Face à l’asphyxie grandissante de Téhéran, minée par une pollution extrême et sous la menace d’un séisme dévastateur, les autorités iraniennes envisagent une solution radicale : déplacer la capitale vers la côte de Makran, au bord de la mer d’Oman. Un mégaprojet qui fait grincer des dents pour son coût astronomique et ses conséquences environnementales.
Le projet paraît fou. Déplacer de 1 000 kilomètres la capitale iranienne et ses millions d’habitants vers la vaste région de Makran, au bord de la mer d’Oman. Dans ce secteur semi-désertique, où les températures dépassent les 40ºC ressentis en été, se trouvent actuellement des plages bordées d’une eau turquoise et quelques villages de pêcheurs qui font le bonheur des touristes, ainsi que le très stratégique port commercial de Chabahar. Tout le reste est à bâtir.
L’idée de déménager la capitale revient régulièrement dans les discours des dirigeants iraniens, tant Téhéran est devenue polluée et congestionnée.
Mais jusqu’ici, aucune mention d’un lieu précis n’avait été faite. Cette fois, le projet a été relancé par le président Massoud Pezeshkian depuis son arrivée au pouvoir en juillet. Et pour la première fois, son gouvernement a identifié comme site potentiel la côte de Makran, dans le sud du pays, une région excentrée proche de la frontière avec le Pakistan.
Dimanche 16 février, le ministre iranien des Affaires étrangères, Abbas Araghchi, a même affirmé que « Le ‘paradis perdu’ du Makran » devait devenir « le futur centre économique de l’Iran et de la région ».
Le projet est « à l’étude », a précisé la porte-parole du gouvernement, Fatemeh Mohajerani.
Pour Banafsheh Keynoush, membre de l’Institut international d’études iraniennes, le choix du Makran est avant tout lié à des considérations stratégiques. En matière de commerce maritime, « l’Iran cherche à concurrencer les ports maritimes de Dubaï et Gwadar », respectivement aux Émirats arabes unis et au Pakistan, relève-t-elle sur X.
By selecting #Makran as possibly the next capital city, Iran aims to compete with sea ports of #Dubai #Gwadar, boost #Chabahar despite #sanctions, advance trade routes in Indian Ocean, reassert role in Persian Gulf waterway. https://t.co/cU0vXuQuuC
— Banafsheh Keynoush بنفشه کی نوش (@BanafshKeynoush) January 7, 2025
Le lieu exact pour une nouvelle capitale n’a pas été dévoilé, mais cette région comprend la zone franche de Chabahar, pour lequel l’Iran a de grandes ambitions. Ce nouveau port, inauguré en 2017, rend possible l’accostage de navires porte-conteneurs géants venant de Chine et permet de relier les côtes africaines et asiatiques à l’Asie centrale en passant par l’Iran.
« Il y a la volonté de faire de Chabahar un hub logistique, financier et commercial, en s’inspirant de ce qui se fait dans le Golfe persique, mais aussi de faire de cette région une zone de développement qui connecte avec des terminaux gaziers vers le Pakistan ou la Chine », détaille Jonathan Piron, historien spécialiste de l’Iran pour le centre de recherche Etopia, à Bruxelles.

Une hérésie environnementale
Mais l’idée de déménager la capitale iranienne dans la région de Makran est loin de faire l’unanimité. En Iran, le média en ligne Khabar Online pointe la vulnérabilité de cette zone au changement climatique.

Autre contrainte de poids, la création de bâtiments et d’infrastructures dans cette zone semi-désertique nécessite l’installation d’air conditionné, entrainant une surconsommation d’électricité.
Et ce, alors que l’Iran est déjà frappé par une crise énergétique sans précédent.
En raison de la pénurie de gaz, principal combustible des centrales électriques dans le pays, Téhéran a connu en décembre des coupures de courants sévères, à raison de deux heures par jour, paralysant écoles, institutions et industries.
Ce qui fait dire aux spécialistes que la proposition de quitter Téhéran pour Makran est « complètement irréaliste ». Pourtant, une chose est sure : Téhéran va devenir invivable d’ici peu, estime Jonathan Piron.
Développement anarchique
Embouteillages monstres, pollution record, nappes phréatiques à sec… À Téhéran, les dégâts sont énormes après des années de laisser-aller et d’absence de toute politique d’urbanisme dans cette capitale de 15 millions d’habitants devenue démesurée.
« Le développement anarchique de la ville crée des problèmes dysfonctionnels », explique le chercheur. « On voit régulièrement cette espèce de nuage de pollution jaunâtre au-dessus de Téhéran.
Les autorités sont alors contraintes de fermer les services administratifs, et les écoles car la qualité de l’air est jugée dangereuse. »
Tous les ans, la pollution atmosphérique atteint des sommets à Téhéran entre novembre et février. Lors d’un relevé mi-décembre, la qualité de l’air avait atteint un indice AQI de 200, dépassant ainsi dix fois la concentration de microparticules polluantes PM2,5 dans l’air jugée acceptable par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
La pollution de l’air provoquerait la mort prématurée de quelque 50 000 personnes par an à travers le pays, selon le ministre iranien de la Santé Mohammad-Reza Zafarghandi.

La crainte du « Big one »
Pire encore, les Téhéranais redoutent le « Big one ». Pris en sandwich entre la plaque eurasiatique et la plaque arabique qui se rapprochent à raison de 2,5 cm par an, l’Iran est situé sur une zone sismique. Du nord au sud, de nombreuses régions sont ainsi régulièrement secouées.
La capitale iranienne n’est pas épargnée puisqu’elle est bordée par des failles actives, dont certaines traversent la ville.
Or un tremblement de terre à Téhéran pourrait être particulièrement dévastateur pour une ville aussi tentaculaire, « avec des conséquences désastreuses, parce que l’ensemble des services sanitaires ou de santé seraient dépassés », redoute Jonathan Piron.
La volonté de déplacer la capitale montre que les autorités ont conscience de ces menaces. Mais leur solution n’est pas la bonne, pointe l’ancien maire de Téhéran, Pirouz Hanachi, qui assure que des investissements – non chiffrés – « peuvent régler » les problèmes d’urbanisme de la plus grande ville d’Iran.
Un coût de 100 milliards de dollars
Relocaliser la capitale coûterait « environ 100 milliards de dollars », selon une estimation en avril 2024 de l’ex-ministre de l’Intérieur, Ahmad Vahidi.
L’agence de presse Isna, qui a pesé le pour et le contre d’un tel déménagement, voit « du potentiel » pour le Makran, amené à devenir « un important pôle économique et commercial ». Mais elle souligne que le projet risque d’alourdir le fardeau financier du pays.
Le journal Etemad, lui, cite comme atouts « l’accès à l’eau » en raison de la proximité avec la mer « et une vulnérabilité réduite aux tremblements de terre ».
Mais il met également en garde contre le coût élevé du projet et les défis logistiques sans précédent qu’il représente.
« Ce serait mettre le pays en grande difficulté que d’essayer de se lancer dans un projet aussi titanesque », estime Jonathan Piron. « L’Iran n’en a pas les moyens, même en dehors des sanctions financières. Et cela va prendre plusieurs décennies, ne serait-ce que pour construire le noyau central de cette future capitale. »
L’Iran n’est pas le seul pays de la région à rêver d’une capitale flambant neuf.
En Égypte, les autorités sont en train de se doter d’une nouvelle capitale située à une cinquantaine de kilomètres du centre historique du Caire, là encore en plein désert. Elle n’a pas encore de nom ni d’habitants, mais les autorités la surnomment déjà le « nouveau Dubaï ».
AFP