Ces derniers mois, Elon Musk se vantait de ses performances exceptionnelles au niveau mondial sur plusieurs jeux vidéo réputés très exigeants. Mais des internautes ont épinglé, lundi, sa présence en ligne alors qu’il se trouvait au même moment au Capitole pour l’investiture de Donald Trump. Si le patron de X a depuis reconnu qu’il avait triché, pourquoi diable a-t-il cherché à se faire passer pour un « hardcore gamer » ? Éléments de réponse.
C’est ce qui s’appelle se faire prendre la main dans le sac. Alors qu’Elon Musk assistait le 20 janvier à l’investiture de Donald Trump à Washington, un streamer néo-zélandais a constaté qu’un personnage lié à son compte sur « Path of Exile 2 », un jeu vidéo de rôle situé dans un univers sombre et fantastique, était actif au même moment.
Quin69 notices Elon Musk playing Path of Exile 2 while attending the presidential inauguration pic.twitter.com/hrg8tDHjJ1
— FearBuck (@FearedBuck) January 20, 2025
Mis devant le fait accompli, le tour de passe-passe a été confirmé dans la foulée lors d’une conversation privée sur X entre l’intéressé et le youtubeur NikoWrex, qui affirme avoir reçu l’aval du milliardaire pour publier l’échange.
« Avez-vous déjà utilisé un boost de compte [qui consiste à demander à quelqu’un d’autre de jouer à votre place, NDLR] et/ou acheté du matériel/des ressources pour ‘Path of Exile 2’ et ‘Diablo IV’ ? », avait demandé NikoWrex. « Il est impossible de battre les joueurs asiatiques si vous ne le faites pas », avait répondu sans sourciller Elon Musk, assurant que « tout le monde » faisait la même chose.
En d’autres termes, le patron de SpaceX a payé des gameurs chevronnés pour augmenter artificiellement le niveau de ses personnages.
Si le boost de compte est courant dans les jeux multijoueurs en ligne, ce stratagème déloyal est très mal vu par la communauté. Surtout, la pratique est contraire aux conditions d’utilisation du jeu et peut valoir un bannissement – même si la fraude est souvent difficile à prouver.
« ‘Tout le monde le fait’, l’excuse favorite des criminels et des tricheurs », fustige un internaute indigné sur Reddit, forum prisé des joueurs, tandis qu’un autre déplore un comportement « pathétique » venant de l’homme le plus riche de la planète.
Mauvais joueur
La confirmation de cette imposture vient conclure des mois de spéculations autour des performances réelles d’Elon Musk sur plusieurs jeux vidéo réputés exigeants et chronophages. L’affaire commence début novembre lorsque le milliardaire affirme faire partie des 20 meilleurs joueurs mondiaux sur un défi particulièrement ardu du jeu « Diablo IV ».
« Les jeux vidéo sont mon activité principale quand je ne travaille pas et que je ne vois pas ma famille ou mes amis. C’est un peu embarrassant à quel point je joue, à vrai dire », justifie alors Elon Musk sur X.
Si la passion du milliardaire pour le jeu vidéo est avérée, de sérieux doutes commencent à émerger au sein de la communauté des joueurs allergiques à la catégorie des « cheaters » (« tricheurs »). Comment ce patron d’entreprises de premier plan comme SpaceX et Tesla, omniprésent sur les réseaux et nouveau bras droit de Donald Trump, trouve-t-il le temps de jouer ?
Certains fans du milliardaire y voit immédiatement le signe de son QI élevé et de son exceptionnelle force de travail.
« Elon Musk a toujours été très vocal vis-à-vis de ses performances dans le jeu vidéo. C’est une manière de renvoyer l’image d’un surhomme pour celui qui veut aller coloniser Mars, en faisant appel à tous les leviers virilistes autour du culte de la performance et de l’intelligence », décrypte Héloise Linossier, journaliste et membre fondatrice du média spécialisé Origami.
