Les militants et les migrants font face à une hausse des criminalisations, selon un rapport

Dans un rapport publié mardi, l’ONG belge PICUM documente l’augmentation constante de la criminalisation des migrants et des personnes venant en aide aux exilés en Europe. Dans un contexte de durcissement de la législation européenne, les migrants sont désormais poursuivis pour l’acte même de migrer illégalement mais aussi de plus en plus pour des accusations de trafic d’êtres humains.

Selon un rapport de l’ONG belge PICUM (Plateforme pour la coopération internationale sur les sans-papiers) qui promeut le respect des droits de l’Homme des sans-papiers en Europe, les cas de criminalisation des migrants et des militants venant au secours des exilés sont en nette et constante hausse ces dernières années.

« C’est la quatrième année consécutive que nous observons une augmentation des niveaux de criminalisation des migrants et des personnes qui les aident.

Et ce que nous pouvons observer n’est que la partie émergée de l’iceberg » affirme Silvia Carta, chargée de plaidoyer à PICUM et auteure de l’étude.

Car cette tendance inquiétante, qui n’est pas nouvelle, reste très probablement sous-estimée faute de données statistiques et officielles, mais aussi de nombreux cas non rapportés ou non répertoriés dans les médias.

Accusés d’être des passeurs
Avec la nouvelle législation européenne plus répressive, actuellement en discussion, c’est l’acte même de migrer qui est condamné.

D’après les chiffres recensés par l’ONG en 2024, au moins 91 migrants en Italie, en Grèce et en Espagne ont été incriminés pour facilitation de la migration irrégulière, de contrebande et d’autres chefs d’accusation. Et 84% d’entre elles étaient poursuivies pour franchissement irrégulier des frontières.

Des accusations accolées à des circonstances aggravantes, telles que l’appartenance à une organisation criminelle, peuvent encore alourdir les peines.

Un accusé arrive au tribunal de Mytilène, à Lesbos, en janvier 2023. Crédit : InfoMigrants

De plus en plus, les exilés sont donc accusés d’être des passeurs et poursuivis pénalement pour trafic d’être humains.

Certains sont suspectés d’avoir conduit un véhicule ou dirigé un bateau pour passer une frontière ou encore soupçonnées d’avoir aidé à gérer les passagers à bord. En Italie et en Grèce, plusieurs survivants de naufrages ont ainsi été poursuivis en tant que passeurs.

La proposition de directive sur la facilitation risque d’amener les migrants eux-mêmes à être accusés de trafic de migrants
En réalité, selon les ONG, le plus souvent le migrant n’est qu’un simple passager qui aide à la distribution de nourriture et d’eau, en assistant les blessés, ou encore en utilisant son téléphone par exemple. Des témoignages rapportent également une contrainte par la menace armée pour prendre les commandes d’un navire ou d’un véhicule.

Criminalisation de la solidarité envers les migrants
En parallèle, au moins 142 militants ont été poursuivis en 2024 pour avoir aidé des migrants en Europe, s’est aussi indignée l’ONG de protection des sans-papiers. Selon le décompte de Picum, l’année dernière, plus de 80 personnes ont été poursuivies pour avoir secouru ou aidé des migrants en mer et une vingtaine pour leur avoir fourni de l’eau, de la nourriture ou des vêtements.

Ces situations ont surtout eu lieu en Grèce, en Italie, Pologne et en France mais d’autres cas ont été relevés en Bulgarie, Lettonie, à Chypre et Malte.

Un groupe de migrants, principalement originaires du Yémen, reçoit l'aide de militants d'organisations humanitaires dans la forêt près de Grudki, en Pologne, le 4 juin 2024. Crédit : Reuters

Cinq personnes, par exemple, ayant apporté une aide humanitaire à la frontière Pologne/Biélorusse risquent jusqu’à cinq ans de prison.

L’ONG mentionne aussi le cas de sept militants basques accusés d’avoir profité du passage d’une course pour faire franchir la frontière entre l’Espagne et la France à 36 migrants en mars 2024. Ils devraient être jugés début octobre de cette année.

« La criminalisation de la solidarité avec les migrants est profondément liée à la criminalisation de la migration elle-même.

Il ne s’agit pas de deux questions distinctes, mais d’un continuum de politiques migratoires restrictives qui rendent le franchissement des frontières dangereux et créent un environnement hostile à l’encontre de ceux qui sont considérés comme étant entrés de manière irrégulière », a déclaré Silvia Carta.

Note d’espoir toutefois pour les humanitaires : les tentatives pour décourager les ONG et défenseurs des droits des migrants de leur porter secours se traduisent majoritairement par des acquittements ou un abandon des charges. En 2024, les procédures judiciaires ont pris fin pour 43 des 142 personnes incriminées.

280 ans de prison
Reste que le Pacte sur la migration et l’asile, une vaste réforme qui durcit le contrôle de l’immigration en Europe et devrait entrer en fonction en 2026, pourrait encore élargir les motifs de criminalisation des migrants mais aussi de l’aide humanitaire.

Picum alerte depuis plusieurs années sur la criminalisation des sans-papiers.

En 2023, 117 militants avant déjà été incriminés dans l’Union européenne : 88 l’ont été pour avoir secouru ou aidé des migrants en détresse en mer. D’autres pour avoir distribué de l’eau, de la nourriture ou des vêtements, tandis que certains ont été poursuivis pour leur participation à des protestations et des manifestations.

En Grèce, un pêcheur égyptien et son fils de 15 ans avaient été accusés de contrebande car le père pilotait le bateau de migrants.

En réalité, il avait accepté ce rôle à contrecœur pour ne pas avoir à payer leur voyage. Il a été condamné à 280 ans de prison et son fils doit désormais répondre pour les mêmes accusations devant un tribunal pour mineurs.

Après 10 ans de procédures judiciaires, une femme, incriminée en 2014 pour avoir acheté des billets de train à des réfugiés syriens en Sicile (Italie) a finalement été acquittée.

Cependant, la lenteur des procédures (en moyenne trois ans) n’est pas sans conséquence sur les finances, la santé psychologique et la vie personnelle des mis en cause.

Déposé fin mars, un projet de rapport dirigé par l’eurodéputée socialiste allemande Birgit Sippel, doit être discuté au Parlement européen. Il exempterait l’aide humanitaire de la criminalisation ce qui permettrait de clarifier cet aspect.

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