Comment Pékin a cassé son usine à milliardaires

A qui le tour? Après Alibaba, Didi ou encore Tencent, Pékin tire à tout-va sur ses géants de la technologie. Et c’est l’usine à milliardaires qui vacille avec des pertes records pour les Chinois les plus fortunés depuis le début de l’année. Non pas que la conjoncture était mauvaise, l’ennemi économique venait plutôt de l’intérieur.

Depuis l’automne 2020, le pouvoir central chinois a décidé de reprendre brutalement la main sur les géants du numérique du pays. Des Etats dans l’Etat avec des capitalisations qui atteignaient des valeurs stratosphériques: jusqu’à 800 milliards de dollars pour l’empire Alibaba en octobre 2020. Le groupe du fantasque Jack Ma sera d’ailleurs la première cible de Pékin, en novembre dernier, un mois tout juste après un discours un peu trop critique du fondateur sur les banques chinoises.

Une liberté de parole qu’il payera cher: l’entrée en bourse d’Ant Group, bras financier d’Alibaba, tourne au vinaigre, retoquée par les régulateurs chinois à la surprise générale. Surtout, Jack Ma disparait littéralement des radars, sans donner de nouvelles. Il réapparait deux mois plus tard, visiblement remis dans le « droit chemin » par la présidence de fer de Xi Jinping.

Démission(s) surprise

Désormais, ce sont tous les milliardaires chinois qui tremblent. Il suffit d’ailleurs de jeter un œil au classement des milliardaires établi par Bloomberg. Sur les 25 plus grosses pertes depuis le début de l’année, on retrouve 18 Chinois, pour une perte totale d’environ 150 milliards de dollars.

Principale victime, Colin Huang, 43ème fortune mondiale et fondateur de la plateforme de e-commerce Pinduoduo, a vu sa fortune fondre de 30 milliards de dollars en six mois. Pony Ma, fondateur de Tencent, accuse une perte de 9 milliards de dollars. Lei Jun (Xiaomi): -8 milliards. Robin Li (Baidu): -3,57 milliards. La liste est longue…

La plupart de ces pertes est liée à la chute des cours de bourse amorcée en février dernier, quelques jours après la mise en place de nouvelles règles antitrust décidées par Pékin. Après la reprise en main d’Alibaba, le pouvoir central a ainsi décidé de resserrer les vis autour des GAFA chinois, fer de lance de la croissance chinoise.

De l’amende mirobolante jusqu’au camp d’internement, les grands patrons sont dans le viseur. Prochaine victime? Avec d’excellents résultats et la volonté de s’introduire en bourse, le groupe ByteDance (propriétaire de Tik Tok) marche sur des oeufs. L’entreprise devrait néanmoins privilégier Hong Kong plutôt que Wall Street pour s’éviter les foudres de Pékin. En mai dernier, son fondateur Zhang Yiming, 38 ans, avait soudainement annoncé sa démission, un mois après celle de Colin Huang, 41 ans, tout aussi suprenante pour Pinduoduo.

Les secteurs traditionnels s’en sortent

Et les conséquences économiques pourraient être importantes. Ce mardi, le principal investisseur dans les nouvelles technologies, le japonais SoftBank, a décidé de réduire la voilure en Chine en attendant un cadre règlementaire « plus clair. »

En réalité, le secteur de la technologie n’est pas le seul à subir les foudres du pouvoir. Hui Ka Yan, dirigeant du plus grand promoteur du pays a été sommé par les régulateurs chinois d’épurer la dette massive de son groupe. Le mot d’ordre est clair: l’heure est à une mise au pas des grands patrons.

D’autant que cette mise au pas n’est pas totalement inédite. Avant Jack Ma, il y avait Wang Jianlin patron du groupe Dalian Wanda. Ex-homme le plus riche d’Asie, c’est un apparatchik du pouvoir communiste mais ses investissements coûteux à l’étranger, assimilés à une fuite de capitaux par Pékin, ont entrainé une brève arrestation en 2017. Libre, il enchaîne depuis les ventes pour alléger son groupe et calmer les tensions avec le pouvoir.

Finalement, les grands industriels tirent leur épingle de ce jeu de massacre, notamment le secteur de l’électrification: constructeurs automobiles (BYD, Great Wall Motor), fabricants de panneaux solaire ou de batteries…

En 2017, Jack Ma ambitionnait de devenir « la cinquième économie mondiale ». Trop ambitieux pour la Chine communiste.

Source: bfmbusiness