Comme Donald Trump aux Etats-Unis, François Bayrou a-t-il raison de s’inquiéter du déficit commercial récurrent de la France?

Une balance commerciale française déficitaire et en décrochage des voisins européens. Si le tableau est un peu moins noir que ne le présente François Bayrou, difficile d’imaginer transformer la France en puissance exportatrice en 2025.

« Nous sommes le seul pays de notre niveau dans l’Union européenne qui accumule un tel déficit commercial », a indiqué, alarmé, le Premier ministre François Bayrou lors de sa conférence de presse du 15 avril.

Et le Premier ministre de pointer un « déficit commercial qui s’élève à 100 milliards par an ».

Une comparaison douloureuse avec les autres pays européens qui affichent des excédents – l’Allemagne ou l’Italie, ou un déficit commercial bien plus faible – l’Espagne.

« La France est constamment déficitaire », relève encore le premier ministre.

Et il est vrai qu’il faut remonter à 2002 pour voir la balance commerciale être de l’autre côté de la ligne de flottaison. Trump a fait du déficit de la balance commerciale américaine l’argument massue de sa guerre déclarée à l’ensemble de ses partenaires commerciaux.

Pour la France, la situation est-elle vraiment critique?

Données premier MinistreUn déficit commercial en recul en 2024

Contrairement à ce qu’affirme François Bayrou, la France n’enregistre pas chaque année un déficit de 100 milliards. Ce chiffre correspondrait plutôt à la balance commerciale en biens pour l’année de 2023. Car exception faite de l’année 2022, marquée par la guerre en Ukraine et la crise énergétique, les chiffres sont un peu moins noirs. En 2024, le solde commercial s’est même légèrement amélioré « pour la deuxième année consécutive » comme le relève Laurent Saint-Martin, ministre délégué au Commerce extérieur, pour atteindre -81 Milliards d’euros.

L’année dernière, on a un peu moins commercé, il y a eu une rétractation des échanges », détaille Olivier Redoulès, directeur des études chez Rexecode.

Selon le rapport du commerce extérieur de la France, les exportations ont baissé en valeur de 1,6% et les importations de 4%. La relative embellie du solde commercial est donc globalement due au recul des importations et surtout à la baisse de la facture énergétique.

« Il y a eu un effet valeur de la baisse des importations car les prix de l’énergie ont baissé.

Mais c’est aussi dû à une stagnation de la consommation en biens des ménages et d’un ralentissement des investissements des entreprises », complète Olivier Redoulès.

Dynamisme dans le luxe, la pharma et excédent des services

Côté exportations, pour 2024, il faut plutôt relever de bonnes nouvelles. Si elles ont baissé en valeur, les exportations ont progressé en volume et retrouvent leur niveau d’avant crise sanitaire. Elles sont tirées notamment par le dynamisme du luxe, de l’aéronautique et du spatial ou même par le redressement du secteur pharmaceutique.

Le déficit de la balance des biens est aussi à relativiser par l’excédent record sur les services, de 48,9 milliards d’euros.

« En réalité on compense partiellement le déficit des biens par un excédent sur les services. En solde courant on vit un peu au-dessus de nos moyens », complète Olivier Redoulès.

Pas de rebond prévisible pour 2025

Le Premier ministre a appelé à réduire nos dépendances agricoles, industrielles, intellectuelles », tout en reconnaissant que le déficit énergétique serait difficile à résorber. Mais il a surtout appelé à produire bien davantage.

« La politique de retour de la production et de réindustrialisation (…) doit devenir une obsession », a lancé François Bayrou, visiblement préoccupé.

« Si on veut être une puissance industrielle, il faut afficher un excédent commercial, la force d’une industrie s’appuie sur des économies d’échelle », relève Olivier Redoulès. Et la France décroche effectivement dans l’industrie manufacturière, vis-à-vis de son voisin l’Allemagne, avec une part dans la valeur ajoutée d’à peine 11%.

Mais alors ne pourrait-on pas imaginer que la France se contente d’une économie principalement axée sur les services, comme ses voisins méridionaux qui eux affichent de meilleurs soldes commerciaux?

« La situation de la France est un peu entre les deux, élabore Olivier Redoulès. On a perdu notre industrie, mais on a pas suffisamment développé nos services. Si l’on veut une économie de services, alors ils faut que nos services soient très productifs, dans le consulting ou l’IT par exemple. »

Et donc qu’attendre de notre balance pour l’année à venir, sur fond de guerre commerciale tous azimuts?

« La situation va ressembler à ce que l’on a pu connaître à la fin du Covid, c’est-à-dire des perturbations de l’échelle d’approvisionnements mondiale, et donc beaucoup de volatilité. Il pourra y avoir des effets d’accordéon, par exemple beaucoup d’importations avant un relèvement des tarifs ».

La guerre commerciale risque donc de déstabiliser les échanges mondiaux, et la France ne fera pas exception. En l’état, difficile d’imaginer un redressement majeur, qu’il soit conjoncturel ou structurel.

bfmtv

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