En revanche, d’autres joueurs et créateurs de contenus se montrent plus sceptiques sur les talents vidéoludiques d’un Elon Musk à l’ego surdimensionné et coutumier des fanfaronnades sur son réseau social.
Les soupçons se confirment à travers une session de jeu diffusée en direct le 7 janvier par Elon Musk lui-même. Cette fois, le gameur autoproclamé se met en scène dans le jeu « Path of Exile 2 », sa nouvelle marotte, dont le « gameplay » – la jouabilité – est relativement similaire à celui de « Diablo IV ».
Mais le patron de X se prend les pieds dans le tapis de souris. Malgré son personnage de haut niveau, il semble découvrir les mécanismes les plus élémentaires du jeu. Entre une gestion calamiteuse de son inventaire et une méconnaissance évidente de la carte du monde, sa performance, visionnée plus de quatre millions de fois, est de l’avis général incompatible avec un personnage développé sur plusieurs centaines d’heures.
« Pour faire simple, il ne cliquait pas au bon endroit, il n’utilisait pas les bons objets… Bref, on voyait qu’il était complètement largué alors que pour atteindre ce niveau, il faut vraiment énormément jouer », résume Héloïse Linossier.
L’ombre de Steve Bannon
Comment expliquer les mensonges d’Elon Musk sur ses aptitudes de joueurs ? Faut-il voir dans cette lubie une simple volonté d’entretenir son propre mythe ? De renvoyer l’image d’un patron de la tech « cool », amateur de marijuana et de jeux vidéo ?
Cependant, cette effraction de l’entrepreneur américain dans le monde des joueurs les plus endurcis n’est pas aussi innocente qu’elle y paraît, affirme Héloïse Linossier. « Depuis un moment déjà, les jeux vidéo servent en politique à toucher des communautés et des démographies qui ne sont pas connectées aux médias traditionnels.
Les premiers qui ont compris cela, c’est l’extrême droite. »
Le phénomène est d’ailleurs intimement lié à l’histoire du trumpisme aux États-Unis. Parmi ceux qui ont compris en premier le potentiel politique insoupçonné des gameurs : Steve Bannon, idéologue d’extrême droite et ancien proche conseiller de Donald Trump.
En 2005, Steve Bannon est chargé de lever des fonds pour une société hongkongaise de « gold farming », activité qui consiste à jouer « professionnellement » à des jeux en ligne pour gagner des points ou des crédits et les revendre ensuite. Ce dernier ne connaît alors absolument rien aux jeux vidéo, mais en parcourant des forums, il découvre une mine d’or.
« Des millions de jeunes hommes passionnés qui se perdaient pendant des jours ou des semaines dans des mondes virtuels. S’ils n’étaient pas très sociables, ils étaient en revanche intelligents, déterminés, et avaient de la suite dans les idées […] et Bannon se demanda si ces forces considérables pouvaient êtres exploitées, et comment », écrivait en 2017 le journaliste Joshua Green dans « The Devil’s Bargain » (éd. Penguin Press).
« Il y a une similitude entre ce qui a été théorisé par Steve Bannon et le fait qu’Elon Musk soit tout le temps sur des jeux vidéo », estime Héloïse Linossier. « C’est une manière pour lui de dire ‘Je suis comme vous’, pour ensuite mieux faire passer son message » à ses 213 millions d’abonnés sur X.
À la fin de l’échange privé entre Elon Musk et le youtubeur NikoWrex, ce dernier a demandé si le milliardaire et influent patron de X comptait s’excuser auprès de la communauté des joueurs de « Path of Exile 2 ». Elon Musk lui a simplement répondu : « De quoi devrais-je m’excuser ? »
Tous les regards se tournent désormais vers Blizzard Entertainment et Grinding Gear Games, les deux éditeurs des jeux en question, pour savoir s’ils vont bannir Elon Musk. Une décision peu probable au regard de l’extraordinaire publicité gratuite générée par ce tricheur pas comme les autres.
france24