Vendredi, la justice française doit statuer dans le cadre d’une affaire opposant 145 Camerounais au groupe Bolloré, accusé de non-respect des droits humains et environnementaux dans des plantations d’huile de palme. Ces dernières années, les activités africaines de la multinationale française, implantée dans 46 pays du continent, font l’objet de plusieurs poursuites judiciaires.
Le groupe Bolloré a-t-il manqué à ses obligations en matière de droits humains et de protection de l’environnement ? Vendredi 7 janvier, le tribunal de Nanterre doit statuer dans le cadre d’une affaire opposant 145 Camerounais à la multinationale française sur les conditions d’exploitation d’huile de palme dans ce pays d’Afrique de l’Ouest.
Les plaignants, qui vivent aux abords des plantations, réclament au groupe Bolloré des documents permettant d’établir ses liens avec la Société camerounaise de palmeraies Socapalm, qu’ils accusent de violer leurs droits. Cette procédure a pour but d’établir la responsabilité du groupe français et d’obtenir des compensations.
Présent depuis le milieu des années 1980 en Afrique, l’entreprise Bolloré s’est muée en un empire implanté dans 46 pays du continent, investissant dans divers domaines tels que le rail, le transport de marchandises ou encore les plantations agricoles.
Le groupe Bolloré est dirigé par l’industriel français Vincent Bolloré. Cette multinationale, parmi les plus puissantes de France, est également investie dans la communication, les médias ou bien encore dans les batteries électriques. Mais depuis quelques années, ses activités africaines font l’objet de plusieurs affaires judiciaires qui entachent l’image de l’entreprise. France 24 fait le point.
Le groupe agro-industriel Socfin dans le viseur des ONG
L’action en justice des 145 Camerounais contre le groupe Bolloré a été engagée à la rentrée 2021, mais la décision de justice attendue vendredi n’est que le nouvel épisode d’une longue saga judicaire.
Depuis plus de dix ans, des ONG internationales et des citoyens camerounais dénoncent les violations présumées des droits humains et environnementaux de l’entreprise de production d’huile de palme Socapalm, pointant la responsabilité du groupe Bolloré. Cette entreprise appartient à la société belgo-luxembourgeoise Socfin, elle-même détenue à 38,7 % par le groupe français.
En 2010, quatre ONG, dont l’organisation française Sherpa, ont lancé une première action contre le groupe Bolloré en déposant un recours devant le Point de contact national français (PCN, organisme qui défend les principes de bonne conduite des entreprises de l’OCDE). Cette action a abouti, en 2013, à une médiation entre les ONG et le groupe Bolloré, au cours de laquelle est élaboré un plan d’action pour protéger les communautés locales.
Pourtant, les années suivantes, des groupes de riverains et travailleurs continuent de dénoncer l’absence de dialogue avec la Socfin sur l’amélioration de leurs conditions de vie. En 2016, une enquête de France 2, réalisée dans l’une de ces plantations, montre des sous-traitants travaillant sans vêtements de protection, certains présentés comme mineurs, et logés dans des conditions insalubres.
Vincent Bolloré attaque alors France Télévisions et l’auteur du reportage Tristan Waleckx, dénonçant des mensonges. Il perdra ses deux procédures engagées en France. Une procédure lancée au Cameroun par la Socapalm pour diffamation est toujours en cours.
Le 27 mai 2019, jugeant que le plan d‘action négocié avec le groupe Bolloré n’est toujours pas appliqué, dix ONG, dont Sherpa, assignent devant la justice française la multinationale, réclamant l’application forcée de ces mesures au Cameroun. Le groupe français, pour sa part, met en avant “sa qualité d’actionnaire minoritaire” mais qu’il “continue d’exercer son influence” lors des conseils d’administrations de Socfin “sur la prise en compte des impacts sociaux et environnementaux liés à ses activités”.
Des affaires de conflits fonciers
Outre les accusations liées à l’impact environnemental et aux conditions de travail, les ONG mobilisées sur ce dossier affirment que la Socapalm mène des campagnes d’intimidation afin d’exproprier les communautés locales et de confisquer leurs terres.
Des accusations rejetées par la filiale camerounaise de Socfin qui affirme n’accaparer ni ne posséder aucune terre puisque celles-ci “sont louées à l’État”. Ces accusations ne concernent pas que le Cameroun : en Sierra Léone, au Nigeria ou bien encore au Cambodge, des ONG accusent également des filiales locales de la société Socfin d’accaparer des terres.
Le 3 juin 2016, des dizaines de militants ont organisé une opération coup de poing au siège du groupe Bolloré en France, à Puteaux, le jour du conseil d’administration, bloquant l’entrée de la tour pour dénoncer « les expansions continues » des plantations de palmiers à huile et d’hévéas en Afrique et en Asie, « le plus souvent au détriment des communautés locales ».
Quelques mois plutôt, 80 Cambodgiens de l’ethnie bunong avaient lancé une action en justice en France contre le groupe Bolloré, l’accusant d’avoir détruit leur forêt ancestrale, transformée en plantations de caoutchouc. Une bataille remportée par l’entreprise française en juillet 2021, les plaignants étant en incapacité de justifier “d’un droit réel ou personnel pour exploiter les terres litigieuses”, selon le jugement. L’avocat des paysans a fait appel de cette décision.
Accusations de corruption au Togo et en Guinée
Autre dossier et non des moindres, les accusations de corruption visant Vincent Bolloré et ses deux proches collaborateurs, Gilles Alix, directeur général du groupe, et Jean-Philippe Dorent, directeur international de l’agence Havas, filiale de Bolloré.
En 2013, une enquête judiciaire est ouverte contre le groupe français, soupçonné d’avoir favorisé la réélection du dirigeant du Togo, Faure Gnassingbé, et l’accession au pouvoir du président guinéen, Alpha Condé, par l’intermédiaire de sa filiale publicitaire Havas, qui aurait sous-facturé ses services. En échange, les deux dirigeants africains auraient permis à Vincent Bolloré de récupérer les concessions portuaires de Lomé et de Conakry.
En juin 2019, la procédure concernant la Guinée est annulée par la cour d’appel de Paris pour cause de prescription. Mais le groupe Bolloré, ainsi que son dirigeant Vincent Bolloré et ses deux proches collaborateurs restent poursuivis dans le dossier togolais.
Jugés le 26 février 2021 devant le tribunal de Paris, les trois hommes reconnaissent les faits qui leur ont été reprochés au Togo comme en Guinée. Ils plaident coupable pour les faits de corruption active d’agent public étranger et complicité d’abus de confiance au Togo, et acceptent le paiement d’une amende de 375 000 euros.
Mais cette procédure, négociée en amont avec le Parquet financier, et qui devait éviter la tenue d’un procès, est rejetée par le tribunal judiciaire de Paris, qui estime que les faits sont trop graves.
La justice française accepte le paiement d’une amende de 12 millions d’euros pour clore les poursuites contre le groupe. Mais les trois personnes accusées dans ce dossier devront bien être jugées devant un tribunal correctionnel. Dans ce dossier, Vincent Bolloré et ses deux proches collaborateurs encourent une peine maximum de cinq ans de prison.
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