Le Premier ministre prononcera mardi sa déclaration de politique générale, dans laquelle il présentera ses orientations pour gouverner la France. Un peu plus d’un mois après le renversement du gouvernement de Michel Barnier, François Bayrou devra donner des gages aux oppositions, et en particulier à la gauche, pour s’assurer de ne pas connaître le même destin que son prédécesseur.
Jusqu’où ira François Bayrou ? C’est avec cette question en tête que les députés écouteront attentivement le Premier ministre, mardi 14 janvier à partir de 15 h, lorsqu’il entamera sa déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale. Ayant vu son prédécesseur, Michel Barnier, être renversé le 4 décembre par le Nouveau Front populaire (NFP) et le Rassemblement national (RN), le Premier ministre sait qu’il doit éviter de se placer dans la main de l’extrême droite et qu’il lui faut pour cela parvenir à un accord de non-censure avec une partie de la gauche.
La contrepartie ? Lui accorder quelques victoires politiques.
Après une semaine d’intenses discussions à Bercy avec les responsables politiques de l’opposition, les ministres Éric Lombard (Économie), Amélie de Montchalin (Comptes public) et Catherine Vautrin (Santé et Travail), ont été reçus samedi soir à Matignon pour présenter la synthèse de leurs travaux. Le Premier ministre a également reçu lundi à 17 h 30 les présidents des deux chambres du Parlement, Gérard Larcher (Sénat) et Yaël Braun-Pivet (Assemblée nationale), avant de recevoir les socialistes à 18 h 30.
Les demandes du Parti socialiste (PS), du parti Les Écologistes (LE) et du Parti communiste (PCF) sont connues.
La France insoumise (LFI), qui ne participe pas aux négociations, a d’ores et déjà annoncé qu’elle déposerait une motion de censure, qui sera examinée jeudi ou vendredi, mettant la pression sur ses partenaires du NFP pour qu’ils la votent. La question est donc de savoir si François Bayrou acceptera de faire des concessions et si celles-ci seront suffisantes pour convaincre une partie de la gauche de ne pas voter la censure.
À seulement quelques heures de la prise de parole du Premier ministre, le suspense reste entier. Tour d’horizon des sujets sur lesquels il sera attendu au tournant.
Réforme des retraites
La réforme des retraites de 2023 est au cœur des discussions engagées depuis début janvier entre le ministre de l’Économie, Éric Lombard, et les leaders du PS, de LE et du PCF. Les uns parlent d’une abrogation, les autres d’une suspension, mais au fond, le but recherché est le même : que la réforme faisant passer l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans cesse de s’appliquer et qu’elle soit à terme remplacée par une autre réforme qui serait négociée par les partenaires sociaux dans les prochains mois.
Les trois partis de gauche sont unanimes : revenir sur cette réforme des retraites est la première condition, mais pas la seule, pour qu’ils acceptent de ne pas censurer le gouvernement.
Dès lors, s’il souhaite rester à Matignon, François Bayrou est tenté d’accepter de revenir sur une réforme qu’il avait lui-même critiquée en 2023. Mais de nombreux macronistes et le parti Les Républicains (LR) y sont farouchement opposés, faisant valoir le coût d’une suspension, estimé autour de 3 milliards d’euros pour la seule année 2025. « Suspendre c’est abroger, il faut arrêter de jouer sur les mots.
On ne peut pas se permettre de détricoter la réforme des retraites », a prévenu le député Renaissance Mathieu Lefèvre sur RMC.
Suspendre la réforme des retraites serait le triomphe de la démagogie et de l'irresponsabilité, que la droite ne peut pas cautionner. pic.twitter.com/FRy74NJ9nl
— Valérie Pécresse (@vpecresse) January 13, 2025
Dans un entretien accordé au Parisien, le patron des députés LR, Laurent Wauquiez, a estimé de son côté que « suspendre [la réforme] sans scénario alternatif » reviendrait à « sauter dans le vide sans parachute. Ce sera sans la Droite républicaine ! ». « Je pense que dans ces conditions, la droite ne pourrait plus participer à ce gouvernement », a renchéri lundi matin la présidente de la région Île-de-France, Valérie Pécresse, sur France Inter.
