Un livre sur le nomadisme mondial suit les pas d’un jeune malien parti aux Etats-Unis mais revenu sur son continent pour contribuer à son développement.
Tout petit, dans sa région natale de Kati, aux portes de Bamako (Mali ), il ne comptait plus les kilomètres à marcher chaque jour aux côtés de son père, un ancien caporal de l’armée française devenu paysan. Jusqu’à l’âge de 8 ans, il l’accompagna dans ses travaux agricoles puis fut scolarisé, toujours au prix de longs trajets à pied. Petit dernier d’une famille de onze enfants, avec quatre sœurs et six frères, ses résultats scolaires étaient si bons que ses éducateurs l’ont envoyé au Prytanée militaire de Saint-Louis au Sénégal.
« Mes parents voulaient le meilleur pour moi et mon maître d’école croyait en moi », nous confie Abdramane Diabate. Premier exil avant de poursuivre ses études dans une Business Academy de Johannesburg en Afrique du Sud. Au pays de Mandela, lui qui avait déjà lu Martin Luther King et Gandhi, ne fut dépaysé que par les gratte-ciels tout en étant choqué par les inégalités prégnantes dans ce pays si riche, près de vingt ans après la fin de l’apartheid.
Un Africain chez les cow-boys
Le troisième exil sera californien. Fort de son potentiel, Abdi, comme le surnomment ses amis, est envoyé au Deep Springs Collège, à la frontière du Nevada. Cette « université à la campagne » fondée en 1917, assez unique en son genre, n’accueille qu’une vingtaine d’étudiants par an pour les former intellectuellement mais également au leadership et au travail manuel. « Je devais me lever à quatre heures du matin pour traire les vaches mais les Américains étaient étonnés que je connaisse déjà ces gestes des travaux champêtres », raconte-t-il.
Se voit-il comme un étudiant immigré, comme un Noir de plus aux Etats-Unis où la cicatrice de l’esclavage n’a jamais été totalement refermée? De la prestigieuse université de Stanford où il poursuivra son chemin jusqu’aux ranchs du Montana où il vivra une vie de cow-boy, Abdi ne veut pas s’arrêter au racisme ordinaire dont il a été parfois le témoin. Il se souvient de ces parents venus chercher leur enfant au dortoir du ranch et qui lui demandent s’il en est un des employés ou l’un des visiteurs occasionnels, incapables de penser qu’un Africain puisse avoir traversé l’Atlantique pour venir travailler avec des « red necks », des petits blancs conservateurs.
« J’ai pris conscience là-bas, avec anxiété, que j’étais Noir », commente Abdi. Mais au contact quotidien de ces ranchers, il s’aperçoit au fond que leurs valeurs essentielles ne sont pas si éloignées, que lorsqu’on partage le même labeur dans le froid extrême ou la chaleur étouffante, la couleur de peau ou la religion deviennent secondaires. « Les valeurs de travail et d’honnêteté nous ont rapproché », ajoute-t-il en parlant de ses amis électeurs de Donald Trump.
Un modèle de connaissance de l’autre
Engagé par le groupe de consulting Dalberg, dont la Fondation philanthropique Rockefeller est la cliente, Abdi décide d’orienter sa vie professionnelle au service du développement de son continent d’origine. « En partant à l’âge de 12 ans de mon pays, je n’ai jamais conçu les études et les expériences qui ont suivi autrement que comme une richesse que je devais ramener chez moi ». Au cabinet du premier ministre de Guinée, auprès des acteurs publics privés de Dakar ou de Bamako, Abdi est convaincu qu’émigrer vers les pays riches n’est pas une solution pour les siens, que c’est aux Africains eux-mêmes de se mobiliser pour développer leurs pays respectifs.
Invité au forum de Davos par son ami Felix Marquardt, l’auteur du livre dont il est le personnage emblématique, il a été applaudi pour son parcours et ses réflexions. Marquardt, un routier de la communication revenu des mirages de la mondialisation heureuse, pense malgré tout qu’il faut voir la migration comme un bien en soi. Plus tellement pour sa valeur économique que pour son modèle de connaissance de l’autre. « Ceux qui chez nous sont dégoutés par Marine Le Pen et horrifiés par Eric Zemmour ne font pas l’effort de comprendre la souffrance profonde qui s’est emparée de leurs électeurs, souligne-t-il. Ils s’apercevraient alors que ce sont d’abord les promesses non tenues de notre société qui déclenchent ce phénomène de désignation des bouc-émissaires ».
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