Aung San Suu Kyi a sans surprise été condamnée par la junte militaire ce lundi. D’autres sanctions pourraient tomber contre l’ancienne dirigeante birmane.
Reverra-t-on un jour Aung San Suu Kyi ? La prix Nobel de la paix 1991 a été condamnée ce lundi à quatre ans de prison en Birmanie pour incitation aux troubles publics et violation des règles sanitaires liées au Covid. La première sanction d’une probable longue série. Jugée depuis le printemps dans son pays, Aung San Suu Kyi est également inculpée pour une multitude d’infractions : importation illégale de talkies-walkies, sédition, corruption, fraude électorale… De quoi, peut-être, passer sa vie derrière les barreaux, ou a minima, sous une contraignante résidence surveillée.
« Les lourdes peines infligées à Aung San Suu Kyi sur la base de ces accusations bidon sont le dernier exemple en date de la détermination de l’armée à éliminer toute opposition et à asphyxier les libertés en Birmanie », a réagi ce lundi l’ONG de défense des droits Amnesty International dans un communiqué. Retour, depuis le 1er février, sur le sort de la « Dame de Rangoun », étroitement lié au récent coup d’Etat militaire dans ce vaste pays intercalé entre le Bangladesh, la Chine et la Thaïlande.
- Arrestation surprise le 1er février
Le cauchemar de l’ancienne dirigeante débute le 1er février. Avec un certain sens du timing, le chef de l’armée birmane décide, en pleine pandémie mondiale, d’un « état d’urgence d’un an » dans le pays. Un coup d’Etat qui ne dit pas son nom, et qui met brutalement fin aux espoirs démocratiques en Birmanie, nés dix ans plus tôt. Aung San Suu Kyi est immédiatement arrêtée.
Les militaires justifient encore aujourd’hui leur action par des « irrégularités massives » constatées lors des élections du 8 novembre, largement remportées par son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), au détriment des groupes favorables à l’armée. Alors même que les observateurs internationaux ont qualifié à l’époque ce scrutin de « globalement libre et équitable ».
Aung San Suu Kyi est depuis tenue au secret dans la capitale Naypyidaw, ses contacts avec l’extérieur se limitent à de brèves rencontres avec ses avocats. Beaucoup de ses proches ont été arrêtés ou sont en fuite.
- Depuis mars : procès reporté, poursuites « absurdes » et soucis de santé
Les premiers procès ne tardent pas à débuter. Dès le 1er mars, Aung San Suu Kyi entame son marathon judiciaire. Mais des problèmes de connexion Internet puis l’épidémie de Covid-19 repoussent les échéances.
En attendant la tenue de nouvelles élections d’ici l’été 2023, comme promis par les militaires, l’ex-dirigeante est de retour face à la justice mi-juin. Elle est alors jugée dans un tribunal étroitement gardé pour « non-respect des restrictions liées au coronavirus », ainsi que pour une supposée violation d’une loi sur les télécommunications. Mais aussi, une « importation illégale de talkies-walkies ». Ce dernier motif illustrant bien « l’absurdité » des griefs de la junte militaire contre la politicienne, selon ses avocats. Nombre de détails sur les dossiers en cours sont gardés secrets par le nouveau pouvoir. Aung San Suu Kyi est aussi accusée de « sédition », aux côtés de l’ancien président de la République Win Myint.
A ces griefs s’ajoutent l’impossibilité ou presque, pour la prix Nobel de se défendre. Aung San Suu Kyi n’est autorisée que deux fois, avant juin, à rencontrer son équipe juridique. Deux rencontres d’une trentaine de minutes.
Après de multiples reports, le procès d’Aung San Suu Kyi reprend début septembre. Mais cette fois, la dirigeante ne s’y présente pas pour des raisons de santé. Un mal des transports puis la fatigue liée aux nombreuses audiences sont évoqués. Dans le même temps, de nouvelles poursuites s’ajoutent aux premières. Aung San Suu Kyi se voit notifier la tenue d’un autre procès, dès le 1er octobre, pour quatre chefs d’accusation de corruption. Chacun d’entre eux étant passible d’une peine allant jusqu’à quinze ans de prison. Aung San Suu Kyi est enfin inculpée pour avoir violé une loi sur les secrets d’Etat datant de l’époque coloniale. La coupe est pleine.
- Décembre : première condamnation
Ce lundi, l’ex-cheffe du gouvernement civil « a été condamnée à deux ans de prison en vertu de la section 505(b) et à deux ans de prison en vertu de la loi sur les catastrophes naturelles », a déclaré un porte-parole de la junte Zaw Min Tun, qui sanctionnent le trouble à l’ordre public et les règles sanitaires liées au Covid. Les peines les plus légères, peut-être, avant les différents procès pour sédition ou encore corruption, qui pourraient mettre à l’ombre Aung San Suu Kyi jusqu’à la fin de ses jours.
L’ancien président Win Myint a été condamné à la même peine, a-t-il dit, ajoutant qu’ils ne seraient pas conduits en prison pour le moment. « Ils devront faire face à d’autres accusations depuis les lieux où ils séjournent actuellement » dans la capitale Naypyidaw, a-t-il confirmé, sans donner plus de détails.
Ces condamnations « relèvent de la vengeance et d’une démonstration de pouvoir de la part des militaires », a dénoncé Richard Horsey, expert sur la Birmanie à l’International Crisis Group. Ce dernier voit cependant Aung San Suu Kyi purger sa peine « à son domicile » ou dans une maison d’hôtes « fournie par le régime ».
Le châtiment infligé à la prix Nobel de la paix s’inscrit dans une répression plus large à l’égard de tous les opposants politiques. Selon une ONG locale de défense des droits, plus de 1300 personnes ont été tuées et plus de 10 000 arrêtées dans le cadre de la répression de la dissidence depuis le coup d’État.
En octobre, une autre ONG, l’Asian Network for Free Elections (ANFREL) déplorait des affrontements de plus en plus violents entre la junte et les opposants. Dans ce contexte, l’ONU réclame depuis cet automne une « réponse internationale » à la crise birmane. Celle-ci doit notamment « s’accompagner de la libération immédiate du président Win Myint, de Aung San Suu Kyi et d’autres représentants de l’Etat », souhaite le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. Le temps presse. « Il pourrait devenir de plus en plus difficile d’empêcher les militaires de consolider leur pouvoir. » Et aux Birmans de retrouver, un jour, la démocratie.