Prévues pour durer un mois, les élections régionales de l’État de l’Uttar Pradesh, au nord de l’Inde, promettent d’être décisives. Bastion du BJP, le parti au pouvoir depuis 2014, l’État le plus peuplé du pays fait figure de test politique pour le gouvernement de Narendra Modi. Son gouverneur, Yogi Adityanath, a en effet poussé à son extrême la politique antimusulmane développée par le BJP.
L’État indien de l’Uttar Pradesh entame jeudi 10 février ses élections régionales. Remportées par le Bharatiya Janata Party (BJP), le parti nationaliste hindou de Narendra Modi, en 2017, elles attirent cette année tous les regards. La conquête de cet État, le plus peuplé et l’un des plus pauvres du pays, est en effet perçue comme une étape indispensable vers le pouvoir national et comme un test pour Narendra Modi.
« Le BJP de Narendra Modi dispose d’une mince majorité au Parlement au niveau national, rappelle Gilles Verniers, chercheur en sciences politiques à l’Université d’Ashoka (nord de l’Inde) et à Sciences Po, interrogé par France 24. Pour la maintenir, ils doivent remporter cette élection de manière décisive. »
Les 200 millions d’habitants de l’Uttar Pradesh (quasiment l’équivalent de la population du Brésil) élisent en effet 80 des 544 députés que compte l’Assemblée nationale. Une large victoire du BJP dans cet État du Nord maintiendrait donc sa domination sur la vie politique indienne, tandis qu’une défaite ou une courte majorité pourrait annoncer des difficultés lors des prochaines élections nationales de 2024.
Féroce répression des musulmans
Le gouverneur sortant, le controversé Yogi Adityanath, joue donc sa réélection, mais également la validation de la violente politique prohindoue qu’il mène au nom du BJP, très éloignée des principes laïcs et démocratiques sous lesquels l’Inde s’est construite.
Sous la gouvernance de ce moine-soldat toujours vêtu en safran, la robe des moines en Inde, l’Uttar Pradesh est devenu un véritable laboratoire, poussant à des niveaux inédits les discriminations à l’encontre des minorités, et en particulier celles visant les musulmans indiens.
« 80 % de la population contre 20 % de criminels », clame ainsi Yogi Adityanath dans l’un de ses slogans de campagne, une allusion transparente aux 20 % de musulmans qui peuplent l’État du Nord. Depuis son élection en 2017, l’Uttar Pradesh s’est doté de plusieurs lois stigmatisant les musulmans.
L’une d’elles punit ainsi les mariages mixtes de dix ans d’emprisonnement, au nom de la lutte contre le « Love Jihad ». Cette théorie complotiste maniée par le parti au pouvoir accuse les hommes musulmans de chercher à séduire les femmes hindoues afin de les convertir. Les conversions religieuses ont par ailleurs été interdites.
Poussant encore un plus loin cette « dystopie hindouiste », le gouvernement régional appelle régulièrement la population à se montrer vigilante. Comprendre qu’il l’encourage à dénoncer les mariages mixtes aux autorités, mais également à se faire justice elle-même. Le gouverneur a lui même fondé le Hindū Yuvā Vāhin, une organisation paramilitaire accusée de lynchages de musulmans.
Une large victoire aux élections risquerait de provoquer un élargissement de ce type de mesures à d’autres États indiens, s’alarme Gilles Verniers. « Les élections de l’Uttar Pradesh sont un test de popularité pour la politique de Narendra Modi. Une victoire écrasante du BJP encouragera le parti à durcir sa politique au niveau national. »
Lois antiterroristes
Mais cette politique identitaire violente ne suffira peut être pas cette fois à rallier les 80 % d’hindous de l’État au BJP, nuance l’historienne spécialiste de l’Inde contemporaine Arundhati Virmani, interrogée par France 24.
Yogi Adityanath concentre en effet les mécontentements de plusieurs catégories de la population. Sa gestion de la pandémie a été largement critiquée, notamment après son utilisation de lois anti-terroristes pour réprimer des journalistes et des membres de la société civile. Des citoyens ont ainsi été emprisonnés après avoir dénoncé le manque d’oxygène et de médicaments dans les hôpitaux durant la deuxième vague du Covid-19.
Les fermiers, souvent des dalits (« Intouchables »), sont également furieux : la loi adoptée par Yogi Adityannath faisant de l’abattage des vaches, sacrées pour les hindous, un crime de haute trahison les a fortement pénalisé.
Ils gardent également rancune au gouverneur de la violente répression que celui-ci a déployé contre leur mouvement d’opposition. Durant un an, ils ont défilé dans l’ensemble du pays pour dénoncer les réformes de libéralisation de l’agriculture, jusqu’à leur abandon par le gouvernement.
Graves problèmes socio-économiques
Pour Arundhati Virmani, la politique de séduction menée par Adytiannah envers certaines castes, à coup de subventions ou de distribution d’argent, se montre donc insuffisante face aux graves problèmes socio-économiques rencontrés par l’État.
« L’Uttar Pradesh est très pauvre, souligne Arundhati Virmani. Il faut un travail de fond pour améliorer la situation sociale et économique. On met toujours en avant la carte religieuse, mais l’électorat veut surtout jouir d’un niveau de vie correct. Le gouvernement cherche à séduire les dalits en leur disant ‘vous êtes d’abord des hindous’, mais après leur année de protestation comme fermiers, je ne suis pas sûre que cela suffise, on ne peut pas leur dire ‘soyez fiers d’être hindous et tant pis pour le reste' »
L’Uttar Pradesh est en effet la seule région indienne à voir son revenu par habitant baisser systématiquement depuis trois ans. Son taux de chômage est par ailleurs l’un des plus élevés du pays, et il concentre un très important taux de grande pauvreté.
« La politique d’ouverture aux castes de Yogi Adityannath a été jugée insuffisante, au sein même de son propre parti, poursuit Gilles Verniers. Lui même est membre de la caste kshatriya, l’une des plus hautes, et il a nommé à des postes de pouvoir de nombreuses personnes issues de la même caste que lui. Cela a été critiqué en interne ». Onze figures du BJP, majoritairement issus de basses castes, ont ainsi récemment claqué la porte du parti en signe de protestation.
Le BJP reste néanmoins en position de force en Uttar Pradesh, maîtrisant l’espace public comme les médias et disposant d’importantes ressources face à une opposition fragmentée. Le résultat de l’élection demeure néanmoins incertain et aura de fortes implications pour l’avenir de l’Inde.
Yogi Adityannath ne cache pas en effet son ambition de succéder à Narendra Modi au poste de Premier ministre. Obtenir une forte majorité aux élections lui permettrait ainsi de consolider sa place de n°2 indien. À l’inverse, une défaite ou une perte de terrain ouvrirait une porte à l’opposition.
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