Les revendications territoriales de Donald Trump sur le Groenland ont placé le statut très particulier de ce territoire autonome rattaché au Danemark au centre de l’attention médiatique. Une aubaine pour cette île aux fortes aspirations indépendantistes ?
Le Groenland, ce sont 2,2 millions de kilomètres carrés et près de 60 000 habitants.
Telles sont les principales caractéristiques géographiques et démographiques de ce territoire autonome rattaché au Danemark qui fait saliver Donald Trump. À tel point que le président-élu a refusé, mardi 7 janvier, d’écarter le recours à la force militaire ou la coercition économique pour mettre la main dessus.
Depuis que Donald Trump en a fait l’une des cibles principales de ses appétits expansionnistes – allant jusqu’à dépêcher son fils sur place -, le statut très particulier et l’histoire du Groenland ont fait irruption sur le devant de la scène médiatique.
Un référendum sur l’indépendance ?
« Ces déclarations ont transformé une situation compliquée sur place en quelque chose d’encore plus chaotique et on ne sait pas du tout comment cela va évoluer », affirme Jens Wendel-Hansen, chercheur sénior à l’université d’Aarhus qui a travaillé sur les relations entre le Danemark et le Groenland.
Seule certitude : les autorités danoises et groenlandaises refusent en bloc toute idée d’un rattachement de l’île aux États-Unis.
N’en déplaise à Donald Trump Jr qui, de retour de son déplacement au Groenland, avait assuré sur la chaîne ultra-conservatrice Newsmax que « 100 % des personnes rencontrées sur place veulent se débarrasser des chaînes du Danemark » pour rejoindre les États-Unis.
Ce point de vue « n’est défendu que par une toute petite minorité d’habitants au Groenland qui se retrouvent actuellement avec une exposition médiatique démesurée par rapport à leur importance », assure Marc Jacobsen, spécialiste des questions de sécurité dans la région arctique au Royal Danish Defence College.
Mute Egede, le Premier ministre du Groenland, semble vouloir utiliser l’intérêt de Donald Trump pour le devenir de ce territoire afin de pousser un agenda indépendantiste.
« Il est temps de passer à l’étape suivante pour notre pays », a-t-il déclaré lors de son discours pour la nouvelle année, mercredi 1er janvier. Cette sortie a été interprétée comme un appel à organiser un référendum sur l’indépendance du territoire, peut-être même « en parallèle aux élections générales qui doivent se tenir en avril [2025] », estime le site Politico.
Pas si vite, répondent les experts interrogés par France 24.
Si le projet de référendum d’auto-détermination est de plus en plus sur la table « il ne sera pas organisé dès avril. Il y a encore beaucoup de points à négocier avant d’en arriver là », assure Kristian Soby Kristensen, directeur du Centre d’études militaires au département de sciences politiques de l’université de Copenhague.
L’influence américaine depuis 1916
Pour comprendre quelle peut être cette prochaine étape de l’histoire du Groenland que Mute Egede appelle de ses vœux, encore faut-il savoir où en est ce territoire.
L’île a peu à peu accentué son degré d’autonomie par rapport à Copenhague depuis la fin de son statut de province danoise en 1979. « Cela fait des années que le débat sur l’indépendance gagne en importance au Groenland », assure Marc Jacobsen.
Les relations de ce territoire avec la puissance tutélaire ont toujours été compliquées.
Le Danemark a occupé l’île dès le 18e siècle. Ironiquement, les États-Unis ont eu une influence cruciale sur les rapports entre Copenhague et Nuuk (capitale du Groenland), bien avant l’arrivée de Donald Trump dans le débat public.
« La souveraineté totale du Danemark sur le Groenland n’a été établie que très tardivement, et un élément clé à ce titre en a été la reconnaissance par les États-Unis en 1916″, a expliqué l’historien danois Darius von Guttner Sporzynski, dans un article publié par le site The Conversation le 8 janvier.
