Alors que Donald Trump a promis de transformer les équilibres institutionnels aux États-Unis, la faiblesse des contrepouvoirs crée une opportunité de dérive « illibérale » à travers l’instrumentalisation du ministère de la Justice et un État fédéral aux ordres. Cependant, tous les garde-fous n’ont pas disparu et pourraient contrarier les ambitions du milliardaire.
Un sénat et une Chambre des représentants aux mains des républicains, une Cour suprême américaine à majorité conservatrice et une légitimité démocratique en béton : lors de son investiture le 20 janvier prochain, Donald Trump détiendra presque tous les leviers du pouvoir à Washington.
En contrôlant l’ensemble du Congrès, le milliardaire aura les coudées franches pour faire adopter le budget et les lois fédérales de mise en œuvre de son programme. La grande majorité du Grand Old Party suit désormais la ligne MAGA (« Make America Great Again ») et ne devrait pas s’opposer aux décisions du gouvernement.
« Il y a encore des voix modérées au sein du Parti républicain qui constituent un petit contrepouvoir de nature politique » à la nouvelle puissance de Trump, estime le chercheur Jacob Maillet, spécialiste du droit constitutionnel américain. « On ignore toutefois s’il va les écouter ou engager une purge en interne pour éteindre toute résistance. Ses premières nominations vont en tout cas plutôt dans le sens des extrêmes », constate l’expert des institutions américaines.
Dernière nomination en date : celle de Matt Gaetz. Cet élu ultra controversé, adepte des théories du complot, est soupçonné par les démocrates de devenir le bras armé de Donald Trump pour lancer une chasse aux sorcières contre les opposants à la nouvelle administration américaine.
« Maximiser son pouvoir »
Sur le plan judiciaire, le président Trump pourra aussi renforcer l’alignement idéologique de la Cour suprême, la plus haute juridiction des États-Unis. Elle compte déjà une majorité de juges conservateurs (six contre trois démocrates), dont trois avaient été nommés par Donald Trump lors de sa première présidence.
Or, deux piliers conservateurs de la haute cour, Clarence Thomas et Samuel Alito, respectivement âgés de 76 et 74 ans, pourraient envisager de se retirer et laisser le président nommer à vie deux remplaçants nettement plus jeunes.
La plus haute instance judiciaire américaine conserverait alors sa majorité conservatrice possiblement pour des décennies.
Mais le milliardaire ne compte pas s’arrêter là. Bien mieux préparé qu’en 2016 et exclusivement entouré de fidèles, Donald Trump revient à la Maison Blanche avec un plan. Celui du « projet 2025 », un document de 900 pages rédigé par le puissant groupe de réflexion Heritage Foundation. Il prévoit notamment de nommer les fonctionnaires en fonction de leur idéologie.
« Il s’agit d’une feuille de route qui explique à Trump comment maximiser son pouvoir en limitant les résistances bureaucratiques. L’une des solutions avancées est de transformer les fonctionnaires en agents politiques.
Par exemple, l’administration Trump pourrait considérer qu’une agence fédérale prenant en compte le réchauffement climatique prend une position politique », explique Jacob Maillet, rappelant que le discours des trumpistes a fait du démantèlement du « Deep state » (« État profond ») et de sa bureaucratie une priorité.
La nomination du patron de X et infatigable soutien de Donald Trump, Elon Musk, à un ministère de l’efficacité gouvernementale va également dans le sens d’un affaiblissement de la machine fédérale et de ses centaines d’agences et sous-agences comme le FBI et la Nasa.
La lettre et l’esprit de la loi
Cependant, Donald Trump ne pourra pas s’affranchir des contrepouvoirs qui constituent l’essence de la démocratie américaine. Le premier tient à la structure même du pays, soit un ensemble d’États fédérés qui disposent de larges prérogatives en matière d’éducation, de santé ou encore de droit à l’avortement. Sur les 50 États, 23 ont élu à leur tête un gouverneur démocrate.
Par ailleurs, les politiques du nouveau locataire de la Maison Blanche pourraient une nouvelle fois se heurter aux décisions des tribunaux, en particulier son projet de déportation massive de migrants illégaux. Lors de son premier mandat débuté en 2017, Donald Trump s’était empressé de signer un décret pour interdire sur le sol américain les voyageurs en provenance de pays musulmans.
