Les autorités polonaises ont lancé vendredi une campagne d’information visant à décourager les exilés de traverser la frontière entre la Pologne et la Biélorussie. Cette campagne sera diffusée dans les sept pays d’où proviennent le plus de migrants tentant d’entrer en Pologne.
Depuis son arrivée au pouvoir fin 2023, le Premier ministre polonais multiplie les annonces visant à réduire l’immigration dans le pays. Vendredi 4 avril, Donald Tusk a dévoilé une nouvelle mesure : une campagne d’informations pour décourager les exilés de venir en Pologne.
« Nous sommes sur le point de lancer une campagne d’information dans les sept pays d’où provient le plus grand nombre des migrants qui tentent de franchir illégalement la frontière polonaise », a déclaré le chef du gouvernement dans une vidéo sur le réseau social X.
Przejścia nie ma. Polska granica jest szczelna. pic.twitter.com/LDmDohCzcZ
— Donald Tusk (@donaldtusk) April 4, 2025
Il n’a pas précisé dans quels États cette campagne aura lieu.
Selon les gardes-frontières polonais, la plupart des migrants cherchant à entrer en Pologne sont originaires du Moyen-Orient (Syrie et Yémen) et d’Afrique (Érythrée, Éthiopie, Somalie).
Ce n’est pas la première fois que des pays occidentaux lancent de telles campagnes. En mars dernier, la Belgique a indiqué qu’elle allait promouvoir sur les réseaux sociaux des vidéos visant à décourager les migrants de venir dans le pays. En juin 2023, le Royaume-Uni avait décidé de publier des messages sur Facebook et Instagram pour décourager les candidats albanais à l’exil.
Les posts prévenaient notamment les migrants qu’ils « risqu(ai)ent d’être détenus et expulsés » s’ils arrivaient illégalement dans le pays.
« Notre message sera simple : la frontière polonaise est fermée. Ne croyez pas les passeurs, ne croyez pas [le président biélorusse Alexandre] Loukachenko, ne croyez pas [le président russe Vladimir] Poutine. Ils vous mentent quand ils disent que c’est le chemin vers l’Europe. Ce n’est pas vrai », a insisté Donald Tusk. Et d’ajouter : « Vous ne demanderez plus l’asile ici et, surtout, vous ne franchirez plus illégalement la frontière polonaise ».
Plus de 30 000 tentatives en 2024
Le Premier ministre a par ailleurs rappelé que « des milliers de soldats, de gardes-frontières et de policiers, des caméras et des drones surveillent chaque mètre [de la frontière] 24 heures sur 24 ».
Dans la zone frontalière, Varsovie a installé une clôture métallique de cinq mètres de hauteur et munie d’appareils de surveillance sophistiqués. Elle y a également déployé des milliers de soldats. Environ 6 000 militaires sont actuellement déployés pour soutenir les gardes qui surveillent la frontière avec la Biélorussie, longue de 247 kilomètres.
Ce déploiement peut être porté à 17 000 soldats, si nécessaire, selon le média Euronews.
Depuis 2021, des milliers d’exilés tentent, chaque année, de gagner l’Union européenne (UE) via la route migratoire partant de Russie ou de Biélorussie et traversant la Pologne.
Les autorités polonaises, et l’Union européenne, ont plusieurs fois accusé Minsk et Moscou d’orchestrer cet afflux pour déstabiliser l’Europe. Des accusations que les régimes concernés ont toujours niées.
L’an dernier, plus de 30 000 personnes ont essayé de franchir illégalement la frontière avec la Biélorussie, selon les gardes-frontières polonais, soit une hausse de 16% par rapport à l’année précédente où 26 000 tentatives de passage y avaient été détectées – contre 15 700 en 2022 et 35 000 en 2021. Mais ces chiffres ne concernent que les tentatives, qui peuvent concernées la même personne plusieurs fois. Ainsi, en 2024, un peu plus de 10 000 exilés sont parvenus à atteindre le sol polonais depuis la Biélorussie.
Des mesures en cascades
L’arrivée au pouvoir en octobre 2023 de Donald Tusk, chef de file de la coalition d’opposition face au parti conservateur Droit et Justice (PiS) avait fait souffler un vent d’optimisme chez les ONG. Mais les humanitaires ont rapidement déchanté, tant les mesures pour lutter contre l’immigration se sont multipliées.
En mai 2024, le gouvernement a réintroduit une zone tampon de 200 m à sa frontière avec la Biélorussie, après l’agression à l’arme blanche d’un agent. Une décision similaire avait été appliquée en novembre 2021 par le précédent gouvernement nationaliste PiS, alors que des milliers de personnes tentaient d’entrer dans le pays. La population, les ONG ou encore les journalistes avaient interdiction d’y pénétrer. À l’époque, des défenseurs des droits de l’Homme et des membres de la Coalition civique (KO) de Donald Tusk avaient critiqué cette décision, estimant qu’elle entravait les efforts des travailleurs humanitaires visant à aider les migrants, notamment les femmes et les enfants.
En juillet, les députés polonais ont approuvé une loi autorisant les agents en poste à la frontière biélorusse à tirer à balles réelles sur des exilés, en situation « de légitime défense » ou de « manière préventive ».
Le mois dernier, Varsovie a entériné une loi très controversée. Le texte permet de limiter le droit de déposer une demande de protection internationale sur le sol polonais. Lorsque des autorités le déclencheront, elles devront indiquer une temporalité déterminée (six mois maximum, renouvelable par accord parlementaire) ainsi qu’une zone précise de la frontière où cette restriction s’appliquera.
Alors qu’une telle disposition contrevient au principe même du droit d’asile, la Pologne a reçu le feu vert de la Commission européenne le 11 décembre 2024 pour l’adopter.
La Commission avait en effet ouvert la possibilité de limiter le droit fondamental de demander l’asile dans des circonstances « exceptionnelles », pour les États de l’UE « instrumentalisés » par la Russie par le biais de ce qui a alors été qualifié de « menace hybride ».
Accusations de refoulements illégaux
Les ONG ne cessent de dénoncer depuis des années la politique migratoire de Varsovie, qu’elles accusent de pratiques illégales à la frontière biélorusse. Les témoignages de refoulements de migrants ne sont pas rares.
Pris en étau entre les gardes-frontières polonais et biélorusses, les exilés se retrouvent souvent à errer dans des bois très denses, gorgés de marécages.
Des « familles » et des « femmes enceintes » se perdent parfois et « peuvent rester dans la forêt pendant des jours, avec souvent un accès limité à la nourriture et à l’eau, déplorait en décembre 2023 Médecins sans frontières (MSF). Il y a eu des cas où ils ont bu de l’eau des marais et sont tombés gravement malades ».
« Les gardes-frontières frappent [les migrants], cassent les téléphones et nous aspergent de gaz dans les yeux », avait détaillé Azzedine, un jeune Soudanais rencontré par InfoMigrants, aujourd’hui installé à Varsovie. Le jeune homme a été refoulé vers la Biélorussie pas moins de huit fois, avant de parvenir à entrer en Pologne – comme il en la possibilité en vertu du droit d’asile. Ces refoulements l’ont obligé à survivre près de trois mois dans la forêt séparant les deux pays.
« Je ne m’attendais pas à subir ça. Moi, je voulais juste fuir la guerre, et trouver un pays qui me protège ».
En février, la Pologne, la Lettonie et la Lituanie comparaissaient devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour refoulement illégal de demandeurs d’asile à leurs frontières. Le jugement est attendu.
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