Après avoir perçu le maréchal Haftar comme une figure peu fréquentable, Washington serait en train de changer son fusil d’épaule dans l’espoir de contrarier la percée de la Russie en Afrique.
Les Etats-Unis sont en train de renforcer leurs relations avec le maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de l’Est de la Libye, pour tenter de l’éloigner de la Russie et contrarier les ambitions du Kremlin en Afrique.
C’est ce qui ressort d’une note d’analyse publiée le lundi 31 mars 2025 par The Soufan Center, un think tank américain spécialisé dans la politique étrangère, la sécurité internationale et la prévention des conflits.
Pour rappel, la Libye est gouvernée depuis la chute de Mouammar Kadhafi par deux exécutifs rivaux : l’un basé dans la capitale Tripoli dans l’Ouest, dirigé par le Gouvernement d’Union Nationale (GNU) reconnu par l’ONU, et l’autre à Benghazi dans l’Est, incarné par le Parlement et affilié au maréchal Haftar.
Ex-fidèle de Kadhafi et chef de l’autoproclamée Armée nationale libyenne (ANL), Khalifa Haftar a tenté à plusieurs reprises de s’emparer manu militari de Tripoli avec le soutien de certains alliés étrangers, dont la Russie et les Emirats arabes unis. Sa dernière tentative en date remonte à avril 2019, et il avait été stoppé in extremis en périphérie de la ville par les forces du GNU appuyées par la Turquie.
Pendant de nombreuses années, il a été déclaré persona non-grata par les USA et les autres puissances occidentales, en raison de sa répression brutale des islamistes et autres dissidents. Ce statut d’infréquentable serait cependant en train de changer, à cause de sa proximité croissante avec la Russie que les occidentaux voient historiquement d’un mauvais œil.
C’est que le positionnement et les ressources militaires russes en Afrique s’intensifient.
Les coups d’État militaires au Mali en 2020 et 2021, au Burkina Faso en 2022 et au Niger en 2023 ont par ailleurs abouti au retrait des forces américaines, françaises et d’autres nations occidentales de la région du Sahel, ainsi qu’à un afflux de forces russes.
Entre-temps, les troupes russes ont continué à renforcer leur présence en Libye.
En août 2024, quelque 2000 à 2500 membres de l’Africa Corps (organisation paramilitaire russe créée après le démantèlement du groupe Wagner) auraient été déployés sur divers sites dans le pays d’Afrique du Nord. L’engagement militaire de la Russie en Libye s’est davantage renforcé avec la récente chute du régime de Bachar el-Assad en Syrie, qui a contraint ses forces à quitter ce pays du Moyen-Orient et à se redéployer en grande partie dans les zones contrôlées par l’ANL.
Ces mouvements géopolitiques russes auraient donc contraint Washington à repenser son approche avec Khalifa Haftar.
Les responsables américains ont dès lors commencé, selon la note, à minimiser leurs griefs à son encontre, et à le considérer comme un partenaire potentiel aux vues similaires dans la lutte contre les organisations islamistes violentes.
Un pari risqué
En août 2024, le général Michael Langley, chef du Commandement des Etats-Unis pour l’Afrique (AFRICOM), a rencontré le maréchal Haftar à Benghazi, comme annoncé publiquement par l’ambassade des USA en Libye. En septembre, Celeste Wallander, haut fonctionnaire du Pentagone, a eu, toujours en Libye, une réunion de suivi avec le chef de guerre. Au terme de la réunion, ils ont fait l’éloge de l’ANL pour ses « contributions significatives au maintien de la stabilité et à la promotion de l’unité en Libye ».
L’administration Trump, qui a pris fonction au moment où la Russie redéployait ses forces de la Syrie vers la Libye, n’a pas formulé de politique spécifique à l’égard du pays nord-africain. Elle a cependant marché dans les pas de celle de Joe Biden pour tenter de détourner les allégeances d’Haftar du Kremlin.
Début février 2025, le lieutenant-général John W. Brennan, commandant adjoint de l’AFRICOM, rencontrait les dirigeants des principales entités militaires libyennes, dont le maréchal ainsi que des chefs militaires sous l’autorité du gouvernement de Tripoli, « afin de promouvoir une coopération accrue en matière de sécurité entre les USA et la Libye ».
Le chef d’état-major des forces terrestres de l’ANL, le lieutenant-général Saddam Haftar, fils le plus en vue de Khalifa Haftar, a participé à ces réunions malgré les accusations de crimes de guerre portées à son encontre par plusieurs organisations de défense de droits de l’Homme, dont Amnesty International.
Saddam Haftar, en 3e position en partant de la gauche
Fin février, le Pentagone a envoyé deux Boeing B-52 Stratofortress, des bombardiers stratégiques subsoniques à long rayon d’action, pour des exercices conjoints avec les contrôleurs aériens militaires libyens près de Syrte, ville sur la côte méditerranéenne du pays. Defense News, un média américain affilié au Pentagone, a qualifié cette opération d’initiative « visant à inciter Haftar, ses fils et leurs associés à tourner le dos aux troupes russes stationnées dans les bases militaires de l’ANL » en démontrant le rôle unique que les USA peuvent jouer dans la sécurisation de la région.
Les analystes de The Soufan Center estiment toutefois que l’approche de Donald Trump pourrait aboutir à une légitimation de la figure Haftar, ce qui pourrait inciter ce chef de guerre à renoncer au processus d’unification de la Libye parrainé par l’ONU et à lancer une nouvelle offensive pour s’emparer de l’ouest du pays.
C’est une hypothèse que laisse notamment craindre la récente prise par l’ANL de Ghadames, une zone désertique stratégique au Sud-ouest de Tripoli, à l’intersection des frontières de la Libye avec l’Algérie et la Tunisie.
Agence Ecofin