« Les Russes arrivent » : quand la Russie montre ses muscles militaires, la Suède devient nerveuse

Peu après que la Russie a commencé à masser des troupes le long de la frontière ukrainienne, plusieurs navires de guerre amphibies mouillaient dans les eaux de la mer Baltique. Certains d’entre eux se rapprochant de la Suède. Ces mouvements maritimes ajoutés à une série de vols récents de drones d’origine inconnue au-dessus de centrales nucléaires suédoises ont fini de rendre le royaume scandinave nerveux, réveillant de vieilles craintes d’incursion russe.

Les forces armées suédoises ont signalé à la mi-janvier que six navires de guerre amphibie russes avaient quitté leur base navale de Kaliningrad, l’enclave russe coincée entre la Pologne et la Lituanie, et étaient entrés en mer Baltique. Bien qu’il ne soit pas rare que des navires russes se déplacent dans la zone, leur nombre était assez inhabituel.

La Suède a immédiatement pris ces mouvements comme des signaux d’alerte, se référant au « changement de la situation sécuritaire en Europe et en mer Baltique », et a réagi en renforçant sa présence militaire sur l’île de Gotland, dans le sud-est. En moins de 48 heures, l’île de 60 000 habitants a vu arriver soldats en patrouille et chars blindés, des scènes qui n’avaient pas été vues depuis des dizaines d’années.

« Avant c’était assez courant de voir des militaires [ici], mais ce n’est vraiment plus le cas. Ces jours-ci, ça surprend beaucoup », déclare un habitant au quotidien national Dagens Nyheter. 

Des drones d’origine inconnue

Dans le même temps, la police suédoise a reçu plusieurs rapports faisant état de vols de drones particulièrement grands au-dessus des trois centrales nucléaires, mais également au-dessus d’au moins deux aéroports, de la Région du grand Stockholm et du palais de la famille royale à Drottningholm (à l’ouest de Stockholm). L’origine des drones n’a pas été établie, et, le 17 janvier, l’agence de renseignements suédoise a annoncé s’être saisie de l’enquête.

Les incidents ont rendu la Suède nerveuse. Durant les dernières semaines, les spéculations se sont multipliées sur ce qu’une menace potentielle de la Russie pourrait signifier pour ce pays de 10 millions d’habitants. Pendant que certains journaux discutaient de l’éventuelle durée de vie de la défense suédoise en cas d’attaque russe, d’autres analysaient les raisons sous-jacentes pour lesquelles la Suède pourrait être une cible militaire intéressante. Certains médias organisaient aussi des chats en direct, au cours desquels des experts en matière de défense répondaient aux questions d’un public inquiet d’une situation sécuritaire de plus en plus tendue dans la région.

Les discussions sur l’adhésion de la Suède à l’Otan ont également refait surface, comme c’est souvent le cas. Mais cette fois-ci, le débat a été davantage alimenté par l’insistance de la Russie pour que l’alliance militaire transatlantique n’accueille aucun nouveau membre, notamment l’Ukraine. Bien que le gouvernement dirigé par les socialistes ait récemment réitéré sa position de longue date selon laquelle la Suède doit rester « sans alliance », la plupart des Suédois estiment que l’adhésion à l’Otan devrait être une décision suédoise et non russe.

Lundi, la ministre suédoise des Affaires étrangères, Ann Linde, et son homologue finlandais, Pekka Haavisto, dont le pays n’est pas non plus membre de l’Otan, ont démontré ce point en rencontrant le secrétaire général de l’Alliance atlantique, Jens Stoltenberg, à Bruxelles pour un « dialogue » sur l' »approfondissement de leur partenariat ».

« Les Russes arrivent », une expression suédoise commune

Les craintes de la Suède vis-à-vis de la Russie remontent à des centaines d’années, principalement en raison de plans d’expansion contradictoires sur ce qui est aujourd’hui la Finlande. La Russie a finalement gagné, volant à la Suède son statut de superpuissance européenne. Depuis, « Les Russes arrivent! » (Ryssen kommer) est devenue une expression suédoise commune.