« Un muslim ban » suspendu par la justice avant d’être validé par la Cour suprême un an plus tard. Le décret a été abrogé par Joe Biden en 2021.
« La justice peut ralentir les choses, apporter des nuances ou aborder des questions techniques. Mais c’est à double tranchant. Le pouvoir judiciaire est un contrepouvoir mais peut aussi jouer un rôle de conseil. Les juges conservateurs ont ainsi montré ces dernières années aux républicains comment faire passer des textes pour les rendre acceptables d’un point de vue juridique », rappelle Jacob Maillet.
Mais au-delà de la question des freins institutionnels, l’attitude de Donald Trump vis-à-vis des rituels de la démocratie américaine et de ses contrepouvoirs est aussi révélatrice. Celui qui n’a jamais reconnu sa défaite face à Joe Biden en 2020, et entretenu le mythe d’une élection volée, a notamment décidé de se passer de l’approbation du Sénat pour constituer son équipe à la Maison Blanche.
La mesure n’est pas inconstitutionnelle mais elle va clairement à l’encontre de l’esprit du fonctionnement institutionnel des États-Unis.
« Dans les systèmes anglo-saxons, les conventions sont importantes. Or, il y a une volonté chez Donald Trump, comme on a pu le voir avec Boris Johnson, de s’affranchir des normes constitutionnelles, ce qui fragilise les institutions. Cela peut s’expliquer en partie par l’hyper polarisation de la vie politique américaine à laquelle les deux grands partis ont participé », juge Jacob Maillet.
Le modèle hongrois de Viktor Orban
Enfin, les relations déjà exécrables entre Donald Trump et les médias pourraient s’envenimer, conduisant à marginaliser le quatrième pouvoir. Lors de son premier mandat, le président américain avait notamment interdit l’accès à la Maison Blanche de certains journalistes. Pendant la campagne, il a menacé de retirer la licence de diffusion des chaînes CBS et ABC.
« Nous sommes inquiets. Nous le sommes depuis qu’il [Donald Trump] use d’une rhétorique antimédias incendiaire, depuis sa première campagne, en 2015 », explique à l’AFP Katherine Jacobsen, chargée des États-Unis pour le Comité de protection des journalistes (CPJ).
Dans un rapport de 2020, le CPJ avait dénoncé l’instrumentalisation par le milliardaire des poursuites en diffamation pour intimider les journalistes, et les tentatives de la Maison Blanche de violer la protection de leurs sources.
Donald Trump, qui n’a jamais caché son admiration pour les dirigeants autoritaires, il voit dans le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, « le meilleur et le plus intelligent des leaders politiques », peut-il instrumentaliser la justice, persécuter les médias et faire des États-Unis une démocratie illibérale ? « L’histoire montre que les autocrates annoncent toujours ce qu’ils vont faire. On ne veut pas les écouter, jusqu’au jour où c’est trop tard », affirmait de manière fataliste l’historienne Ruth Ben-Ghiat au New York Times, en décembre 2023.
« Il y a forcément une possibilité de dérive. Maintenant, il est trop tôt pour le dire de manière catégorique. Comment Trump va-t-il agir avec les voix modérées de son parti ?
Quelles nominations vont être confirmées ? Comment son administration va se comporter vis-à-vis de la liberté de la presse ? Les discours sont parfois menaçants mais pas toujours suivis d’effets. Avec le trumpisme, il faut faire la part des choses entre le ballon d’essai et les sorties outrancières », tempère Jacob Maillet qui affirme ne pas partager « l’alarmisme » autour des déclarations de Donald Trump à propos d’un troisième mandat.
Ce dernier a affirmé mercredi à Washington ne pas vouloir se représenter « à moins que vous ne vous disiez “il est bon, nous devons envisager autre chose”.
En juillet, il avait également assuré à ses partisans qu’ils n’auraient plus besoin de voter dans quatre ans s’il gagnait l’élection. Des propos qui avaient semé le trouble aux États-Unis alors que le milliardaire est sous le coup d’une inculpation pour « complot à l’encontre de l’État américain » en raison de l’assaut contre le Capitole de janvier 2021. Pour rappel, la Constitution américaine interdit de faire plus de deux mandats, consécutifs ou non.
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