On a assisté au procès (fictif) de l’Etat français pour sa gestion du cyclone Chido à Mayotte

Simulation•A Nantes, des élèves de terminale ont mis en scène ce mardi un procès fictif pour inaction climatique opposant des victimes du cyclone de Chido à l’Etat français

euillez vous lever ! » Une trentaine de personnes réunies au sein d’un amphithéâtre de la faculté de droit, à Nantes, s’exécute. Une porte s’ouvre. Quatre jeunes magistrats arborant de parfaites toges rouges et noires s’installent à leur chaise. « La parole est au requérant », lance le juge, frappant le bois avec son marteau. L’affaire du jour ?

Une association représentant les victimes du cyclone Chido à Mayotte attaque l’Etat français devant la cour européenne des droits de l’homme pour la gestion de cette catastrophe naturelle qui a provoqué, selon le dernier bilan officiel, la mort d’au moins 40 personnes. Sauf que tout est fictif.

Car durant une heure ce mardi, des élèves de terminale du lycée public Guist’hau, à Nantes, en spécialité science économique et sociale, ont simulé un procès pour inaction climatique. Les adolescents se sont grandement inspirés de l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme le 9 avril 2024 qui a condamné la Suisse pour son manque d’action en faveur de la lutte contre le réchauffement climatique.

Une élève pointe les « lacunes » de la France
A tour de rôle, ces élèves, dont la plupart se destinent à des études de droit, se sont succédé à la « barre », récitant à toute vitesse leur plaidoirie inscrite sur une feuille. « N’est-il pas évident qu’un territoire à risque et propice aux aléas naturels doit être protégé ? » interroge une requérante de l’association, elle aussi inventée, Justice pour Mayotte. « Pourtant, ça n’a pas été le cas pour Mayotte. »

Elle pointe les « lacunes » de l’Etat vis-à-vis de la vulnérabilité d’un territoire qui n’a pas été préparé à un « tel phénomène météorologique ».

Toujours selon elle, la population de Mayotte n’a pas été suffisamment sensibilisée au risque naturel. En cause : le manque d’accès à l’éducation. « Une étude menée depuis 2015 par le Conseil économique social environnemental a dressé un constat terrifiant, voire alarmant : un tiers des plus de 15 ans n’ont jamais été scolarisés et 74 % des jeunes mahorais connaissent des difficultés de lecture. »

L’Etat condamné (fictivement) à verser 1 million d’euros
Les acteurs de ce faux procès se sont prêtés au jeu à fond, citant de nombreux articles de la convention européenne des droits de l’homme qu’ils estiment bafoués par la France.

En réponse à ces griefs, les avocats de la défense ont tenté de démontrer que l’Etat français s’est mobilisé en engageant des « ressources d’urgence », en débloquant des fonds. Sur la prévention du cyclone, les jeunes avocats ont rappelé que ce phénomène a fait l’objet « d’une surveillance constante des autorités compétentes », que sa trajectoire a été anticipée 54 h avant son impact.

Des informations qui ont permis de diffuser un plan d’urgence.

« Dans les heures qui ont suivi, des gendarmes, pompiers et équipes médicales se sont mobilisés, des évacuations ont lieu vers la Réunion, un pont aérien pour apporter des vivres a été mis en place, l’eau et l’électricité ont été rétablies en priorité », a abondé le jeune garçon.

Considérant la violation de quatre articles de la convention européenne des droits de l’homme, l’association Justice pour Mayotte a demandé au tribunal de condamner l’Etat français à verser un dédommagement aux victimes à hauteur de 5 millions d’euros.

La cour a, elle aussi, relevé de nombreuses défaillances dans la gestion de la catastrophe : absence d’évacuation dans les bidonvilles, insuffisance de centre d’hébergement d’urgence, alerte rouge déclenchée trop tard…

Lors du délibéré, le juge a considéré que l’Etat ne peut être « entièrement responsable » après le passage d’une tempête au caractère « exceptionnel ». Malgré cela, la cour européenne a condamné l’Etat français à verser un dédommagement d’un million d’euros aux victimes de Mayotte.

« Leur prise de parole était fluide »
Le procès s’achève sous une pluie d’applaudissement. Les visages se détendent. « La cour a été très courageuse », ironise à voix haute Elisabeth Lambert, directrice de recherche au CNRS. Croisé dans les couloirs de la faculté de droit, Pierre Sonnet, l’enseignant en charge de superviser l’exercice, a salué la prestation de ces élèves.

« J’ai trouvé que leur prise de parole était fluide, il y avait forcément un peu de stress mais ils se sont bien entraînés ».

Ce projet pédagogique est le fruit d’un partenariat entre le lycée Guist’hau, le CNRS et l’université de Nantes qui vise à sensibiliser les lycéens au monde de la justice.

Durant le procès fictif, une élève s'est mis dans la peau d'une dessinatrice judiciaire.

Depuis le mois de février, les 28 élèves de Pierre Sonnet, professeur de Science économique, se sont exercés à la création de A à Z d’un procès. Au choix ? Mayotte, donc, ou le combat de l’application Yuca contre les industriels de produits ultratransformés.

Des chercheurs du CNRS les ont aidés à construire leur argumentation, adopter de bonnes postures et employer le vocabulaire juridique approprié.

De nombreuses ressources (comptes rendus d’audience, retransmission vidéos de procès…) ont été mises à disposition des élèves afin de les familiariser avec les spécificités de la justice. Le projet qui s’apparente à un entraînement avant le grand oral du Bac ne fait pas l’objet d’évaluation. « J’ai simplement décidé de valoriser leur participation dans le cadre de Parcoursup’ », confie Pierre Sonnet.

« La justice peut être un outil pour bousculer les Etats »
Si les chercheurs du CNRS ont proposé aux lycéens de s’intéresser à la gestion du cyclone Chido, c’est qu’ils sont persuadés que ce genre d’affaire se multipliera dans les années à venir.

« On sait qu’il y aura d’autres procès climatiques devant la cour européenne des droits de l’homme, anticipe Elisabeth Lambert.

On peut imaginer que cette affaire opposant des victimes du cyclone Chido à l’État Français soit portée devant la cour européenne des droits de l’homme, une fois avoir épuisé les voies de recours interne ». Le 8 avril dernier, 14 habitants de Mayotte ont attaqué l’Etat français pour son manque d’adaptation au changement climatique.

L’arrêt rendu par la cour européenne le 9 avril 2024 a, pour la première fois, reconnu le droit pour les populations d’être protégé des conséquences du réchauffement climatique.

« C’est très positif et encourageant pour les jeunes aujourd’hui, la justice peut être un outil pour bousculer les Etats et leur dire : « si vous n’en faites pas assez, ce sont des vies humaines qui sont en jeu » », conclut Elisabeth Lambert.

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