Plusieurs jours après la découverte de corps de secouristes palestiniens enterrés à Rafah, des révélations mettent à mal la version de l’armée israélienne. Plusieurs voix demandent l’ouverture d’une enquête indépendante.
La version de l’armée israélienne contredite. Le Croissant-Rouge palestinien (PRCS) a appelé lundi la communauté internationale à « former une commission d’enquête internationale indépendante et impartiale » sur la mort des secouristes à Gaza, le 23 mars dernier à Rafah, après des tirs israéliens sur leurs ambulances, à la suite d’une vidéo diffusée samedi relançant les questions sur les circonstances des décès.
Plus tôt ce lundi, l’Allemagne a appelé à une enquête « de toute urgence » sur ces faits.
« Si l’on prend connaissance de la vidéo du week-end (…), c’est vraiment terrible et les accusations choquantes doivent être élucidées de toute urgence », a déclaré un porte-parole du ministère allemand des Affaires étrangères, lors d’un point presse régulier à Berlin. « Il y a des questions très importantes sur l’action de l’armée israélienne », a-t-il poursuivi.
Accusations du Croissant-Rouge palestinien
Le Croissant-Rouge palestinien (PRCS) a déclaré que les secouristes et travailleurs humanitaires avaient été touchés par des tirs israéliens « avec l’intention de tuer ». « Il y a eu une autopsie des martyrs par le Croissant-Rouge et les équipes de la Défense civile. Nous ne pouvons pas divulguer tout ce que nous savons, mais je dirai que tous les martyrs ont été touchés dans la partie supérieure de leur corps, avec l’intention de tuer », a déclaré le président du PRCS, Younis al-Khatib, lors d’une conférence de presse à Ramallah, en Cisjordanie occupée.
Vidéo accablante
Une vidéo récupérée sur le téléphone portable d’un secouriste tué avec d’autres membres du personnel médical en mars à Gaza, selon le Croissant-Rouge palestinien, montre leurs ambulances clairement reconnaissables et gyrophares allumés, avec le bruit de tirs nourris. Sur ces images, diffusées samedi par le PRCS, des ambulances circulent, phares et gyrophares allumés. La vidéo, apparemment filmée depuis l’intérieur d’un véhicule en mouvement, montre un camion de pompiers et des ambulances circulant dans l’obscurité.
Les véhicules s’arrêtent ensuite près d’un autre garé en bord de route, et deux hommes l’un portant un uniforme d’ambulancier et l’autre un gilet de secouriste, en sortent.
On entend au même moment la voix de deux hommes parlant en arabe : l’un dit « un véhicule, un véhicule », « pourvu qu’ils n’aient rien ». L’autre dit « on dirait un accident ». Quelques secondes plus tard, des tirs nourris éclatent et l’écran devient noir.
Le Croissant-Rouge a indiqué avoir retrouvé la vidéo sur le téléphone de Rifaat Radwan, l’un des secouristes tués.
« Cette vidéo réfute catégoriquement les affirmations de l’occupant selon lesquelles (…) certains véhicules se seraient approchés de manière suspecte, sans gyrophares ni signes d’identification », a dit le Croissant-Rouge palestinien dans un communiqué samedi.
Plus tard, la porte-parole du Croissant-Rouge palestinien, Nebal Farsakh, a déclaré à des journalistes à Ramallah, en Cisjordanie occupée, que des soldats israéliens avaient « ouvert le feu de manière frénétique » sur les secouristes.
Dans la vidéo, l’ambulancier en train de filmer récite la déclaration de foi, la « shahada », traditionnellement prononcée par les musulmans avant la mort, alors que le bruit des tirs nourris continue sans cesse. Alors que les tirs continuent, il dit : « les juifs arrivent », en référence aux soldats israéliens.
Que dit Tsahal ?
La version de l’armée israélienne a changé avec la publication de la vidéo. Jeudi dernier, le lieutenant-colonel Nadav Shoshani, porte-parole de l’armée israélienne pour la presse étrangère, avait déclaré que les soldats ont ouvert le feu sur des véhicules qui n’avaient pas reçu d’autorisation préalable des autorités israéliennes et dont les phares étaient éteints, ce que dément le PRCS.
L’armée israélienne avait aussi indiqué enquêter sur « l’incident », tout en affirmant que ses soldats avaient tiré sur des « terroristes » et des « véhicules suspects ».
Samedi dernier, après la publication de la vidéo qui montre les ambulances clairement reconnaissables, gyrophares allumés, et le bruit de tirs nourris en arrière-fond, un responsable militaire israélien a reconnu que le communiqué initial de Tsahal était « erroné », relate Le Monde. L’armée israélienne maintient en revanche avoir reçu des renseignements sur le fait que six secouristes du convoi étaient des terroristes affiliés au Hamas.
Un responsable militaire a déclaré tard samedi soir à des journalistes qu’il y avait eu deux incidents le 23 mars.
Le premier s’est produit à 4 heures du matin, lorsque des soldats ont tiré sur un véhicule transportant des membres du Hamas, tuant deux d’entre eux et en arrêtant un, a-t-il indiqué sous couvert d’anonymat. Lors du second incident, à « 6 heures du matin », les soldats « ont reçu un rapport de la couverture aérienne signalant un convoi se déplaçant dans l’obscurité de manière suspecte en leur direction », a-t-il déclaré. « Ils ont ouvert le feu à distance ».
« Il n’y avait (…) aucun tir à courte distance (…) Les soldats (…) ont pensé qu’ils faisaient face à des terroristes », a-t-il déclaré.
Un responsable militaire israélien a aussi dit à l’AFP que les corps avaient été « recouverts de sable et de draps de façon à éviter leur détérioration » en attendant qu’ils puissent être récupérés. Lundi en fin de journée, le chef de l’armée israélienne a ordonné une enquête « plus approfondie ».
Un secouriste toujours disparu
Le 23 mars, 15 secouristes et personnel humanitaire ont été tués par des tirs israéliens à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, où une guerre oppose Israël au mouvement islamiste palestinien Hamas depuis près de 18 mois, selon le Croissant-Rouge et l’ONU. Il s’agit de huit membres du Croissant-Rouge palestinien, six membres de l’agence de défense civile de Gaza et d’un membre de l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens.
« Nous pensons qu’il a été arrêté », a expliqué l’organisation en citant le témoignage du seul survivant du convoi, qui dit avoir vu les soldats israéliens l’emmener les yeux bandés.
Le convoi avait été dépêché en réponse à des appels à l’aide de civils pris au piège des bombardements, selon le Croissant-Rouge.
La mort des travailleurs humanitaires a suscité un tollé international. La guerre à Gaza a été déclenchée par une attaque menée le 7 octobre 2023 par le mouvement islamiste palestinien contre Israël.
leparisien