Aux Pays-Bas, deux semaines après les violences en marge du match de football Ajax Amsterdam-Maccabi Tel-Aviv, une crise gouvernementale a été évitée, mais le paysage politique est plus polarisé que jamais.
Après l’intense émotion suscitée par les violences contre les supporters israéliens du Maccabi Tel Aviv le soir du 7 novembre, dans ce qui s’apparentait à une chasse aux juifs, la police néerlandaise a établi un premier déroulé des faits. L’équipe d’enquête spéciale mise sur pied pour faire la lumière sur les délits commis a annoncé qu’elle enquêtait sur 45 personnes sur la base des vidéos prises par les caméras de surveillance ou diffusées sur les réseaux sociaux.
On peut y voir, à la sortie du stade, les supporters israéliens, poursuivis par des hommes en scooter, bousculés et frappés au sol.
La police a déclaré que les agresseurs avaient été encouragés par des appels à « attaquer des Juifs » sur les réseaux sociaux et avaient prononcé des insultes antisémites. Cinq personnes ont fini à l’hôpital, grièvement blessées.
Mais le commissaire a également mis en lumière ce qu’il s’est passé avant le match de football : les supporteurs du Maccabi Tel Aviv ont scandé, dans la rue et les transports en commun, des slogans anti-arabes, ont vandalisé un taxi, brûlé un drapeau palestinien sur la principale place d’Amsterdam et crié leur volonté de « venger » les otages prisonniers du Hamas.
Des actes provocateurs qui n’excusent en rien les violences commises ensuite mais qui avaient été largement éludés par les responsables politiques et les médias. Cette vision partielle des évènements a été alimentée par une rhétorique gouvernementale qui a fini par diviser l’opinion et cristalliser les tensions.
L’extrême-droite néerlandaise a donné le tempo
En effet, l’une des premières personnalités à réagir a été Geert Wilders, le chef du Parti de la Liberté, formation d’extrême droite arrivée en tête aux dernières législatives, partie prenante de la coalition gouvernementale de droite arrivée aux affaires il y a un an. Connu pour ses positions anti-Islam et anti-immigration, il a donné le ton dans cette affaire en qualifiant les scènes de « pogrom » menés par de jeunes musulmans, et plus particulièrement, des « Marocains » et qu’il fallait les déchoir de leur nationalité, ou expulser s’ils n’étaient que résidents aux Pays-Bas.
Alors que le profil des agresseurs n’a pas été rendu public, en moins de 24h, ce supposé « manque d’intégration » est devenu la principale grille de lecture. Le Premier ministre nééerlandais, Dick School, a également imputé la violence aux « personnes issues de l’immigration ».
Une rhétorique qui a enflammé le débat public et aliéné une partie de la communauté juive d’Amsterdam. « Au lieu d’être des amis sincères de la communauté juive, des politiciens d’extrême droite se sont servis des violences comme d’un bâton pour taper les musulmans, les migrants et les réfugiés, en disant qu’ils étaient antisémites », juge Garmy Itay, policier et conseiller municipal de centre-gauche de la capitale.
« En période de crise et d’émotions explosives, on a besoin de leaders qui font preuve de sens moral, qui apaisent et montrent la voie vers une société inclusive. Pas qui nous mettent les uns contre les autres. Je pense que Geert Wilders bénéficie d’une société plus polarisée, c’est pour cela qu’il va vers l’escalade. Mais ce qu’il dit et fait, ne contribue ni à ma sécurité, ni à celle de tous les Hollandais », a-t-il ajouté.
Une commission d’enquête indépendante doit établir si le match a été suffisamment sécurisé, au vu des tensions que suscite le conflit israélo-palestinien.
Polarisation et politisation du lexique
La teneur des discussions s’est tellement envenimée que le secrétaire d’État aux Finances, Nora Achahbar, d’origine marocaine, a démissionné, dénonçant les propos racistes prononcés par ses collègues en réunion. Un départ qui a déclenché une crise politique mais n’a finalement pas fait tomber le gouvernement.
Au vu de l’instrumentalisation des évènements, la maire d’Amsterdam, l’écologiste Femke Halsema, qui avait déclaré au lendemain du match qu’elle comprenait pourquoi ces chasses à l’homme rappelaient à certains les « pogroms » contre les juifs, a dit regretter avoir utilisé ce terme : « Dans les jours qui ont suivi, j’ai vu comment le mot pogrom est devenu très politique et s’est transformé en propagande », a déclaré la mairesse. « Le gouvernement israélien parle d’un pogrom palestinien dans les rues d’Amsterdam. Ici, aux Pays-Bas, le mot est principalement utilisé pour discriminer les Amstellodamois marocains, les musulmans. Ce n’est pas ce que je voulais dire ».
Sur les plateaux et dans les journaux, des spécialistes de la Shoah ont fini par être interrogés sur le sens des mots.
Dans le quotidien belge néerlandophone De Morgen, Amos Goldberg de l’Université hébraique de Jérusalem, a par exemple expliqué que si les violences en marge du match étaient affligeants et avaient un caractère antisémite, ils ne relevaient pas de la définition d’un pogrom : « Lors de celui-ci, des membres de la majorité d’une société attaquent une minorité impuissante et désarmée, avec l’approbation, passive ou active de l’État. Ce qui s’est passé à Amsterdam n’a rien à voir avec cela.”
Ce vendredi 22 novembre, le gouvernement néerlandais doit présenter un plan de lutte contre l’antisémitisme.
Les principales mesures annoncées sont la fermeture des mosquées salafistes, des sanctions pour les organisations qui prêchent la destruction du peuple juif et d’Israël, des fonds supplémentaires pour garantir la sécurité des écoles et des communautés juives aux Pays-Bas. Le gouvernement souhaite également pouvoir expulser les étrangers qui commettraient des actes antisémites.
Le ministre de la Justice a chiffré à 4,5 millions d’euros ces mesures, qui devraient aussi permettre de financer davantage des lieux commémoratifs tels que le camp Westerbork, où ont transité plus de 100 000 victimes de la Shoah, dont Anne Frank. Ce lieu de mémoire pourrait devenir un passage obligé pour les jeunes auteurs d’actes antisémites.