À Hérat, dans l’ouest de l’Afghanistan, Médecins Sans Frontières (MSF) constate une augmentation inquiétante de la malnutrition, aggravée chez les bébés de moins de six mois. Plus d’un enfant sur cinq soigné dans la clinique d’Hérat, ne survit pas à la faim.
En Afghanistan, la faim se propage et les nourrissons sont les premiers touchés. La malnutrition, déjà bien ancrée dans un pays miné par quarante ans de guerres, s’est aggravée ces dernières années après de sévères sécheresses. L’arrivée des Taliban au pouvoir le 15 août, et les sanctions internationales qui s’en sont suivies, ont précipité le pays dans une grave crise humanitaire.
Devant l’afflux d’enfants souffrant de malnutrition, Médecins sans Frontières (MSF), qui dispose d’une clinique spécialisée, installée juste à côté de l’hôpital public d’Hérat, est passée ces derniers mois de 40 à 75 lits. L’ONG y reçoit une soixantaine de nouveaux patients chaque semaine et réclame la levée des sanctions internationales touchant l’aide humanitaire.
Plus d’un enfant sur cinq qui arrive dans cette clinique de la plus grande ville de l’ouest de l’Afghanistan, ne survivra pas. Sarah Château, responsable du programme Afghanistan de MSF, dresse un constat alarmant.
France 24 : Quelle situation rencontrez-vous à Herat ? Les Afghans sont-ils en train de vivre une famine ?
Sarah Château : L’Organisation mondiale de la Santé ne parle pas encore de famine. Mais les indicateurs sont inquiétants dans le pays, surtout chez les plus petits. Nous avons ouvert le centre d’alimentation thérapeutique de Hérat en 2019 avec 40 lits. C’est la première fois que nous avons dû monter à 75 lits cette année, avec parfois jusqu’à deux enfants soignés par lit.
Nous soignons beaucoup d’enfants de moins de deux ans, et particulièrement des bébés de moins de six mois qui souffrent de malnutrition. De nombreuses mères sont-elles même malnutries, elles se privent de nourriture pour que leurs autres enfants s’alimentent, puis elles se retrouvent dans l’incapacité d’allaiter.
Le taux de mortalité infantile liée à la malnutrition est très élevé, il atteint 15 %, alors que sur les centres d’alimentation thérapeutique, il est généralement de 3 à 5 %. À Hérat, nous avons déploré 55 décès entre octobre et novembre. Sur 2021, 240 enfants sont morts, dont 117 de moins de six mois. L’un des problèmes que nous rencontrons, c’est que nos patients arrivent trop tard à l’hôpital et la plupart des enfants décèdent dans les 24 premières heures. L’une des raisons c’est qu’ils viennent de loin, certains parcourent plus de 200 kilomètres.
L’Afghanistan connaît une sécheresse depuis quelques années, mais ça n’est pas ce facteur qui a engendré cette vague de malnutrition. Le problème vient de la crise financière que traverse le pays : les banques sont fermées, il n’y a pas assez de liquidités, les retraits d’argent liquide sont plafonnés à 200 dollars par semaine et par famille. Ce que nous racontent les collègues sur le terrain, c’est que les étals du marché d’Hérat ne sont pas vides, seulement les gens ne peuvent plus acheter de quoi nourrir toute la famille. À cela s’ajoute l’inflation : nous estimons à 20 % l’augmentation du coût des dépenses quotidiennes des Afghans. Or les gens ont peu ou pas du tout de travail. Certains salariés de la fonction publique, des hôpitaux notamment, n’ont pas été payés depuis six mois.
Dans quel état se trouve le système de santé afghan ?
Le système de santé s’est écroulé. Il n’y a plus de bailleurs. La moitié des hôpitaux ne sont plus financés. La Banque mondiale finançait près de 75 % du système de santé afghan, or elle a gelé ses financements après la prise de pouvoir des Taliban. L’ONU n’a pas encore levé les sanctions sur l’humanitaire alors que les États-Unis ont accordé des exemptions.
En attendant, tout le système repose sur les ONG. Il y a des enfants qui arrivent chez nous avec une malnutrition qui est la conséquence d’une autre maladie, d’une pathologie chronique ou d’une malformation cardiaque par exemple. Des patients se retrouvent là car les hôpitaux afghans n’ont plus de moyens de s’occuper d’eux.
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Nous avons augmenté nos capacités un peu partout. À Hérat, l’hôpital dispose d’un service de pédiatrie, nous étions en discussion pour les appuyer dans ce domaine, mais tout s’est accéléré. Nous assurons désormais le service des soins intensifs et de la réanimation pédiatrique pour la région. Il leur manque des ressources, ils n’ont que 24 infirmières et 8 médecins – des internes – pour s’occuper d’une centaine de lits avec trois à quatre enfants par lit. Le CICR [Comité international de la Croix-Rouge] a lui aussi doublé son budget. Ils vont financer 18 hôpitaux dans le pays.
Nous sommes nombreux à appeler à la levée des sanctions sur l’aide humanitaire car cette crise risque de s’aggraver.
Les Taliban ont-ils entravé vos actions sur le terrain ?
Tous nos projets en Afghanistan sont restés actifs. Au contraire, nous avons augmenté notre réponse opérationnelle. Jusqu’ici, nous n’avons pas subi de restrictions pour travailler, y compris pour notre personnel féminin. Près de 70 % de nos employés à Hérat sont des femmes et elles travaillent.
Nous avons plutôt reçu des réassurances de la part des contacts que nous avons eu avec les Taliban. Au niveau national et régional, ils sont très demandeurs du fait que nous puissions prendre en charge les enfants, car le système de santé s’est écroulé.
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