Pourquoi la France se prépare à faire tourner ses centrales à charbon à plein régime

A picture taken on February 13, 2020, from Lavau-sur-Loire, western France, shows the ruins of a house in a flooded area, as the Cordemais coal-fired power station is seen in the background, on the banks of the Loire river. (Photo by Loic VENANCE / AFP)

Le gouvernement français a préparé un décret qui permettra, d’ici fin janvier, aux deux centrales à charbon encore en activité sur le territoire de produire au-delà du seuil qui avait été fixé pour limiter les émissions polluantes. 

Les médias allemands ont sauté sur l’occasion. “La France relance ses centrales à charbon”, titrait en une de son site le Frankfurter Allgemeine Zeitung, l’un des principaux quotidiens allemands, vendredi 7 janvier au matin.

Dans le contexte de passe d’armes entre Berlin et Paris au sujet de leurs politiques énergétiques respectives, certaines voix outre-Rhin soulignent avec malice le paradoxe de la situation. La France qui vante les bienfaits “écolo” de sa sacro-sainte énergie nucléaire – honnie en Allemagne – se retrouverait obligée de remettre du très polluant charbon dans son mix énergétique. “C’est une pique de bonne guerre”, reconnaît Nicolas Goldberg, senior manager énergie pour le cabinet de conseil Colombus Consulting, contacté par France 24.

Des marges de manœuvres très restreintes

En réalité, Paris n’a pas encore ouvert en grand la pompe à charbon. Mais le gouvernement s’y prépare avec un décret élaboré par… le ministère de la Transition énergétique. Le texte, qui doit être voté fin janvier, permettra de relever “le plafond d’émission de gaz à effet de serre pour les installations de production d’électricité à partir de combustibles fossiles”.

Autrement dit, les centrales à charbon françaises, limitées depuis le 1er janvier 2022 à des émissions de CO2 équivalentes à 700 heures de fonctionnement sur l’année, verront ce seuil révisé à la hausse pour atteindre 1 000 heures sur l’année. Mais uniquement jusqu’au 28 février 2022.

Cette mesure concerne les deux sites encore en activité : la centrale de Cordemais (Pays de la Loire), et celle de Saint-Avold (Moselle). Pour cette dernière, ce sera même son baroud d’honneur, puisqu’elle sera ensuite définitivement fermée en mars.

Ce recours de dernière minute aux très polluantes centrales à charbon – qui émettent 68 fois plus de CO2 que les centrales nucléaires pour produire de l’électricité, selon le Giec – est censé “être plus sécurisant face au risque de pénurie d’électricité car nous n’avons jamais eu aussi peu de marge de manœuvre que cet hiver”, assure Nicolas Goldberg. Rien ne dit que la France va manquer d’énergie et les températures plus douces en ce début d’année suggèrent qu’il n’y aura probablement pas de pic de consommation.

Mais le décret a été négocié en fin d’année dernière et la situation énergétique était alors bien moins reluisante. “Les autorités n’étaient pas sereines : il faisait très froid et alors que nous étions en période de creux structurel [consommation d’énergie plus basse en fin d’année dans les entreprises en activité réduite, NDLR], les importations d’énergie étaient au plus haut”, rappelle le spécialiste des questions d’énergie chez Colombus Consulting. En outre, rien ne dit que la météo sera clémente en février.

Des réacteurs nucléaires manquent à l’appel

D’autres solutions que les centrales à charbon existent pourtant : le gouvernement peut, par exemple, avoir recours au mécanisme d’effacement contractualisé qui consiste à demander à certains gros consommateurs d’électricité, comme les papeteries ou les stations d’épuration, de reporter une partie de leur consommation contre une indemnisation. Les opérateurs peuvent aussi organiser une baisse de tension sur le réseau ou opérer des coupures de courant localisées, mais c’est précisément ce que le gouvernement cherche à éviter.

“L’an dernier, je vous aurais dit que ces mesures ponctuelles étaient suffisantes pour passer l’hiver sereinement sans avoir besoin de recourir au charbon, cette fois-ci je n’en suis pas sûr”, souligne Nicolas Goldberg. En effet, d’autres facteurs expliquent pourquoi la situation est actuellement plus tendue. D’abord, l’absence de vent qui fait que les éoliennes génèrent moins d’électricité que ce qui était prévu, soulignent Les Échos.

Augmenter les importations d’énergie n’est pas non plus une solution très attractive. Non seulement la France s’est plus que d’habitude fournie sur les marchés internationaux, mais  les prix restent très élevés.

Surtout, le nucléaire ne produit pas autant d’électricité que d’habitude. Une douzaine de réacteurs sur les 56 en France sont actuellement à l’arrêt pour maintenance, ce qui fait que le parc nucléaire n’est qu’à 78 % de sa capacité de production, note BFM.

Quatre réacteurs, et non des moindres, – deux à la centrale de Chooz (Ardennes) et deux à celle de Civaux (Vienne) – ont dû être arrêtés à cause de la détection de défauts dans les tuyauteries. Des arrêts inopinés qui privent la France de ses réacteurs les plus puissants, responsables de près de 10 % de la capacité nucléaire hexagonale, rappelle le journal Les Échos.

Ces incidents s’ajoutent à un calendrier de maintenance des centrales nucléaires chamboulé à cause de la crise sanitaire. Et EDF ne peut plus se permettre de repousser certaines opérations, alors même que, si les températures se remettent à baisser et que le vent ne se lève pas plus, la France aurait besoin de toutes les capacités de production du nucléaire. Ne serait-ce que pour éviter de devoir ouvrir en grand le robinet à charbon à un moment où la France assure que grâce au nucléaire, elle fait partie des bons élèves “verts” européens.

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