Selon des révélations du site EUobserver publiées lundi, des mercenaires russes du groupe Wagner ont pris le commandement en Centrafrique d’un bataillon pourtant formé par l’Union européenne. Une illustration supplémentaire de l’efficacité de la lutte d’influence que la Russie mène depuis plusieurs années dans ce pays. Cette stratégie pourrait servir de modèle ailleurs, comme au Mali.
Formé par l’Union européenne, mais commandé par des mercenaires russes à la solde du Kremlin. Le bataillon d’infanterie territoriale 7 (BIT 7) des forces armées centrafricaines, entraîné par des instructeurs européens, répond dorénavant aux ordres des mercenaires du groupe Wagner, affirme le site EUobserver dans une enquête publiée lundi 29 novembre.
Cette publication bruxelloise a pu consulter un rapport du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) – l’équivalent pour l’UE d’un ministère des Affaires étrangères – constatant que le BIT 7 est « actuellement contrôlé par du personnel du groupe Wagner » qui l’utiliserait à sa guise en « violation des accords avec la Mission de formation de l’Union européenne en République centrafricaine (EUTM RCA) sur la transparence » de l’emploi des troupes.
Pied de nez russe
Cette « récupération » russe de soldats centrafricains est gênante à plus d’un titre pour Bruxelles. D’abord, le bataillon d’infanterie territoriale 7 a été le premier à être entraîné par des instructeurs européens depuis le début des hostilités en décembre 2020 entre les forces gouvernementales et les groupes armés de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC), souligne le Service européen pour l’action extérieure.
L’EUTM RCA insistait encore début octobre sur la « fierté » des soldats du bataillon d’infanterie territoriale 7 de porter le badge de l’EUTM sur leur uniforme à l’occasion de la cérémonie marquant la fin de leur entraînement par les Européens. Quelques jours plus tard, ils passaient pourtant sous le commandement du groupe Wagner…
C’est aussi un pied de nez de Moscou aux efforts européens pour limiter les agissements de ses mercenaires sur le continent africain. Échaudés par les rumeurs de l’arrivée du groupe Wagner au Mali, les pays européens – France en tête – ont multiplié les déclarations sur d’éventuelles sanctions à venir contre ces soldats à la solde de Moscou.
Josep Borrell, le patron de la diplomatie européenne, a encore assuré, mardi, que des annonces allaient être faites en ce sens lors de la prochaine réunion des ministres des Affaires étrangères des États membres prévue le 13 décembre.
Pour l’instant, ces menaces ne semblent pas empêcher le groupe Wagner de gagner du terrain et de l’influence en République centrafricaine et de recevoir, en échange de son implication, des licences permettant à des sociétés russes d’exploiter des mines d’or et de diamants sur place. Rien d’étonnant : ces mercenaires ont eu le temps de s’implanter dans le pays. La Centrafrique a en effet été le premier territoire en Afrique – avec Madagascar – sur lequel Moscou a jeté son dévolu pour expérimenter sa stratégie militaro-diplomatique.
Le rouleau compresseur Wagner
Fin 2017, c’est sur demande russe que l’embargo international sur les ventes d’armes à la Centrafrique a été en partie levé afin de pouvoir mieux équiper les troupes gouvernementales. Quelques mois plus tard, le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra « invitait les premiers militaires du groupe Wagner à venir l’aider contre les groupes armés rebelles », rappelle Daniel Munday, spécialiste des politiques d’influence chinoise et russe en Afrique à l’université de Birmingham et auteur d’une étude sur la présence du groupe Wagner en Centrafrique, interrogé par France 24.
Depuis lors, ces mercenaires n’ont fait qu’augmenter en nombre, notamment à la faveur des affrontements en cours depuis la fin de l’année dernière entre les forces gouvernementales et la Coalition des patriotes pour le changement. À la suite de l’élection présidentielle de décembre 2020, contestée par les groupes rebelles, la Russie « a annoncé l’envoi d’une troisième livraison d’armes et de 600 ‘instructeurs’ supplémentaires, ce qui fait monter le contingent russe officiellement à environ 2 600 ‘instructeurs’, même si en réalité il y en a probablement plus », souligne le Service européen pour l’action extérieure dans son rapport. Un nombre bien supérieur aux Européens de l’EUTM RCA qui ne sont que 365, rappelle Le Monde.
