RETRAIT DES TROUPE FRANÇAISES / JEAN-MARIE BOCKEL, ENVOYÉ PERSONNEL DU PRÉSIDENT FRANÇAIS EN AFRIQUE : « Macron a demandé à Diomaye Faye s’il souhaitait le départ des éléments français… »

Que restera-t-il de la présence militaire française en Afrique ? Début 2024, après avoir été chassée du Mali, du Burkina Faso et du Niger, la France avait pris les devants en tentant de répondre à cette question, prête à réduire son empreinte militaire sur le continent. En Côte d’Ivoire, au Gabon, au Sénégal et au Tchad, alliés historiques où l’ancienne puissance coloniale dispose de bases militaires, une diminution drastique du nombre de soldats a été proposée. Ainsi qu’une redéfinition des termes du partenariat militaire en fonction des besoins des pays concernés.

Un travail de réflexion a été confié à Jean-Marie Bockel, ancien secrétaire d’État à la défense de Nicolas Sarkozy, alors nommé envoyé personnel d’Emmanuel Macron. Mais à peine trois jours après qu’il a rendu son rapport au président français, le 25 novembre, les autorités tchadiennes ont dénoncé les accords de défense qui les liaient à la France, tandis que l’exécutif sénégalais annonçait ne plus vouloir de soldats français sur son sol.
Deux coups de tonnerre pour Paris, en dépit de neuf mois de travail et « de discussions satisfaisantes », selon les mots de Jean-Marie Bockel. Dans cet entretien à Jeune Afrique, l’ancien sénateur revient sur cet épisode qui a pris de court la présidence française et esquisse l’avenir de la coopération militaire de la France avec l’Afrique.
Jeune Afrique : Le Sénégal et le Tchad ont dénoncé l’attitude méprisante d’Emmanuel Macron qui, lors de la conférence des ambassadeurs le 6 janvier, a estimé que certains pays africains avaient « oublié de dire merci à la France », et ajouté que sans son intervention, ils ne « seraient pas souverains » aujourd’hui. 

Comprenez-vous la colère des dirigeants de ces pays ? 

Jean-Marie Bockel : C’est leur droit, mais il y a le fond et la forme. Sur le fond, je suis d’accord avec ce qu’a dit le président de la République qui s’adressait, il faut le rappeler, aux opinions publiques, africaine mais aussi française. Il était normal qu’il exprime de l’amertume, voire une certaine exaspération, vis-à-vis des discours tenus par certains pays, notamment au Sahel.

Ce sont leurs dirigeants qui ont fait appel à l’armée française.

Des soldats français sont morts au Mali, j’en sais quelque chose, mon propre fils en fait partie. Entre la France et les pays africains, il y a une histoire en partage faite, parfois de tragédies et de fautes, mais aussi de choses vécues ensemble. Nous ne pouvons pas toujours être dans la repentance ou le mea culpa. Nous avons aussi le droit d’exprimer nos désaccords. 

Comprenez-vous néanmoins que le Tchad et le Sénégal aient pu être froissés par ces propos ? 

Je ne veux pas entrer dans une polémique. Le souci du chef de l’État, après le départ de l’armée française du Sahel, c’était finalement de dire que ce n’était pas la peine de nous chasser : si certains pays souhaitaient nous voir partir, il suffisait de le dire pour que ce départ puisse s’organiser dans de bonnes conditions. Sauf qu’il y a un an, au Gabon, au Sénégal, en Côte d’Ivoire ou au Tchad [où Jean-Marie Bockel s’est rendu], le message consistait plutôt à nous demander de ne pas partir. Aucun de ces pays ne nous a dit souhaiter le départ des soldats français et la fermeture, du jour au lendemain, de nos bases. 

Emmanuel Macron n’a-t-il pas aussi péché sur la forme ? 

Il faut faire le distinguo entre les trois pays dont la France a été chassée [Mali, Niger, Burkina Faso], et elle n’a pas été la seule. Et les quatre pays sur lesquels ma mission a porté. Il n’y a pas eu de réactions particulières au Gabon ou en Côte d’Ivoire [après les propos d’Emmanuel Macron]. Et quand, le 31 décembre, le président Alassane Ouattara annonce la rétrocession à la Côte d’Ivoire de la base française de Port-Bouët, cela reflète le contenu des échanges que nous avons eus. 

Que s’est-il passé avec le Tchad ? 

