Pouvoir renforcé, économie en berne… Qu’attendre du second mandat de Kaïs Saïed ?

En route vers un deuxième mandat, Kaïs Saïed a été réélu à une majorité écrasante de 90,7 % en Tunisie à l’issue d’un scrutin présidentiel controversé. Alors que le pays s’enfonce dans une crise économique et sociale, le président sortant, accusé de dérive autoritaire par l’opposition et la société civile, devra relever d’immenses défis.

Une réélection annoncée, sans rival sérieux et sans enthousiasme. Kaïs Saïed, le président tunisien sortant, a remporté une victoire écrasante avec plus de 90,7 % des suffrages lors de l’élection présidentielle, a annoncé, lundi 7 octobre, l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie). Un triomphe relativisé par l’incarcération des chefs de l’opposition et par une participation de seulement 28,8 %, d’après l’Isie, le niveau le plus bas depuis l’avènement de la démocratie en 2011, dans le pays qui a vu naître le Printemps arabe après la chute du dictateur Zine el-Abidine Ben Ali.

Son discours anti-establishment et ses promesses de réformes radicales continuent de séduire une large frange de la population, malgré les inquiétudes croissantes sur l’état de la démocratie tunisienne.

À l’aube de ce second mandat, tous les regards se tournent vers les prochaines initiatives du président, dont dépendront l’avenir du pays. Selon les experts interrogés par France 24, Kaïs Saïed va méthodiquement continuer son démantèlement des fragiles acquis démocratiques obtenus par les Tunisiens après la révolution de 2011.

« Intensification de la répression à venir »
Trois ans après son coup de force, Kaïs Saïed, l’ancien professeur de droit constitutionnel, a radicalement transformé le paysage politique tunisien : suspension du Parlement, limogeage du Premier ministre, gouvernance par décrets…

Selon Vincent Geisser, chargé de recherche au CNRS et spécialiste du Maghreb, le président tunisien devrait poursuivre son projet de démantèlement des institutions formées après la chute de Ben Ali en 2011. « L’objectif de Kaïs Saïed est d’instaurer une démocratie dite ‘de proximité’ avec des assemblées régionales et un dispositif de parrainage extrêmement complexe pour être candidat à une élection. Ce qu’il souhaite, c’est un système reliant directement le village à Carthage [siège de la présidence, NDLR], sans intermédiaires. » Derrière ce discours de démocratie participative, « il s’agit surtout d’une mise en ordre des institutions, désormais sous le contrôle total du président qui va tout faire pour se maintenir au pouvoir ».

Kaïs Saïed devrait également consolider son emprise sur le système judiciaire.

L’arsenal législatif mis en place durant son premier mandat, notamment le décret-loi 54 de septembre 2022 censé lutter contre les fake news, a ouvert la voie à une répression sans précédent des voix dissidentes. Depuis le printemps 2023, plus d’une vingtaine de figures de l’opposition ont été incarcérées, dont Rached Ghannouchi, leader d’Ennahdha, et Abir Moussi, connue pour ses positions pro-Ben Ali. Cette répression s’est étendue ces derniers mois, englobant syndicalistes, avocats, commentateurs politiques et militants des droits des migrants.

« Lors de son allocution télévisée de jeudi, Kaïs Saïed a réitéré sa détermination à combattre ceux qu’il qualifie de ‘traîtres’ et de ‘corrompus’, suggérant une intensification de la répression à venir », souligne l’analyste politique tunisien Hatem Nafti, auteur de « Notre ami Kaïs Saïed. Essai sur la démocrature tunisienne » (éditions Riveneuve). « Son discours se caractérise par une virulence accrue et une stratégie de désignation de boucs émissaires pour justifier l’absence de résultats concrets durant son premier mandat et légitimer la poursuite de ses politiques autoritaires. »

Pas de « vision économique claire »
Sur le plan économique, la crise n’a cessé de s’aggraver ces dernières années. L’inflation galopante, atteignant 9,4 % en 2023, érode considérablement le pouvoir d’achat des Tunisiens. Le taux de croissance du PIB a stagné (0,4 % en 2023), tandis que le chômage touche 16,4 % de la population active. Et en cinq ans, la Tunisie a vécu sans l’aide du Fonds monétaire internationale, le président rejetant en 2023 les « diktats du FMI » avec lequel la Tunisie était en pourparlers pour un plan de sauvetage de 1,9 milliard de dollars (1,75 milliard d’euros).

Kaïs Saïed ne s’est donc guère appuyé sur son bilan économique pour mener sa campagne de réélection. Dans sa profession de foi, il a repris les mêmes promesses qu’en 2019, évoquant des « solutions » basées sur les « capacités propres » du pays et ses « ressources et richesses » inexploitées. Une rhétorique inchangée qui souligne son échec à concrétiser ses ambitions économiques.

« Kaïs Saïed gouverne sans vision économique claire », note Hatem Nafti.

« Malgré l’espoir d’un soutien financier des pétromonarchies du Golfe, cela ne s’est pas concrétisé. Il propose des projets utopiques, comme la création de coopératives pour les jeunes chômeurs, mais en deux ans, seuls 70 projets ont vu le jour, illustrant l’inefficacité de ses initiatives. Il faut s’attendre à la même chose pour ce nouveau mandat. »

Rapprochement avec Alger, Moscou, et Pékin
Au niveau des relations internationales, Kaïs Saïed devrait poursuivre sa coopération avec l’Italie de Giorgia Meloni sur la gestion des flux migratoires. « Ce partenariat se traduit par une politique migratoire sécuritaire marquée par l’expulsion des Subsahariens, et est ancrée dans une rhétorique identitaire nourrie par la crainte d’une ‘invasion africaine’ qui menacerait l’islamité et l’arabité de la Tunisie », analyse Vincent Geisser.

Le second mandat de Kaïs Saïed pourrait être marqué par un réalignement stratégique significatif dans sa politique étrangère.

Le président tunisien semble en effet déterminé à approfondir ses relations avec des puissances comme la Chine, l’Iran, la Russie, et surtout l’Algérie. « Cette orientation reflète une volonté de s’affranchir des schémas traditionnels de coopération avec l’Occident, notamment l’Europe et les États-Unis », analyse Vincent Geisser. « On ne peut pas encore parler de remise en cause de ce système d’alliance, mais il est clair que Kaïs Saïed est en recherche active d’alternatives aux partenariats historiques. »

france24

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