Pologne : les migrants, boucs émissaires de la campagne présidentielle

À l’approche du premier tour de l’élection présidentielle en Pologne, le 18 mai, les fausses informations visant les migrants pullulent sur les réseaux sociaux. Les candidats de droite et d’extrême-droite jouent ainsi avec la peur de l’étranger et accusent le gouvernement pro-européen de Donald Tusk d’être trop laxiste dans sa politique migratoire.

Dans la dernière ligne droite avant le premier tour de l’élection présidentielle en Pologne, prévu le 18 mai, les candidats de droite et d’extrême-droite s’en prennent à la politique migratoire du gouvernement pro-européen de Donald Tusk. Ils l’accusent notamment de laisser l’Allemagne submerger la Pologne de migrants.

Le candidat du parti nationaliste Droit et Justice (PiS) Karol Nawrocki et celui de la formation d’extrême-droite libertarienne Confédération, Slawomir Mentzen, sont devancés dans les sondages par le maire pro-européen de Varsovie, Rafal Trzaskowski.

Mais ils peuvent compter sur les réseaux sociaux, caisse de résonance de fausses informations visant les étrangers.

Le candidat du parti nationaliste Droit et Justice (PiS) Karol Nawrocki, lors d'un tournoi de football, à Gdańsk, en Pologne, le 17 avril 2025. Crédit : Reuters

Une vidéo partagée des milliers de fois en début d’année, y compris par des élus du PiS et de Confédération, était censée illustrer la reconduite d’un migrant à la frontière polonaise par la police allemande. L’homme était en fait un sans-abri polonais.

D’autres images détournées sont aussi largement diffusées sur les réseaux, selon la même rhétorique : ici, des prières de rue « à Varsovie », en fait filmées en Italie. Là, un groupe de jeunes migrants dans un village polonais à « Pâques 2025 » – une photo vieille, en réalité, de plusieurs mois.

« Narratif anti-allemand »
La désinformation anti-migrants prospère depuis des années en Pologne, terre d’accueil de très nombreux réfugiés ukrainiens et en proie à une pression migratoire. Mais « la nouveauté est qu’elle est conjuguée désormais avec le narratif anti-allemand, qui se nourrit de phobies anti-allemandes et anti-européennes », explique à l’AFP Anna Mierzynska, spécialiste indépendante des réseaux sociaux.

Les deux phénomènes convergent quand Karol Nawrocki accuse le gouvernement de Donald Tusk d’avoir « abdiqué » face à l’Allemagne sur la question migratoire ou que Slawomir Mentzen appelle la police polonaise à « arrêter les policiers allemands » qui déposent des « migrants illégaux » sur le sol polonais.

Le chef du gouvernement Donald Tusk est accusé de laxisme sur la question migratoire. Crédit : Picture alliance

Un chiffre circule beaucoup, celui de 10 000 migrants – prétendument originaires du Moyen-Orient et d’Afrique – renvoyés par l’Allemagne. Il s’agit en fait des refus d’entrée en Allemagne en 2024, pour 60% des Ukrainiens, faute notamment de passeports valides, a récemment expliqué le ministère de l’Intérieur polonais.

« C’est de la manipulation des chiffres à des fins politiques », déplore Monika Szulecka, chercheuse au même Centre d’études.

Les réfugiés ukrainiens sont aussi largement visés par la désinformation en ligne. Ainsi cette vidéo à l’audio trafiqué, censée montrer une « Ukrainienne ingrate » insatisfaite des colis alimentaires reçus en Pologne. Ou cette autre vidéo devenue virale, qui prétend montrer une réfugiée collectionnant les passeports pour cumuler les allocations – à l’origine un clip satirique, selon le site polonais Konkret24.

Ces publications font écho aux éléments de langage poussés par l’extrême-droite Confédération qui s’en prend régulièrement au million d' »Ukrainiens ingrats » vivant en Pologne.

« Pas de hausse particulière du nombre de migrants entrant en Pologne »
Les spécialistes rappellent que la réalité est bien plus nuancée. « Nous n’observons pas de hausse particulière du nombre de migrants entrant en Pologne. Ni venus par la frontière Est, ni celle de l’Ouest », déclare à l’AFP Marta Kindler, chercheuse et professeure adjoint au Centre d’études sur les migrations de l’Université de Varsovie.

