Une droite qui avait commandé fin août des sondages dans l’espoir de s’éviter la case primaire interne, une gauche qui n’en finit pas de débattre de l’intérêt de s’unir face à des intentions de vote trop faibles, une fulgurante percée d’Éric Zemmour dans les études d’opinion… Durant ce début de campagne présidentielle, les sondages ont souvent alimenter les débats partisans, mais leur fabrication semble parfois toujours opaque.
À trois mois jour pour jour du premier tour de l’élection, BFMTV.com vous explique comment ces études sont fabriquées, de la commande à la publication.
• Étape 1: la commande du sondage
Les commanditaires de sondages politiques peuvent être très variés. Il peut s’agir d’un média, d’un think-tank ou d’un parti politique. « C’est souvent du coup par coup », explique Jérôme Sainte-Marie, le président de Pollingvox, auprès de BFMTV.com. »Mais une relation de confiance peut s’établir entre un institut de sondages et une chaîne par exemple qui va après avoir tendance à faire appel aux mêmes équipes. »
« Nous avons des contrats le temps de la présidentielle avec un certain nombre de médias », décrypte de son côté Mathieu Gallard, directeur de recherche pour Ipsos. En cette année de campagne, l’institut Elabe réalise par exemple un sondage hebdomadaire pour BFMTV et L’Express, avec notre partenaire SFR.
Si le nombre de sondages totaux pour la présidentielle de 2022 n’est évidemment pas encore connu, ils ont explosé ces dernières années. En 2002, 193 sondages avaient été publiés contre 560 en 2017, d’après les chiffres de la Commission des sondages, une autorité administrative chargée de les contrôler.
• Étape 2: la rédaction des questions
Une liste des questions est préparée par l’institut de sondages et ensuite validée par le commanditaire. « Chaque lundi, nous réfléchissons à plusieurs sujets que nous proposons à BFMTV », explique ainsi Vincent Thibault, sondeur pour Elabe. « On écrit ensuite une dizaine de questions sur le sujet, validées par la chaîne. »
« On a souvent affaire à des candidats ou des journalistes qui sont au clair sur ce qu’ils veulent demander aux personnes interrogées », estime de son côté Mathieu Gallard. Cette étape est pourtant vue comme des plus délicates de la fabrication d’un sondage, confient plusieurs experts, car la formulation d’une question peut influencer la réponse. Elle « est éminement politique », reconnaît un sondeur.
« Il y a des interrogations qui sont faciles à verbaliser, d’autres plus compliquées. Ça nous arrive de refuser certaines questions qu’on estime vraiment trop sensibles ou quand on pense que les gens ne s’interrogent pas du tout sur le sujet que souhaite le client », nous explique un sondeur.
La formulation des sondages autour de la présidentielle est plus classique. « Si le premier tour de l’élection présidentielle avait lieu dimanche prochain, pour lequel des candidats suivants voteriez-vous? », interroge par exemple Elabe pour connaître les intentions de vote des Français.
• Étape 3: la constitution du panel
Une fois les questions listées, le sondeur les « programme » auprès d’un échantillon représentatif de la population française. « Très concrètement, on cherche à avoir des répondants dont l’ensemble se rapproche le plus possible de la population en termes d’âge, de catégorie socio-professionnelle, de sexe, de lieu de vie… », résume Vincent Thibault d’Elabe à BFMTV.com.
« On choisit généralement un échantillon de 1000 personnes. C’est un bon compromis entre l’efficacité – parce qu’on est sur un chiffre relativement important – et le coût que cela représente pour nous », avance encore l’expert.
« Les statistiques montrent plutôt qu’un échantillon de 1000 répondants est la bonne échelle », estime Jérôme Sainte-Marie. « Ce n’est pas parce qu’on interroge 2000 personnes que le sondage est deux fois plus fiable. »
Cette étape est souvent effectuée par un prestataire extérieur, la société Bilendi, qui peut s’appuyer sur un panel de centaines de milliers de Français. « On fait des campagnes publicitaires sur internet pour proposer aux gens de répondre à des sondages (…) et de gagner des cadeaux », explique Marc Bidou, son PDG, à BFMTV. Potentiel problème de cette méthode: si Bilendi s’engager à vérifier la qualité de son panel, impossible pour l’institut de sondages qui passe par un prestataire de s’assurer par lui-même de sa qualité.
« On s’est parfois rendu compte qu’une personne pouvait dire qu’elle était un homme de 50 ans et dans une autre étude, une femme de 25 ans », explique un directeur d’une société de sondages. « Ça fausse les résultats. Normalement, le prestataire vérifie mais on n’a pas de moyen de le contrôler. »
Certains instituts, à l’instar d’Ipsos, ont d’ailleurs fait le choix de s’appuyer sur leur propre panel afin de pouvoir le composer et le vérifier à leur guise.
• Étape 4: le « terrain »
Si les sondages ont longtemps été principalement réalisés par téléphone, la récolte des opinions se fait désormais essentiellement en ligne. « On a certains biais méthodologiques avec cette technique. On sait par exemple que les moins de 25 ans et les ouvriers sont plus difficiles à ‘recruter’ avec cette méthode », explique Vincent Thibault. « Il faut plus d’efforts pour aller chercher des personnes peut-être plus éloignées des méthodes de recrutement de panels mais on y arrive », nuance Jérome Sainte-Marie.
