes sans aucun mandat, ni populaire ni légal, ont emprunté un virage pernicieux pour le pays. Ils se sont détournés de leurs alliés traditionnels dont les engagements financiers étaient vitaux pour un pays dont le taux de pauvreté atteignait 42%. En effet, l’aide publique au développement française était estimée à 120 millions d’euros en 2022. Après le Sénégal, le Niger est le deuxième pays du Sahel à recevoir le plus de subventions de l’AFD. Il est curieux d’évaluer le montant des aides russes…

Le pays aux mains des putschistes a rejoint l’Alliance des États du Sahel, en compagnie des deux autres autocraties militaires de la région, le Mali et le Burkina Faso.

La fracassante décision de quitter la CEDEAO, suivie de la proclamation de l’acte de naissance de l’AES et de l’appel aux unités françaises et américaines de coopération militaire à quitter le pays suivent une mécanique bien huilée dans les trois pays. Ils se sont mis sous le parapluie de la Russie, comme pour changer de maître au lieu de profiter des possibilités qu’offrent les relations internationales en matière de diversification d’alliances.

Il faut dire que les pays démocratiques coopèrent avec tout le monde au nom de leurs valeurs et des intérêts stratégiques en cours, mais les autocraties du Sahel ont décidé de se donner pieds et poings liés à une puissance déclinante, dont le volume d’investissement en Afrique de l’Ouest est proche du néant et dont les capacités de projection se limitent à exporter une main d’œuvre milicienne. Celle-ci a d’ailleurs fait l’objet d’accusations graves et documentées par l’ONU en matière de massacres de civils et de violations de droits de l’homme au Mali et au Burkina.

Mais ce qui se joue dépasse le cadre de putschs, de révolutions de palais ou de prises du pouvoir de militaires déçus par les civils.

Le renversement d’alliances que ces trois pays mettent en œuvre relève aussi d’une vision sombre de la démocratie, du multilatéralisme, de la paix et de la prospérité économique. Si la démocratie s’essouffle partout, il n’en demeure pas moins que les coups d’État ne sont pas la solution. En plus de favoriser des régimes autocratiques, ils constituent un frein pour le développement économique.

Sans aucun mandat de leurs peuples, les trois pays de l’AES se sont mis dans une aventure sans lendemain sur fond de menaces sur les libertés et d’obéissance aux intérêts d’un géant russe aux pieds d’argile pris dans le bourbier ukrainien.

Ce n’est guère un hasard si l’une des unités de Wagner employée comme garde prétorienne d’Ibrahim Traoré a plié bagages pour aller combattre dans son pays suite à l’invasion de la province du Koursk par les troupes ukrainiennes. Wagner fondé par Evgueni Prigogine fonctionne sur le modèle des mercenaires qui se paient sur les ressources naturelles du pays et sur le budget national. Aucun attachement ainsi n’est nécessaire vis-à-vis du Mali, du Burkina et du Niger.

Contrairement aux anciens partenaires aucun paramilitaires ne mourra pour des valeurs communes entre les pays mais uniquement au nom de l’appât du gain.

Le choix de l’AES pose aussi un problème de cohérence économique. Les pays ont quitté avec fracas la CEDEAO mais restent encore dans l’espace UEMOA qui bat la monnaie franc CFA, cible de tous les pourfendeurs de la France et des démocraties de la zone comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire. Les groupes de jeunes manipulés sur les réseaux sociaux ou par des économistes militants devraient réfléchir à l’importance de cette monnaie pour les économies des huit pays, loin des fantasmes et des harangues.

Les putschistes de l’AES ont quitté la CEDEAO pour une seule raison : l’organisation non seulement condamne les coups d’État mais ne tolère pas non plus les transitions sans durée de limitation comme c’est le cas actuellement à Niamey, à Bamako et à Ouaga.

Si les putschistes au Mali avaient invoqué comme faux arguments la stabilité et l’ingérence française, il n’en demeure pas moins qu’ils gouvernent depuis 4 ans sans aucune amélioration de la situation sécuritaire encore moins celle économique. Les Maliens ont 4h en moyenne d’électricité par jour, les Burkinabè risquent chaque jour leur vie avec des attaques quotidiennes des groupes armés. Pendant ce temps, Ibrahim Traoré a mué en un dictateur féroce et s’est donné un mandat de 5 ans gratuitement. Au Niger, Mohamed et Hadiza Bazoum sont des otages d’officiers qui ont vu le pays davantage sombrer dans la ruine et l’insécurité.

Les putschistes de l’AES doivent comprendre que la détérioration des conditions de vie des citoyens, les exactions de civils et les tensions attisées avec les voisins du fait de l’invocation de pseudo complots venant d’Abidjan ou de Cotonou vont fatalement provoquer leur chute. Les peuples ont goûté à la démocratie et ne resteront pas encore longtemps sous le joug de dictatures en plus de la pauvreté endémique. Payer des milliards de francs CFA aux miliciens russes pendant que les citoyens manquent du minimum ne peut tenir longtemps sans crise sociale qui fatalement provoquera la chute des juntes du Sahel.

Les pays de l’AES mettent en danger leur peuple et vont dans le sens contraire à l’histoire.

La posture du Sénégal est encore à la sagesse et à la responsabilité. La médiation confiée par la CEDEAO au Président Faye, si elle aboutit, sera une bonne nouvelle. Sinon, le Sénégal devra poursuivre sa trajectoire de pays de démocratie, de liberté et d’ouverture à tous les partenaires en veillant à consolider ses alliances traditionnelles.

BABACAR P. MBAYE

Expert en politiques publiques

sudquotidien

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