« Pallier aux manquements de l’État » : MSF loue un hôtel pour héberger les migrants de Calais

Médecins sans frontières loue, depuis début décembre et jusqu’à fin mars, 10 chambres dans un hôtel privé de Calais pour y héberger des migrants vulnérables (familles et mineurs non accompagnés). Au total 29 places sont mises à la disposition des exilés, qui peuvent y rester quelques nuits. L’ONG médicale regrette de devoir utiliser ses fonds personnels pour « pallier aux manquement de l’État » dans le nord de la France.

Entretien avec Feyrouz Lajili, coordinatrice du projet de MSF à Calais.

InfoMigrants : Depuis quand cette structure d’hébergement d’urgence est-elle ouverte ?

Feyrouz Lajili : Le lieu est opérationnel depuis le 2 décembre 2024 et fermera le 31 mars 2025.

Nous avions déjà ouvert pendant deux mois en début d’année dernière. C’est un hôtel privé où nous louons 10 chambres. Au total, nous avons 29 places.

L’hôtel a été saturé, notamment les premières semaines de décembre, mais en général, on arrive à garder une ou deux places disponibles pour des arrivées éventuelles en pleine nuit.

Depuis le 2 décembre, nous avons déjà accueilli 284 personnes.

IM : Quels sont les profils des personnes hébergées ?

FL : On cible les personnes les plus vulnérables : les familles, les femmes seules et les mineurs non accompagnés sans solution d’hébergement.

Ces gens se sont vus refuser l’accès aux structures officielles, notamment le 115 en raison d’une saturation, ou parce qu’ils avaient déjà bénéficié d’une nuit. À Calais, il existe une règle tacite qui stipule que les exilés ne peuvent obtenir qu’une seule nuit au 115.

Après avoir fait la demande auprès des structures officielles, les exilés sont orientés à l’hôtel par nos associations partenaires : Refugee women centre, le Secours catholique et Utopia 56. On ne peut pas se présenter spontanément devant l’hôtel.

IM : Comment s’organise la vie dans cet hôtel ?

FL : On fonctionne comme un centre d’hébergement d’urgence.

Les familles peuvent rester entre deux et quatre nuits dans l’hôtel, puis on leur propose de rejoindre les CAES (centre d’accueil et d’examen des situations) de la région. On les dépose le matin au départ des bus à Calais pour qu’elles aient accès aux logements gérés par l’État.

Tous les matins à 9h (du lundi au vendredi, hors jours fériés), un bus affété par une association mandatée par l’État vient chercher les exilés, rue des Huttes, pour les emmener vers les CAES.

Les migrants peuvent se reposer quelques jours dans l'hôtel loué par MSF à Calais. Crédit : MSF / Méryl Sotty

Les mineurs, eux, sont accueillis une seule nuit dans notre structure.

On demande systématiquement une mise à l’abri aux départements [les mineurs non accompagnés sont en théorie pris en charge par le département qui s’occupe de les loger, de les scolariser et d’assurer un suivi, ndlr]. À Calais et ses alentours, ils peuvent être logés cinq jours par les services étatiques en attendant l’évaluation de leur minorité.

À l’intérieur de l’hôtel, un veilleur est présent en permanence, 7j/7 et 24h/24, pour accueillir les personnes, s’assurer du bon déroulement de l’activité. Des repas sont distribués trois fois par jour avec le concours de l’association Refugees community kitchen.

IM : Pourquoi avoir décidé d’ouvrir ce lieu ?

FL : Pour pallier aux manquements de l’État, nous sommes dans l’obligation d’ouvrir ce centre d’hébergement d’urgence, avec nos propres fonds. Nous n’avons pas les moyens financiers de le maintenir tout au long de l’année.

Nous avons décidé de faire fonctionner ce lieu l’hiver, au moment où les conditions sont les plus précaires et les plus dangereuses.

C’est toujours compliqué la vie à Calais, mais en hiver les conditions sont vraiment extrêmes.

MSF héberge en ce moment dans l'hôtel une dizaine d'enfants de moins de six ans. Crédit : MSF / Mohammad Ghannam

Si ce dispositif n’était pas ouvert, la seule solution serait de distribuer des tentes aux personnes.

Et cela reviendrait à dire qu’on cautionne d’une certaine manière la façon dont ils vivent.

Tous les jours, nous sommes confrontés à des situations très précaires et extrêmement compliquées. On rencontre beaucoup de familles, dont certaines avec des enfants très petits.

En ce moment à l’hôtel, on héberge une dizaine d’enfants qui ont moins de six ans. Sans l’aide des humanitaires, ils passeraient leur nuit dehors.

On voit aussi des personnes qui ont tenté la traversée de la Manche et qui peuvent être traumatisées. Avoir un toit au-dessus de la tête permet de mettre des mots sur ses souffrances, de se poser, de réfléchir à son projet sans avoir à penser en permanence à sa survie.

Grand angle

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