Quand je suis allé au Tchad en mars dernier, les discussions se sont bien déroulées. Les autorités tchadiennes étaient d’accord avec l’idée d’une baisse importante de la présence militaire au profit d’un partenariat, dont nous avons commencé à définir les contours lors de réunions de travail. Nous sommes allés loin dans les détails, jusqu’aux attentes de nos partenaires en matière d’équipements militaires par exemple. Le dialogue s’est ensuite poursuivi pendant plusieurs mois. Début octobre, il était encore question d’une présence a minima sur les trois bases qu’occupent des soldats français, au moins à titre transitoire. D’autres axes étaient également discutés. 

Comment expliquez-vous ce revirement ?

Ni moi, ni le président Macron, ni beaucoup de nos interlocuteurs tchadiens ne nous attendions à ce que N’Djamena dénonce, le 28 novembre, les accords de défense qui nous liaient. Annonce qui a été faite, je vous le rappelle, quelques heures seulement après le départ du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, qui était en visite au Tchad. L’échange entre Jean-Noël Barrot et le président Mahamat Idriss Déby Itno aurait été houleux. 

La décision tchadienne peut-elle être liée à cette rencontre ? 

Il ne me viendrait jamais à l’idée de faire porter le chapeau au ministre, pour lequel j’ai beaucoup d’estime. Un faisceau d’éléments est entré en ligne de compte. Jean-Noël Barrot était notamment porteur d’un message, à mon sens légitime, rappelant le souhait de la France d’une neutralité du partenaire tchadien dans le conflit soudanais.

C’est quelque chose que l’on doit pouvoir dire et entendre, dans le cadre d’une relation bilatérale, même si l’on n’est pas d’accord. 

Les responsables africains ont des susceptibilités légitimes. Chacun considère, à raison, qu’il a le droit d’être correctement traité. Mais c’est aussi vrai du côté français. Et quand, dans un contexte où la discussion semble bien se dérouler, vous apprenez une demande de fin de partenariat par voie d’un communiqué de presse, la méthode est discutable. La France a eu raison de prendre acte et de donner des signes d’un départ rapide. 

Certaines recommandations de votre rapport peuvent-elles encore être appliquées ? 

Ou sont-elles toutes rendues caduques par la dénonciation des accords de défense ? Forcément, cela complique les choses. Cela signifie que tout doit être remis à plat et que, pour le moment, tout le travail que nous avons fait, s’agissant du Tchad, est en suspens. 

Que pouvez-vous nous dévoiler des propositions que vous aviez formulées concernant les quatre pays sur lesquels vous avez travaillé ? 

Je ne peux rien vous en dire de précis, par respect pour nos partenaires. Mon rapport portant sur des questions de défense, il est par ailleurs classifié. Disons que l’idée était d’avoir moins de soldats sur le terrain, puisque le dispositif en place était jugé anachronique – et je me garderais de donner des chiffres puisque ceux-ci devaient être fixés en accord avec les chefs d’État concernés.

Il s’agissait néanmoins d’aller dans le sens d’une forte baisse des effectifs, avant un effacement progressif.

Pour le reste, l’idée était d’axer nos partenariats autour de la formation, par le biais de 22 écoles déjà présentes dans plusieurs pays africains, ainsi que de l’Académie d’Abidjan, spécialisée dans la lutte contre le terrorisme. Il était aussi question d’entraînements avec des partenaires français ou européens dans certains cas. Il y avait enfin un volet renseignement, dans sa dimension technologique et humaine, et un volet fourniture d’équipements en fonction des besoins exprimés en matière d’aviation, de marine ou d’armée de terre. De tous ces sujets, nous avions discuté en détail. 

Et concernant le Sénégal, que prévoyait votre rapport? 

Ma mission n’a pas porté sur le Sénégal. N’ayant pas pu m’y rendre pour discuter de l’évolution de notre partenariat avec les autorités sénégalaises, aucune proposition sur la présence militaire dans ce pays ne figure dans mon rapport. Le 20 juin dernier, Emmanuel Macron et Bassirou Diomaye Faye se sont rencontrés.

Le président français a demandé à son homologue s’il souhaitait le départ des éléments français.

Ce à quoi le président sénégalais a répondu qu’il fallait lui laisser le temps d’étudier la question, c’est aussi ce qu’avaient dit les ministres que j’ai pu rencontrer. Le climat autour de ces discussions était plutôt bon. Puis le temps a passé, et les déclarations que l’on connaît ont été faites. Dès lors, nous allons mettre en œuvre le retrait des éléments français du pays.

Cette annonce vous a-t-elle surpris ? 

Faute de processus de négociation, deux situations étaient envisagées. Une annonce telle que celle qui a été faite, ou bien une demande de dialogue pour voir comment organiser un départ progressif. Nous étions prêts pour ces deux scénarios. 

JeuneAfrique

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