En mars 2024, une bactérie responsable du choléra multirésistante aux antibiotiques a été identifiée à Mayotte. Sur trois familles d’antibiotiques habituellement utilisées, deux se sont avérées inefficaces. Quels risques représente cette bactérie et, si l’épidémie a pris fin en juillet, peut-on tout de même craindre une réapparition du choléra après le passage du cyclone Chido ? Les réponses avec le professeur François-Xavier Weill, chercheur à l’Institut Pasteur.
“Le vibrion cholérique, la bactérie responsable de la maladie du choléra, circule toujours activement de nos jours dans le monde. La baie du Bengale, son foyer historique, reste toujours un réservoir pour cet agent pathogène,” indique à Sciences et Avenir François Xavier Weill, directeur du Centre national de référence des Vibrions et du choléra à l’Institut Pasteur. En 2018, une souche inquiétante fait son apparition au Yémen.
Elle est résistante à deux des trois familles d’antibiotiques habituellement utilisés.
Reste les tétracyclines, des antibiotiques qui inhibent la synthèse des protéines. Alors que l’épidémie est endiguée au Yémen, la souche multirésistante réapparaît quelques années plus tard au Liban, puis cette année en France, sur l’île de Mayotte. En mars, une épidémie de choléra s’y déclare. Des mesures drastiques sont mises en place pour assurer des conditions sanitaires correctes et contenir l’épidémie, qui se termine en juillet. 221 cas ont été recensés durant cette période d’après Santé Publique France.
Sciences et Avenir : Cette bactérie multirésistante a été identifiée pour la première fois au Yémen. Comment cette souche est-elle arrivée à Mayotte ?
François-Xavier Weill : Cette bactérie hautement résistante aux antibiotiques a effectivement été identifiée pour la première fois au Yémen dans un contexte de conflit armé prolongé qui a favorisé une épidémie de choléra très importante. L’apparition de cette souche hautement résistante a été observée en 2018 soit deux ans après le début de l’épidémie. Quelques années plus tard, elle a été signalée au Liban, dans un contexte tout aussi complexe où des populations déplacées et des systèmes de santé saturés ont facilité sa diffusion. Les conditions locales étaient idéales pour la propagation : contamination des réseaux d’eau ou manque d’eau potable, infrastructures insuffisantes, etc.
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A Mayotte, cette bactérie a proliféré entre mars et juillet, dans un environnement marqué par des échanges humains intenses. L’émergence de cette bactérie s’explique notamment par les flux migratoires venant des Comores et d’autres pays d’Afrique de l’Est touchés par des crises sanitaires. Mayotte est une île stratégique dans l’océan Indien, et son système de santé est sous une pression constante. Les cas recensés dans ces différentes régions illustrent comment cette bactérie a profité de contextes sanitaires dégradés pour s’implanter et se diffuser, en particulier dans des établissements médicaux où les moyens de lutte sont souvent insuffisants.
« Assainir l’environnement et garantir l’hygiène des habitants »
Comment l’épidémie a-t-elle été gérée à Mayotte ?
La réponse à cette épidémie, endiguée en juillet dernier, a reposé sur plusieurs étapes clés. Tout d’abord, il était primordial d’identifier les cas avec le laboratoire du centre hospitalier de Mayotte puis de traiter les malades en les réhydratant. Il a aussi fallu identifier les foyers d’infection et casser les chaînes de transmission en assurant l’accès à une eau non contaminée, le bon fonctionnement des réseaux d’eau, etc. C’est ce qu’on appelle l’approche WASH, un ensemble de mesures visant à assainir l’environnement et garantir l’hygiène des habitants.
Ensuite, une stratégie d’information et de formation a été déployée auprès des professionnels de santé pour assurer une meilleure prévention et un usage rationnel des antibiotiques.
Puisqu’une seule classe d’antibiotique fonctionnait, il s’agissait de réserver son utilisation pour les cas graves et de ne pas le donner à tous les habitants comme traitement préventif : essentiel pour éviter qu’elle ne développe une résistance contre ces derniers antibiotiques. Deux types de vaccins ont également été utilisés.
Peut-on craindre un retour du choléra après le passage du cyclone Chido à Mayotte?
Aujourd’hui, le risque lié à cette bactérie est faible, car il n’y a plus de cas sur l’île, ni sur les îles proches de Mayotte depuis plusieurs mois. Les mesures mises en place ont permis d’endiguer sa propagation. Même en cas de dégradation des infrastructures due à un cyclone, cette bactérie ne devrait pas réapparaître sauf en cas de réimportations suivies de diffusion ce qui semble peu probable du fait de l’expertise récente des personnels de santé, du fonctionnement correct du laboratoire et de la réponse actuelle de l’état. Une vigilance s’impose cependant. Le risque réside désormais dans la propagation d’autres agents pathogènes (tels les agents de la fièvre typhoïde, des dysenteries…) qui pourraient profiter de cette situation sanitaire dégradée.
« Identifier les cas rapidement permet d’agir avant qu’une épidémie ne soit hors de contrôle »
Quels sont les principaux risques liés à cette souche de choléra multirésistante ?
Il faut rappeler que les antibiotiques ne sont utilisés qu’en complément de la réhydratation et essentiellement dans le but de diminuer la durée de la maladie. Les pertes digestives pouvant atteindre chaque jour plusieurs litres (dont de très nombreuses bactéries) contribuent à la diffusion de l’épidémie. En réduisant la durée des symptômes des patients, la transmission de l’infection en sera réduite. A court terme, cette nouvelle souche va donc restreindre le traitement des patients atteints de choléra à une seule classe d’antibiotique, les tétracyclines. Les autorités sanitaires des pays qui sont ou vont être touchés par cette souche doivent donc recommander la bonne classe d’antibiotique ce qui nécessite des laboratoires de bonne qualité.
Sans cela le risque est de pouvoir moins bien contrôler la diffusion de l’infection avec comme conséquence une augmentation des cas dont des cas plus graves, en particulier dans un environnement où les structures de santé manquent déjà de ressources.
À long terme, la crainte est que cette souche ne développe une résistance à cette dernière famille d’antibiotiques encore efficace. L’utilisation des tétracyclines sera donc à réserver strictement au traitement des malades et non à son utilisation préventive à large échelle, ce qui favoriserait la sélection de souches résistantes. Nous n’aurions alors plus de moyens de faire face à cette maladie, qui se propage rapidement dans les régions où les conditions sanitaires sont difficiles.
Cette crise met en lumière plusieurs points essentiels pour la gestion future de situations similaires.
La première leçon est l’importance d’un système de surveillance efficace, avec notamment des laboratoires compétents. Identifier les cas rapidement permet d’agir avant qu’une épidémie ne devienne hors de contrôle. Une autre priorité est de renforcer les protocoles d’hygiène dans tous les établissements de santé, pas seulement lors des crises. Par ailleurs, le choléra persiste en Asie du Sud. C’est de ce foyer persistant que proviennent les bactéries. Il y a donc urgence à lutter efficacement contre le choléra en Inde et au Bangladesh si on veut éviter les réintroductions dans d’autres pays.
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