Silvio Berlusconi à la conquête de la présidence italienne, « une blague tragique »

Accablé par les affaires judiciaires, une santé fragile et une réputation sulfureuse, Silvio Berlusconi devrait, en théorie, avoir des difficultés à gravir le Quirinal de Rome. Mais tirer un trait sur le « Cavaliere » reste néanmoins un pari risqué alors que celui-ci est sérieusement engagé pour briguer la présidence italienne à la fin du mois.

Il est l’homme politique italien le plus critiqué depuis la Seconde Guerre mondiale. Silvio Berlusconi a un jour été décrit par Indro Montanelli, journaliste d’après-guerre le plus connu d’Italie, comme une « maladie qui ne peut être soignée que par la vaccination ». Le vaccin, disait-il à la veille des élections générales de 2001, consistait en « une injection saine de Berlusconi sur le siège du Premier ministre, de Berlusconi sur le siège du président, de Berlusconi sur le siège du pape ou là où il le souhaite. Ce n’est qu’après cela que nous serons immunisés ».

Concernant l’immunité, Indro Montanelli, comme les nombreux autres experts qui n’ont eu de cesse de critiquer le Cavaliere (le Chevalier), avait tort. La carrière politique de Silvio Berlusconi – et sa popularité – n’ont cessé de grimper.

Après avoir effectué tout ou partie de quatre mandats distincts à la tête du gouvernement, soit plus longtemps que n’importe quel autre dirigeant depuis Benito Mussolini, Silvio Berlusconi est désormais déterminé à gravir le Quirinal, la plus haute colline de Rome et le siège de la présidence italienne. Toujours aussi conteur, il a présenté sa quête comme l’accomplissement d’une promesse d’enfance faite à sa mère.

Cette semaine, il doit pour cela accueillir d’autres dirigeants de droite dans sa villa romaine, dans l’espoir d’obtenir le soutien de leurs législateurs lorsque le Parlement entamera le long processus d’élection du prochain chef d’État italien, le 24 janvier prochain. Il a également tendu la main à des députés d’autres groupes politiques, y compris ceux jugés les plus hostiles à sa candidature, sachant qu’il devra, s’il veut succéder au président sortant, Sergio Mattarella, récupérer des voix dans les camps rivaux.

Vide politique

La tentative improbable de Silvio Berlusconi d’accéder à la présidence, à l’âge de 85 ans, survient un peu plus d’un an après qu’il a été gravement malade du Covid-19, cinq ans après qu’il a subi une opération à cœur ouvert, et une décennie après qu’il a été condamné à une peine de prison pour fraude fiscale et exclu de la fonction publique. Sans surprise, ses ambitions présidentielles ont suscité la perplexité et l’amusement, notamment parce que l’ancien Premier ministre est toujours jugé pour le versement de pots de vin présumés à témoins dans une affaire de prostitution de mineures liée à ses célèbres soirées « Bunga Bunga ».

Giuseppe Provenzano, chef adjoint du Parti démocratique de centre-gauche, a qualifié la candidature du Cavaliere de « blague tragique ». 

Pourtant, « Berlusconi lui-même est certainement très sérieux », affirme Maurizio Cotta, professeur de sciences politiques à l’université de Sienne, estimant que l’état actuel de la politique italienne donnait à l’ancien Premier ministre une petite chance de s’en sortir.

« Il n’y a actuellement aucune majorité politique forte dans le pays, et aucun leader politique avec une stratégie claire », ajoute l’universitaire. « Berlusconi tire le meilleur parti de ce vide, tout comme il l’a fait en 1994, après l’effondrement des anciens partis d’après-guerre. »

« Être élu scellerait sa revanche »

Deux décennies avant qu’Emmanuel Macron ne sorte un parti politique de son chapeau et n’organise une victoire à l’Élysée, Silvio Berlusconi, magnat des médias sans références politiques, a réalisé le même tour de passe-passe en Italie en moitié moins de temps.

Composé de stratèges marketing en costume d’affaires, le parti Forza Italia (Allez l’Italie) n’avait que cinq mois d’existence lorsque son fondateur est arrivé au pouvoir au printemps 1994. Si sa première administration, très inexpérimentée, s’est rapidement effondrée, Silvio Berlusconi, devenu magnat de la politique, a continué à dominer l’échiquier pendant les deux décennies suivantes, rebondissant grâce à de nouveaux triomphes électoraux en 2001 et 2008.

Il aura fallu la crise de la dette de la zone euro, une scission amère du parti et des récits macabres d’orgies avec des danseuses et des prostituées dans sa résidence privée pour que Silvio Berlusconi soit finalement chassé du pouvoir pour la dernière fois en 2011, sous les huées des manifestants réunis dans le centre de Rome pour célébrer son départ.

Ses ennuis judiciaires l’ont finalement rattrapé l’année suivante, lorsqu’il a été emprisonné pour fraude fiscale et exclu du pouvoir, bien que sa peine de prison ait été commuée en raison de son âge avancé.

Depuis lors, Silvio Berlusconi a continué à agir dans l’ombre, assumant un rôle de faiseur de roi. Mais aujourd’hui, il veut retrouver sa place sous les feux de la rampe.

« Être élu au Quirinal scellerait sa revanche après avoir été exclu du Parlement en raison de ses problèmes juridiques », explique Maurizio Cotta. « Cela donnerait raison aux affirmations de Silvio Berlusconi concernant une conspiration contre lui, et marquerait l’apogée de sa carrière politique ».