Les États-Unis sont encore intervenus durant la Seconde Guerre mondiale pour protéger ce territoire après l’occupation du Danemark par l’Allemagne nazie. Washington a ensuite permis au Danemark de reprendre le contrôle du Groenland en échange du droit d’établir une base militaire sur cette île.
C’est en grande partie l’entrée du Danemark dans l’Union européenne en 1973 qui va débloquer la situation pour les Groenlandais aspirant à plus d’autonomie. Le Danemark ne voulait pas être perçu comme une puissance coloniale au sein de l’UE et, à l’issue d’un référendum, a accordé le statut de territoire autonome à son ancienne province.
Trente ans plus tard, en 2009, l’autonomie est renforcée et le Danemark laisse le Groenland libre d’organiser, quand bon lui semble, un référendum sur son indépendance. Ce territoire dispose actuellement de ses propres institutions, de son gouvernement, de sa langue et décide de ses propres lois.
Mais « ce qui demeure frustrant pour les habitants, c’est que la souveraineté sur le Groenland appartient à Copenhague », souligne Jens Wendel-Hansen. Concrètement : certains domaines régaliens comme la sécurité et la politique étrangère sont du ressort des autorités danoises. Il existe même une « liste de 32 domaines où les autorités à Nuuk n’ont pas encore pris le relais, comme la politique monétaire ou l’administration de certaines cours de justice », précise Marc Jacobsen.
Dépendance économique
Si le désir d’accession au statut de nation souveraine est fort au Groenland, le principal obstacle est la dépendance économique. « Plus de la moitié des revenus du territoire provient des subventions danoises », note Jens Wendel-Hansen. Copenhague ne manque pas d’ailleurs d’assurer qu’elle ne s’opposera nullement à un référendum d’auto-détermination, « mais que le Danemark ne fournira plus d’argent en cas de victoire du oui à l’indépendance », ajoute le chercheur de l’université d’Aarhus.
Autrement dit : « Les Groenlandais ne peuvent pas accéder à l’indépendance sans voir leur niveau de vie baisser sensiblement. Certains disent que c’est un prix qu’ils sont prêts à payer », affirme Marc Jacobson.
Une manière pour le Danemark de faire comprendre qu’il ne facilitera pas la tâche au Groenland.
Copenhague « considère le Groenland comme un atout important. Comme ce territoire se trouve sur le continent américain et à un emplacement stratégique [près du cercle arctique, NDLR], Washington le considère comme important pour sa sécurité nationale, ce qui offre au Danemark un poids sur la scène internationale qu’il n’aurait sûrement pas autrement », décrypte Marc Jacobsen.
C’est d’ailleurs une source de ressentiment pour les Groenlandais : « Ils regrettent que les Danois ne s’intéressent absolument pas à eux et ne sachent rien sur ce territoire, si ce n’est qu’il peut être utilisé à des fins diplomatiques par Copenhague », explique Jens Wendel-Hansen.
L’atout Trump pour le Groenland
Dans ce contexte, l’irruption tonitruante de Donald Trump dans le débat groenlandais « est considérée comme une opportunité par les autorités locales », souligne Marc Jacobsen. « L’intérêt américain démontre clairement à tout le monde que le Groenland est un territoire important, ce qui renforce leur position dans d’éventuelles négociations avec le Danemark sur le statut de l’île », poursuit Jens Wendel-Hansen.
Nuuk espère en outre profiter de cette attention médiatique « pour tenter d’attirer des investisseurs étrangers », ajoute Marc Jacobsen.
Le Groenland est, en effet, considéré comme un territoire disposant d’importantes ressources inexploitées (réserves de gaz, or, métaux rares). Peut-être que le Groenland pourrait ainsi réduire sa dépendance économique et voir l’indépendance sous un jour moins coûteux ?
En attendant que les conditions soient réunies, le Groenland compte bien utiliser la carte du référendum sur l’indépendance comme un moyen de pression sur Copenhague. Le but, selon les experts interrogés, serait de trouver une sorte d’étape intermédiaire entre le territoire autonome et l’indépendance, « un peu comme le traité de libre-association que les îles Marshall ont négocié avec les États-Unis », conclut Marc Jacobsen.
france24