« On voit arriver en Pologne principalement des ressortissants asiatiques, tels que des Philippins, des Indiens et des Népalais et des ressortissants sud-américains, notamment des Colombiens, et moins de migrants en provenance d’Afrique », précise-t-elle.

Slawomir Mentzen, le candidat de la formation d'extrême-droite libertarienne, Confédération, le 20 mars 2025. Crédit : Reuters

Mais dans cette avalanche de fausses informations, difficile pour le public de s’y retrouver.

D’autant que « les effets continus de la guerre [en Ukraine] et de la crise migratoire de 2021 [quand des milliers de migrants ont afflué en Pologne depuis la Biélorussie voisine, ndlr] sont toujours présents et entretiennent le sentiment de peur », estime Lukasz Olejnik, analyste et chercheur au département d’études sur la guerre du King’s College de Londres.

Ces rumeurs relayées par les partis de droite et d’extrême droite viennent aussi nourrir des manifestations anti-migration, dont la prochaine est prévue le 10 mai à Varsovie.

« Dans cette campagne, l’objectif est d’éveiller des peurs », souligne aussi Katarzyna Bakowicz, professeure à l’École supérieure SWPS de Varsovie et coordinatrice de CEDMO, un observatoire anti-désinformation auquel participe l’AFP. « La désinformation est simplement un outil pour y parvenir ».

Politique migratoire de Donal Tusk « plus restrictive »
L’arrivée au pouvoir à l’automne 2023, de Donald Tusk, chef de file de la coalition d’opposition face au parti conservateur Droit et Justice (PiS), avait fait souffler un vent d’optimisme chez les ONG. Mais les humanitaires ont rapidement déchanté, tant les mesures pour lutter contre l’immigration se sont multipliées. « La politique migratoire du gouvernement Tusk est, à certains égards, plus restrictive que celle de ses prédécesseurs du PiS », note Marta Kindler.

En mai 2024, le gouvernement a réintroduit une zone tampon de 200 m à sa frontière avec la Biélorussie, après l’agression à l’arme blanche d’un agent.

Une décision similaire avait été appliquée en novembre 2021 par le précédent gouvernement nationaliste PiS, alors que des milliers de personnes tentaient d’entrer dans le pays. La population, les ONG ou encore les journalistes avaient interdiction d’y pénétrer. À l’époque, des défenseurs des droits de l’Homme et des membres de la Coalition civique (KO) de Donald Tusk avaient critiqué cette décision, estimant qu’elle entravait les efforts des travailleurs humanitaires visant à aider les migrants, notamment les femmes et les enfants.

Des migrants dans la forêt, à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie. Crédit : Reuters

En juillet, les députés polonais ont approuvé une loi autorisant les agents en poste à la frontière biélorusse à tirer à balles réelles sur des exilés, en situation « de légitime défense » ou de « manière préventive ».

En mars dernier, Varsovie a entériné une loi très controversée. Le texte permet de limiter le droit de déposer une demande de protection internationale sur le sol polonais. Lorsque des autorités le déclencheront, elles devront indiquer une temporalité déterminée (six mois maximum, renouvelable par accord parlementaire) ainsi qu’une zone précise de la frontière où cette restriction s’appliquera.

Le mois suivant, le gouvernement a lancé une campagne d’information visant à décourager les exilés de traverser la frontière entre la Pologne et la Biélorussie.

« Nous sommes sur le point de lancer une campagne d’information dans les sept pays d’où provient le plus grand nombre des migrants qui tentent de franchir illégalement la frontière polonaise », avait déclaré le chef du gouvernement dans une vidéo sur le réseau social X.

« Notre message sera simple : la frontière polonaise est fermée. Ne croyez pas les passeurs, ne croyez pas [le président biélorusse Alexandre] Loukachenko, ne croyez pas [le président russe Vladimir] Poutine. Ils vous mentent quand ils disent que c’est le chemin vers l’Europe. Ce n’est pas vrai », avait insisté Donald Tusk.

Et d’ajouter : « Vous ne demanderez plus l’asile ici et, surtout, vous ne franchirez plus illégalement la frontière polonaise ».

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