Justice fiscale
Au-delà de la réforme des retraites, la gauche insiste également sur la justice fiscale. Le projet de loi de finances de Michel Barnier comportait déjà une hausse de la fiscalité pour les entreprises et les particuliers les plus riches. Ces mesures – contribution différentielle sur les hauts revenus, surtaxe sur les billets d’avion, surtaxe sur les rachats d’actions, surtaxe sur les bénéfices des grandes entreprises – devraient être conservées dans le budget préparé par François Bayrou, qui n’entend pas repartir d’une feuille blanche mais reprendre le texte de son prédécesseur actuellement bloqué au Sénat.
Mais la gauche réclame des mesures supplémentaires, qui devront passer par un projet de loi de finances rectificative, comme une augmentation de la « flat tax » ou le retour d’un nouvel impôt sur la fortune (ISF) avec une composante climatique
François Bayrou y répondra-t-il favorablement dans sa déclaration de politique générale ? Les ministres de Bercy ont pour l’instant fait preuve d’ouverture d’esprit dans leurs déclarations. « Cela fait partie des sujets qui sont sur la table », a reconnu le ministre de l’Économie, Éric Lombard, sur France Inter au sujet du relèvement de la « flat tax ». « Vous avez des [hauts] revenus, est-ce que vous avez bien payé les impôts que tous les autres Français paient ?
Si ce n’est pas le cas, vous payez la différence », a lancé sur France 2 la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, qui a aussi dit vouloir lutter davantage contre la « sur-optimisation fiscale » et la fraude.
"Moi je suis pour la justice fiscale, vérifier que chacun paye sa juste part de l'impôt", assure Éric Lombard, qui pense qu'il y a "des convergences possibles" avec le PS, le PCF et les Écologistes #le710inter pic.twitter.com/qwmJLfV75f
— France Inter (@franceinter) January 6, 2025
De l’autre côté du spectre politique, le parti Les Républicains a affirmé le 9 janvier son opposition à toute hausse d’impôts. Là encore, François Bayrou devra choisir.
Dépense publique
Les socialistes, les écologistes et les communistes réclament enfin un budget qui ne soit pas marqué par l’austérité comme l’était celui de Michel Barnier. Ils réclament notamment l’abandon de certaines mesures visant à faire des économies, comme la suppression prévue de 4 000 postes d’enseignants ou le passage annoncé d’un jour à trois jours de carence dans la fonction publique.
Ce n’est pas tout. La gauche souhaite également que le gouvernement sorte le chéquier : augmentation du point d’indice dans la fonction publique, 7 milliards d’euros d’investissements dans la transition écologique, investissements dans les services public.
Au total, le PS a détaillé quarante demandes sur cinq pages transmises au gouvernement.
Nos revendications ne portent pas uniquement sur la question des retraites. Elles portent aussi sur l'impôt et la justice fiscale, sur l'accès aux soins, sur l’école et les 4000 suppressions de poste, sur l’hôpital qui est exsangue… pic.twitter.com/crHI0tEWQN
— Olivier Faure (@faureolivier) January 12, 2025
« Nos revendications ne portent pas uniquement sur la question des retraites.
Elles portent aussi sur l’impôt et la justice fiscale, sur l’accès aux soins, sur l’école et les 4 000 suppressions de poste, sur l’hôpital qui est exsangue », a écrit sur X le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, en reprenant un extrait de son interview de dimanche sur BFMTV.
C’est peut-être sur ce volet que les concessions seront les plus difficiles à faire pour François Bayrou car elles représentent les sommes les plus importantes.
Le gouvernement envisageait encore début janvier un effort budgétaire d’environ 50 milliards d’euros cette année, principalement par le biais d’une réduction des dépenses publiques, afin de ramener le déficit public entre 5 % et 5,5 % du PIB, contre 6,1 % attendus pour 2024.
france24