Les chercheurs étudient les effets de la pandémie sur le marché du travail dans le monde depuis le printemps 2020. Les statistiques laissent entendre que le ralentissement économique fut plus brutal l’an dernier que ne l’avait été en 2009 la récession déclenchée sur l’ensemble du globe par la crise financière mondiale. La pandémie s’est traduite dans les économies développées par une montée du chômage et a paralysé les progrès réalisés en matière de réduction de la pauvreté et de la faim dans un certain nombre de pays à faible revenu.
Une nouvelle enquête réalisée par les Nations unies mesure l’efficacité des systèmes fiscaux et de redistribution en Afrique subsaharienne lors de la crise du Covid-19, et fournit ainsi un important complément aux recherches effectuées sur les pays à revenu élevé ou intermédiaire. L’étude utilise des modèles de microsimulation des politiques fiscales et de redistribution mises en œuvre nationalement afin d’évaluer les effets des mesures de transfert dans les premiers mois de la pandémie au Ghana, au Mozambique, en Tanzanie, en Ouganda et en Zambie.
D’après les conclusions de ce rapport, les mesures prises dans ces pays pour amortir les pertes de revenu consécutives aux confinements furent généralement bien ciblées, mais les montants alloués trop faibles et les bénéficiaires trop peu nombreux pour compenser les conséquences économiques de la pandémie. Sur les cinq pays étudiés, seule la Zambie, où le programme de transfert d’urgence (Covid-19 Emergency Cash Transfer) contrebalance pour partie le choc de pauvreté, a mis en œuvre d’importantes mesures budgétaires discrétionnaires en réponse à la pandémie. Certains pays ont introduit des systèmes d’exonération des factures d’eau et d’électricité, mais ceux-ci n’ont guère permis d’atténuer les pertes de revenu.
Un certain nombre de facteurs restreignent en Afrique la capacité des systèmes fiscaux et de redistribution à venir en aide aux populations lors d’une crise économique. À la différence de l’Europe, l’économie de la plupart des pays africains repose en grande partie sur un secteur informel, la protection sociale est peu développée et les prestations sous conditions de revenu sont relativement rares. Ainsi une grande majorité des ménages en Afrique subsaharienne ne sont-ils pas automatiquement éligibles aux aides sociales lorsqu’ils subissent un choc brutal de revenu. De même, seul un petit nombre des employés du secteur formel, généralement mieux payés avant transferts, peuvent prétendre à des réductions ou des reports automatiques de leurs échéances fiscales.
La part de ces stabilisateurs automatiques fut donc plus limitée en Afrique subsaharienne qu’en Europe aux premiers stades de la pandémie, mais leur efficacité fut similaire à celle qui a été constatée dans les pays andins. Cela souligne s’il en était besoin la nécessité de « formaliser » les immenses secteurs informels de l’économie africaine afin d’étendre le nombre de bénéficiaires potentiels des programmes de protection sociale par cotisation, et d’améliorer les capacités du système fiscal à amortir les chocs négatifs de revenu. Ainsi, à l’exception du dispositif tanzanien, dont les montants et la portée demeurent limitées, aucun des cinq pays étudiés ne dispose actuellement d’un système d’assurance-chômage.
Le rapport des Nations unies montre aussi quels secteurs de l’économie – et quelles tranches de la répartition des revenus – ont le plus souffert de la crise du Covid-19 en Afrique subsaharienne. Dans les cinq pays, le secteur des services, et notamment l’hôtellerie et la restauration, compte invariablement parmi les secteurs d’activité les plus durement touchés en 2020. Bien sûr, ces résultats ne valent pas seulement pour l’Afrique mais aussi pour les économies les plus développées.
Fort heureusement, l’agriculture ne s’est contractée l’an dernier dans aucun des pays africains étudiés, ce qui a évité à bien des ménages pauvres de voir s’effondrer leurs revenus. De nombreux ménages d’Afrique subsaharienne ont par ailleurs accru leurs activités agricoles en 2020, ce qui pourrait avoir eu un effet amortisseur supplémentaire, tandis que des pays comme le Mozambique ont bénéficié de récoltes exceptionnelles. Mais ces bonnes nouvelles soulignent aussi à quel point la subsistance de nombreuses populations africaines dépend de la stabilité des conditions climatiques, loin d’être garantie en une ère d’intensification des changements climatiques.
Dans les cinq pays d’Afrique subsaharienne qu’examine l’étude des Nations unies, les effets négatifs de la pandémie sur la pauvreté et les inégalités furent, au début, relativement modestes. Mais la multiplication des cas de Covid-19, la lenteur avec laquelle la vaccination se met en place, et la limitation des ressources budgétaires qui pourraient permettre d’étendre les programmes de protection sociale sont pour l’année à venir et au-delà, lourdes de risques.
Alors que la pandémie s’installe, l’épuisement des ressources publiques dans de nombreux pays en développement souligne l’importance de la perception de l’impôt, à moyen et court terme. L’aide internationale au développement pour la protection sociale demeurera également indispensable afin de maintenir les niveaux actuels d’assistance, même limités, aux populations pauvres et vulnérables.
La réorganisation des systèmes fiscaux et de redistribution en Afrique, pour permettre de mieux répondre aux crises économiques, est aussi une question de données. À la différence des études similaires menées dans le monde développé, les chercheurs des Nations unies qui se sont penchés sur l’Afrique subsaharienne n’ont pu avoir accès à des données détaillées d’enquêtes sur l’évolution des revenus durant la pandémie. Ils ont dû recourir à des techniques originales pour évaluer les perturbations subies par les revenus suite au choc économique qu’ont éprouvé les différents secteurs d’activité. L’obtention de données à jour indiquant l’ampleur des conséquences de la récession sur les revenus des ménages sera indispensable à la compréhension et à la gestion des effets de la pandémie de Covid-19, mais aussi des crises à venir.
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