Budget 2025 : les socialistes confrontés au dilemme de la censure

Après des semaines de négociations avec l’exécutif pour tenter d’arracher des concessions sur le budget 2025, le PS est divisé sur l’attitude à adopter lors du prochain vote de censure du gouvernement. Du choix de ses députés pourrait dépendre l’avenir de François Bayrou, qui doit déclencher lundi l’article 49.3 pour faire adopter son projet de loi.

Faut-il censurer le gouvernement, au risque de priver encore la France de budget plusieurs semaines, ou ne pas censurer, et donc se désolidariser du reste du Nouveau Front populaire ? C’est le dilemme qui se pose au Parti socialiste (PS) alors que le Premier ministre François Bayrou a annoncé qu’il déclencherait le 49.3, lundi 3 février, pour faire adopter son projet de loi de finances.

Les socialistes ont tenté jusqu’au bout d’arracher des concessions au gouvernement.

Alors que les insoumis n’ont jamais participé aux discussions – estimant qu’il n’y avait rien à espérer – et que les écologistes et les communistes ont jugé que leurs lignes rouges avaient été franchies lors de la déclaration de politique générale de François Bayrou, les socialistes n’ont jamais fermé la porte des négociations, y compris après les propos du Premier ministre sur le « sentiment de submersion » migratoire, en allant chercher lors de la commission mixte paritaire ce qu’ils considèrent comme des avancées.

Mais si certains socialistes évoquent des victoires – sur la non-suppression des 4 000 postes dans l’Éducation nationale, sur le non-passage aux trois jours de carence pour les fonctionnaires, sur le maintien des critères d’accès et de l’ensemble du panier de soins de l’Aide médicale d’État, ou encore sur des coupes moins importantes qu’initialement prévues dans le Fonds vert – qui justifient selon eux de ne pas voter la censure, d’autres estiment que « le compte n’y est pas ».

Après une réunion des sénateurs vendredi et une réunion des députés samedi, le Parti socialiste a convoqué lundi un Bureau national pour arrêter une décision collective sur le vote d’une censure du gouvernement qui pourrait intervenir mercredi.

« Nous appréhendons cette semaine avec beaucoup de gravité et il est normal que nous expliquions aux Français le choix difficile que nous aurons à prendre », a expliqué le patron du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, Boris Vallaud, dans une interview publiée dimanche par Ouest-France.

« Les Français en ont assez et veulent de la stabilité »
« Je défendrai la censure au Bureau national, car nous n’avons pas obtenu suffisamment d’avancées », affirme le sénateur Alexandre Ouizille, qui a créé à la mi-janvier une boucle WhatsApp intitulée « L’amicale de la censure » réunissant une vingtaine de parlementaires.

« Ce n’est pas une position de principe, mais la non-censure ça se mérite et je considère que le compte n’y est pas. On ne peut pas en 2025 avoir un budget en régression de plusieurs milliards sur l’écologie. On ne peut pas non plus ne rien avoir en faveur du pouvoir d’achat des Français.

Le gouvernement n’a toujours pas compris qu’il n’était pas majoritaire et que le budget devait donc être un budget de compromis », regrette-t-il.

À l’inverse, d’autres socialistes, comme le patron du groupe PS au Sénat, Patrick Kanner, estime qu’il y a eu de réelles avancées et que la France a besoin d’un budget, même imparfait. « Il ne faut pas censurer. Bien sûr que nous aurions souhaité obtenir davantage, bien sûr que ce budget ne fait pas assez pour le pouvoir d’achat, la bifurcation écologique et la justice fiscale, mais nous avons obtenu des gains et la France a besoin d’un budget et de stabilité », assure-t-il.

La question a occupé les socialistes tout le week-end. L’ancien Premier ministre Lionel Jospin est même intervenu dans le débat.

« J’appelle, pour ce qui me concerne, les socialistes et même l’ensemble des forces de gauche à ne pas voter la censure », a-t-il affirmé sur France 5, jugeant que renverser le gouvernement « ne serait pas responsable ».

Mais c’est aussi en circonscription, avec les électeurs, que la question a été évoquée.

« J’ai eu l’occasion de participer à de nombreuses cérémonies de vœux et je n’ai entendu personne me dire qu’on devait censurer. Au contraire, les Français en ont assez et veulent de la stabilité. Personne ne veut voir les marchés financiers s’affoler, personne n’a envie de plans sociaux qui s’enchaînent. Le Parti socialiste doit se montrer à la hauteur des enjeux du moment », affirme Patrick Kanner, tout en ayant conscience des accusations en trahison que ne manqueront pas de subir les socialistes.

Enjeu stratégique et rapport à LFI
Car la pression en provenance des autres partis de gauche qui constituent le Nouveau Front populaire est maximale, en particulier à La France insoumise (LFI). Jean-Luc Mélenchon et l’ensemble des figures insoumises ne cessent de mettre en garde les socialistes avec virulence.

S’ils « ne votent pas la motion de censure, alors ils auront procédé à un changement d’alliance.

Ils seront dans un soutien sans participation au gouvernement et auront renié les engagements pris devant les électeurs », a répété le coordinateur de LFI, Manuel Bompard, dimanche sur BFMTV.

Derrière le choix de voter ou non la censure se cachent aussi des orientations stratégiques.

Le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, sait qu’une nouvelle censure mettrait les projecteurs sur Emmanuel Macron et poserait davantage la question de sa démission. Or, LFI, qui a présenté le 28 janvier une mise à jour de son programme présidentiel, pousse justement pour la censure afin de provoquer une élection présidentielle anticipée.

A contrario, le PS n’a ni candidat, ni programme et n’a par conséquent aucun intérêt à une telle élection.

Olivier Faure a également en tête le congrès de son parti, qui se tiendra durant l’été – les dates précises ne sont toujours pas arrêtées. Se démarquer de La France insoumise lui permet d’éteindre les critiques de ses opposants internes qui lui reprochent d’être inféodé à Jean-Luc Mélenchon.

« Il est clair que le positionnement d’Olivier Faure et de Boris Vallaud n’a plus grand-chose à voir avec ce qu’ils avaient défendu il y a deux ans lors du dernier congrès à Marseille. Ils ont fini par comprendre que LFI était une machine au service d’une personne et pas au service du pays ou des Français », souffle un parlementaire socialiste proche de François Hollande préférant garder l’anonymat.

Le député et porte-parole socialiste Arthur Delaporte, proche d’Olivier Faure et favorable à une politique de rupture avec le macronisme, mais aussi avec les années Hollande, balaye cet argument.

« Ce que disent les proches de François Hollande, mais aussi les insoumis, n’a aucun impact. Ce qui va guider notre position, c’est vraiment ce que les Français gagnent ou perdent, ce qu’on croit bon ou utile pour le pays. Mais chacun porte en lui le dilemme qui nous préoccupe tous : on est tous d’accord pour dire que le budget ne convient pas et que ce gouvernement doit être sanctionné.

Et en même temps, on a tous conscience que la France a besoin d’un budget », résume-t-il, bien conscient de la difficulté dans laquelle se trouve son parti.

france24

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