Internet a un avantage pour les sondages politiques, note tout de même Marc Bidou de Bilendi. Parmi les personnes qui votent aux extrêmes, « il y a des gens qui n’osaient pas révéler leur vrai vote quand on était en face-à-face ou par téléphone, il y avait une peur du jugement ». Internet permet, selon lui, d’éviter ce biais.
Sur le web, dans une optique de rationalisation des coûts, les participants répondent aux questions de plusieurs sondages. Concrètement, chez certains instituts, il est possible d’être interrogé en même temps sur ses préférences au supermarché et ses opinions politiques – Elabe, partenaire de BFMTV, affirme ne pas procéder ainsi pour les sondages sur les intentions de votes.
« Quand on voit ça de l’extérieur, je comprends bien que cela semble un peu étrange », reconnaît un ancien sondeur, devenu depuis collaborateur d’élu. « Mais ce qui fait tourner les instituts, ce sont les grandes entreprises. La politique, c’est un peu la cerise sur le gâteau qui donne un certain prestige mais qui rapporte peu. Donc on ne peut pas se permettre que cela coûte trop cher. »
Les personnes qui ont accepté de participer à un sondage sont ensuite dédommagées par des chèques cadeaux. « C’est comme une carotte qui permet de motiver les participants », estime Jérôme Sainte-Marie pour BFMTV.com. « Mais on parle de tous petits montants, entre 15 et 30 euros le plus souvent. Je ne vois pas bien en quoi ça peut influencer les réponses. »
• Étape 5: le redressement
Une fois les données collectées, l’institut examine les réponses des personnes sondées et procéde à ce qu’on appelle le redressement. « Cette étape est source de bien des fantasmes », sourit Vincent Thibault. « Il nous permet de nous assurer de l’équilibre de nos données. Par exemple, on va demander aux personnes interrogées pour qui elles ont voté en 2017. »
« Si les électeurs d’Emmanuel Macron sont surrepresentés par rapport au score qu’il a fait réellement, on va minorer leur poids », explique le sondeur. « Même chose si on se rend compte qu’on a trop de cadres par exemple ou trop de Bretons… »
Au sein de cette étape de redressement se pose une question très sensible: celle de garder ou non dans l’échantillon analysé les personnes peu certaines d’aller voter.
« La plupart des instituts gardent les répondants qui se disent sûrs entre 80 et 100% d’aller voter pour le premier et le second tour », explique Jérôme Sainte-Marie. « Certains analysent seulement les réponses des personnes certaines à 100% de se déplacer. D’autres encore tiennent compte de toutes les réponses, y compris de ceux qui ont un avis mais qui disent qu’ils n’iront pas voter. »
« C’est pour cela que, d’une société de sondages à l’autre, on peut avoir des sondages assez différents en termes de tendances entre les candidats », décrypte le sondeur.
• Étape 6: la rédaction du rapport
L’institut de sondages propose au commanditaire ses résultats mais surtout leur analyse, à travers une note explicative.
« C’est quelque chose d’assez technique, qui vise surtout à faire gagner du temps à la personne qui va lire l’étude », avance Vincent Thibault. « S’il s’agit d’une étude avec un fort enjeu, on va l’écrire à plusieurs mains, la relire », ajoute Mathieu Gallard.
• Étape 7: l’envoi à la commission des sondages
Toute étude est censée être envoyée avant publication dans la presse à la Commission des sondages. Par mail, l’institut précise la façon dont a été réalisé le sondage (la composition de l’échantillon, le nombre de répondants, les critères de redressement…) « On intervient pour vérifier que ces critères sont objectifs et constants dans le temps », résume le secrétaire général de la Commission, Stéphane Hoynck, à BFMTV.
« La Commission n’a pas vraiment beaucoup de pouvoir. Parfois, on voit des sondages pas très sérieux sur la méthodologie et il ne se passe pas grand-chose », regrette un sondeur.
Seule sanction possible: la Commission peut demander une « mise au point » auprès d’un institut. Concrètement, cela veut dire que la société de sondages doit publier une rectification sur son site.
« Une mise au point peut faire du mal », juge Mathieu Gallard. « Vous devez, vous, la publier sur votre site mais votre client aussi et ça fait vraiment mauvais effet. Il n’y a pas de risque pénal mais il y a un vrai risque commercial. »
• Étape 8: la publication
Si l’étude est commandée par un média, elle est publiée. Si c’est un parti politique qui a souhaité la produire, elle peut fuiter. « On nous dit souvent que nous ne faisons que des études favorables aux partis qui les commandent. C’est faux! Ils font seulement connaître les sondages qu’ils estiment aller dans leur sens », sourit un sondeur.
Une fois publié, la question de l’impact des sondages dans la vie démocratique se pose. « Les sondages perturbent le jeu démocratique, en contribuant de plus en plus à la sélection du personnel politique », juge Alain Garrigou, spécialiste de l’histoire du vote et auteur de L’ivresse des sondages, dans Le Monde.
« Les sondages n’ont aucune valeur prédictive. Ils sont le reflet de l’opinion à un instant T. Bien sûr qu’il y a encore trois mois de campagne et ce que les sondages d’aujourd’hui ne seront pas les résultats de l’élection au premier tour », estime le sondeur Jérôme Sainte-Marie.
bmftv