Jouer sur l’équilibre fragile du pouvoir

Sommet du système politique italien, le Quirinal se situe quelque part entre la puissante présidence française et le rôle essentiellement cérémoniel du chef d’État allemand. Ses pouvoirs importants se manifestent surtout en période d’instabilité politique. Instabilité dont l’Italie ne manque pas.

« Lorsque les partis politiques peuvent diriger le pays par eux-mêmes, le président a tendance à s’effacer », analyse Maurizio Cotta. « Cependant, il est de plus en plus fréquent que le Parlement soit dans l’impasse, ce qui oblige le président à intervenir. Ce schéma devrait se poursuivre dans un avenir proche, sans perspective immédiate de mise en place d’une coalition forte. »

Ces dernières années, les présidents italiens ont joué un rôle décisif dans la formation des coalitions, l’approbation ou le veto des nominations ministérielles, et la nomination de cabinets et de premiers ministres technocratiques – dont l’actuel Premier ministre, Mario Draghi.

L’ancien directeur de la Banque centrale européenne a été présenté comme le candidat potentiel le plus fort pour la présidence. Mais les analystes craignent qu’un départ prématuré de Mario Draghi ne bouleverse l’équilibre délicat du pouvoir au sein de son gouvernement, au moment même où l’Italie sort de la dévastation causée par la pandémie de Covid-19.

C’est d’ailleurs une crainte sur laquelle Silvio Berlusconi a cherché à jouer, mettant en garde contre de nouvelles élections et une instabilité potentielle si Mario Draghi passait du bureau du Premier ministre à la présidence.

Tout pour la présidence

Dans le but d’améliorer ses propres références, le Cavaliere s’est présenté comme un homme d’État expérimenté, capable de se placer au-dessus de la mêlée politique.

En novembre dernier, il a envoyé une anthologie de ses discours à la quasi-totalité des quelque 1 000 membres du Parlement qui éliront le prochain président. Récemment, il a fait l’éloge d’un système d’aide sociale au revenu des citoyens défendu par le Mouvement 5 étoiles, parti antisystème, dans le but d’influencer certains de ses membres, qui comptent d’ordinaire parmi ses pires ennemis.

L’ancien magnat de l’immobilier, de la publicité et des médias, qui a gagné son premier salaire en faisant du porte à porte pour vendre des aspirateurs, met tout en œuvre pour promouvoir sa candidature. Selon le quotidien italien La Repubblica, il a passé une grande partie de la période des fêtes de fin d’année à distribuer des vœux et des cadeaux et à téléphoner en personne aux législateurs de gauche, de droite et du centre.

« Berlusconi veut désespérément ce poste. Il fait tout ce qu’il peut pour l’obtenir, en collectant les votes un par un », rapporte Maurizio Cotta. « Il reste le grand emberlificoteur : un vendeur inégalé et dans ce cas, un vendeur de lui-même ».

« Garant de la corruption »

Dans le système politique italien, les candidats au Quirinal doivent remporter deux tiers des voix pour décrocher la présidence. Cependant, si personne n’atteint cet objectif lors des trois premiers tours – et c’est généralement le cas –, la barre est abaissée à 50% des voix plus une.

Pour franchir ce seuil, Silvio Berlusconi espère alors obtenir une cinquantaine de voix sur un total de 113 législateurs « non affiliés », en comptant sur le secret du vote. Il doit également s’assurer le soutien massif du bloc de centre-droit, ce qui nécessitera le soutien officiel des droites nationalistes de Matteo Salvini et Giorgia Meloni.

« Le centre-droit est uni et convaincu dans son soutien à Berlusconi », a déclaré jeudi Matteo Salvini, le chef de la Lega (droite dure), cherchant à dissiper les rumeurs de divisions à droite. Son parti serait toutefois déjà en train de préparer un plan B en cas d’échec de la candidature du Cavaliere à la présidence.

Selon le professeur de sciences politiques interrogé par France 24, Matteo Salvini et Giorgia Meloni sont déchirés entre leur désir de maintenir l’unité du centre-droit et leur réticence à laisser Silvio Berlusconi rétablir son leadership sur le bloc. « Ils savent que Berlusconi détournerait d’eux une grande partie des projecteurs », a-t-il expliqué. « Mon intuition est qu’ils ne veulent pas de lui dans le siège du président mais ne savent pas comment le dire ».

D’un point de vue mathématique, les chances de Silvio Berlusconi de décrocher la présidence semblent minces, affirme Maurizio Cotta, ajoutant toutefois : « Un accident est toujours possible – et cela enverrait un très mauvais signal ».

Le mois dernier, les journalistes du Fatto Quotidiano ont lancé une pétition exhortant les législateurs italiens à ne pas accorder leur soutien au quadruple ancien Premier ministre. « Le président de la République doit être le garant de la Constitution, [alors que] Silvio Berlusconi est le garant de la corruption et de la prostitution », ont-ils écrit dans la pétition, signée par plus de 200 000 personnes.

En plus de sa condamnation pour fraude fiscale, la litanie d’ennuis judiciaires du milliardaire « n’est pas un problème mineur », ajoute Maurizio Cotta. « Berlusconi n’est ni au-dessus de la mêlée, ni légalement ‘propre’. Certaines affaires se sont terminées par son acquittement, d’autres par l’expiration du délai de prescription. Dans tous les cas, elles dessinent un profil inapte à la fonction de président. »

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