« La République centrafricaine est en train de devenir le modèle de l’effort multifacette russe pour gagner en influence en Afrique », constate Daniel Munday. Il y a, d’abord, le volet diplomatique avec Moscou – qui a obtenu l’assouplissement de l’embargo sur les ventes d’armes -, puis le soutien logistique et militaire, et enfin les « campagnes de désinformation afin de dénigrer la présence des autres forces en présence comme la France, l’Union européenne ou l’ONU à travers les troupes internationales de maintien de la paix de la Minusca », explique le chercheur britannique.
Surtout, l’exemple de la République centrafricaine illustre la difficulté pour les autres puissances à s’opposer au rouleau compresseur du groupe Wagner. « L’avantage de faire appel à ces mercenaires pour les dirigeants africains est qu’ils ne sont pas officiellement liés à l’État russe, ce qui permet à ces pays de les utiliser tout en maintenant qu’il n’y pas d’ingérence d’un pays étranger », explique Daniel Munday.
En outre, ajoute cet expert, « ils sont moins regardant que les troupes européennes sur le respect des droits de l’Homme, ce qui peut être un avantage aux yeux de certains dirigeants autoritaires en Afrique, qui cherchent surtout à défaire les groupes rebelles, quel que soit le prix à payer ». Le groupe Wagner a été accusé à de multiples reprises, notamment par le Parlement européen fin novembre 2021, de s’être rendu coupable de nombreuses exactions contre les populations civiles en Afrique.
Enfin, ces mercenaires russes semblent aussi mieux comprendre les attentes des soldats locaux. « De nombreux témoignages recueillis sur place démontrent que la formation dispensée par les Russes est mieux perçue que celle de l’EUTM RCA, notamment parce qu’ils fournissent le matériel, vont sur le terrain avec les troupes centrafricaines et fournissent aussi de la nourriture, ce que les Européens ne font pas », note le Stockholm International Peace Research Institute dans une étude évaluant l’impact de la mission de formation européenne en Centrafrique et publiée en février dernier.
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Des sanctions contre-productives ?
Autant de raisons qui font que des experts comme Daniel Munday ne sont pas étonnés que le groupe Wagner puisse se permettre aujourd’hui de prendre le commandement, en toute impunité, de troupes formées par l’Union européenne. « Le rapport européen illustre simplement à quel point les mercenaires russes sont devenus centraux dans le dispositif sécuritaire du pays et à quel point ils sont liés à l’armée officielle », résume le chercheur britannique.
D’où une mise en garde aux autorités européennes qui cherchent la bonne réponse à apporter aux agissements russes en Afrique. Alors que Bruxelles promet des « mesures restrictives » contre le groupe Wagner, Daniel Munday soutient que si l’Europe réussissait, maintenant, à bouter ces mercenaires hors de Centrafrique, « le risque serait de déstabiliser encore plus le gouvernement et rendre la situation encore plus dangereuse ».
En clair, des sanctions « sans engagement en parallèle à augmenter la présence internationale sur place risque d’être contre-productive », conclut-il. Or, pour l’instant, rien n’indique que l’Europe serait prête à s’investir davantage. Au contraire, les constatations du SEAE révélées par EUobserver amènent l’Union européenne à procéder « à un examen de la stratégie en cours », a assuré Nabila Massrali, porte-parole de Josep Borrell, interrogée par l’AFP. Un examen qui pourrait même déboucher sur « une éventuelle cessation de la mission », a-t-elle reconnu.
Daniel Munday tire une leçon de la situation en Centrafrique : le meilleur moyen de s’opposer aux ambitions russes en Afrique est d’empêcher le groupe Wagner de commencer à s’implanter quelque part, sinon il est presque déjà trop tard. D’où, d’après lui, l’importance pour la France et les autres acteurs internationaux d’agir vite au Mali. « Ils doivent être vraiment à l’écoute de ce que le pouvoir malien demande et trouver des réponses satisfaisantes dans le respect de nos valeurs » afin de couper l’herbe sous les bottes des mercenaires russes.
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