Au plus fort de la Guerre froide dans les années 1980, et alors que l’Union soviétique et les États-Unis se pressaient pour devenir la première superpuissance nucléaire du monde, la proximité de la Suède avec la Russie, et l’observation de plusieurs sous-marins russes présumés dans l’archipel de Stockholm, avaient alors poussé les craintes à un paroxysme de fièvre chez les Suédois.

Malin Rising, une journaliste suédoise, a grandi dans la ville côtière de Nynäshamn (à 60 km au sud de Stockholm), et se souvient de ces tensions. « Je me rappelle comment mes amis et moi, nous grimpions sur les falaises et regardions au loin sur la Baltique pour voir si nous arrivions à repérer des sous-marins [russes]. C’était comme ça qu’on jouait à l’époque », explique-t-elle. « Je me souviens aussi des gens expliquant où trouver l’abri le plus proche au cas où les Russes arriveraient », poursuit-elle.

Plusieurs de ces abris ont depuis été convertis en centres de données, symboles de la perception changeante de la Suède des dangers représentés par la Russie.

En 2010, soit plus de vingt ans après la chute de l’Union soviétique et la fin de la Guerre froide, la peur suédoise des Russes s’est quelque peu dissipée, et le gouvernement décidait de supprimer le service militaire obligatoire, en place depuis 1901.

Mais à peine sept ans après, le pays réactivait la conscription militaire, invoquant l’annexion en 2014 de la péninsule ukrainienne de Crimée par la Russie et l’augmentation des activités militaires russes aux environs de la Suède. Le royaume décidait de rendre cette conscription mixte mais aussi de rétablir une garnison sur l’île de Gotland (en pleine mer Baltique, en face de Kaliningrad).

Qui contrôle Gotland possède un libre accès aux pays Baltes

L’île de Gotland, et sa situation stratégique géographiquement en mer Baltique, est au cœur des peurs suédoises de la Russie. Elles se situe à seulement 300 kilomètres au nord de la base navale de Kaliningrad (territoire russe), et, à l’est, face aux trois pays Baltes (anciens pays soviétiques) que sont l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie.

En d’autres termes : qui contrôle Gotland possède un libre accès aux pays Baltes.

Mais il y a plus que cela. Les trois pays sont membres de l’Otan, ce qui signifie que les autres membres – dont les États-Unis – seraient obligés de leur venir en aide en cas d‘attaque, en vertu de l’article 5 sur la défense collective.

« Pour aider leurs alliés, les États-Unis devraient envoyer des jets – rapides – et survoler la Baltique. Mais si les Russes prenaient le contrôle de Gotland, ils pourraient utiliser des missiles anti-aériens et des robots côtiers, ce qui rendrait très difficile pour les Américains l’accès et la défense de la Baltique « , explique Magnus Christiansson, chercheur en stratégie militaire à l’école supérieure de la défense nationale suédoise de Stockholm.

Magnus Christiansson explique également qu’une prise de contrôle russe des pays Baltes serait dévastatrice pour l’ordre mondial : « Cela écraserait totalement la crédibilité de l’Otan, il n’en resterait plus rien, étant donné qu’elle est construite sur la base de l’article 5, ‘Tous pour un, un pour tous’. Ce serait une catastrophe. »

Le chercheur ajoute que s’il s’était avéré que les Russes étaient réellement à l’origine des vols de drones signalés, il s’agirait très probablement d’une tentative d’intimidation envers les Suédois, rien d’autre. « Bien sûr, ils savent déjà où se trouvent les centrales, et tout le monde ne sait-il pas où se situe le palais royal  ?, plaisante-t-il. C’est juste un moyen un peu facile de déséquilibrer quelqu’un. C’est psychologique », conclut-il.

Le 18 janvier, les six navires de guerre amphibies russes ont quitté la mer Baltique. Mais les troupes suédoises sur Gotland, elles, sont restées en place.

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