Retrait du Mali : le Niger, un partenaire fiable pour la France au Sahel ?

Alors que la France et ses alliés européens se préparent à quitter le Mali, Paris compte accentuer sa collaboration avec le Niger pour poursuivre ses opérations militaires au Sahel. Un partenariat qui n’est pas sans risques, malgré le soutien réciproque affiché entre Paris et Niamey.

« La lutte contre le terrorisme ne peut pas tout justifier. » Dans un contexte de tensions accrues entre Paris et Bamako, Emmanuel Macron a confirmé, jeudi 17 février, le départ de la France du Mali. Poussée dehors par son ancien allié qui a récemment expulsé son ambassadeur, Paris se voit contraint d’accélérer le redéploiement régional de son opération militaire au Sahel.

Si Emmanuel Macron a appelé de ses vœux une plus grande implication des pays du golfe de Guinée, tels que le Bénin, le Togo ou bien la Côte d’Ivoire, le président français mise avant tout sur le renforcement de son partenariat avec le Niger, qui abrite déjà la principale base aérienne de l’opération Barkhane, ainsi que le poste de commandement conjoint avec le G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad).

« Avec l’accord des autorités nigériennes, des éléments européens seront repositionnés aux côtés des forces armées nigériennes dans la région frontalière du Mali », a annoncé jeudi Emmanuel Macron, lors de sa conférence de presse. Capitale la plus proche de la zone des trois frontières (Mali, Burkina Faso, Niger) qui constitue aujourd’hui l’épicentre des attaques terroristes, Niamey est devenu un point d’appui crucial pour les opérations militaires françaises.

Pourtant, si Paris entretient de bonnes relations avec son président, Mohamed Bazoum, le pays n’est pas épargné par la montée du sentiment anti-français qui traverse l’Afrique de l’Ouest. France 24 décrypte les tenants et les aboutissants de ce partenariat aussi stratégique que fragile.

Un passage obligé pour le redéploiement militaire français
Le 9 juillet 2021, quelques semaines après l’annonce de la fin de l’opération Barkhane, Emmanuel Macron donnait une conférence de presse depuis l’Élysée pour détailler la nouvelle stratégie militaire française au Sahel. Ce jour-là, alors qu’une réunion virtuelle avait eu lieu avec les partenaires du G5 Sahel, seul le président nigérien, Mohamed Bazoum, a été invité à Paris au côté du président français.

« Niamey sera très fortement musclé », déclare Emmanuel Macron, remerciant son homologue nigérien pour « sa confiance et son engagement ». Alors que la France souhaite réorienter la lutte antijihadiste vers le centre du Mali, dans la zone dite du Liptako et mettre l’accent sur l’aviation, le Niger est désormais considéré comme un partenaire prioritaire.

« Paris s’inquiète de voir la menace jihadiste descendre du Mali vers le golfe de Guinée », explique à France 24 Idrissa Abdourahmane, chercheur nigérien au centre d’études africaines de Leiden, aux Pays-Bas. « Le Burkina Faso et le Niger sont tous deux en première ligne, mais le Niger est jusqu’ici moins débordé par le danger terroriste et donc considéré par Paris comme un allié plus sûr », poursuit-il. « Avec la rapide dégradation des relations entre la France et le Mali et le coup d’État au Burkina, Niamey est aujourd’hui devenu un passage obligé pour le redéploiement militaire français. »

Outre sa position stratégique, le Niger présente un autre avantage majeur pour la France. Dans la zone des trois frontières, où Paris concentre ses opérations, ce pays est désormais le seul à être dirigé par un président démocratiquement élu. Dans un contexte régional marqué par une recrudescence de coups d’État, le Niger fait figure de bon élève pour l’Occident.

Un gouvernement « présentable »
Le contraste est d’autant plus fort que Mohamed Bazoum est arrivé au pouvoir le 23 février 2021 au terme d’un scrutin historique, marquant la première transition démocratique depuis l’Indépendance du pays. Une victoire qui lui avait alors valu les « vœux de succès » d’Emmanuel Macron, prompt à saluer « cette transmission pacifique du pouvoir », malgré les accusations de fraude de l’opposition.

« La bonne relation entre Paris et Niamey précède l’arrivée au pouvoir de Mohamed Bazoum », souligne explique Idrissa Abdourahmane. « C’est son prédécesseur, Mahamadou Issoufou, qui durant son mandat s’était positionné en allié des Occidentaux, notamment sur le plan sécuritaire. En lui succédant, son dauphin Mohamed Bazoum est resté sur la même ligne, consolidant cette relation de confiance. »

« Le Niger présente l’avantage d’avoir un gouvernement présentable pour la France », explique à France 24 Jean-Vincent Brisset, ancien général de brigade aérienne et expert des questions de défense à l’IRIS (l’Institut de relations internationales et stratégiques). « Dans le contexte actuel avec la présidence de l’Union européenne et l’élection présidentielle française qui approche, cet aspect est très important », poursuit l’expert. « Il est plus facile pour Emmanuel Macron d’afficher un repli vers le Niger que vers le Burkina Faso ou bien même que vers son autre grand allié régional le Tchad, tous deux dirigés par les militaires. »

Faiblesses opérationnelles 

Si le Niger demeure pour l’heure moins touché que le Mali et le Burkina Faso par le terrorisme, l’armée est néanmoins confrontée aux mêmes difficultés pour endiguer la progression des groupes armées. Un récent rapport d’Amnesty souligne une aggravation du contexte sécuritaire, marqué par une recrudescence de meurtres, dans la région de Tillabéri, zone frontalière avec le Mali et le Burkina où se trouve la capitale Niamey. 

Le président Bazoum, ancien ministre de l’Intérieur et de la Sécurité publique, avait pourtant promis de faire de la lutte antiterroriste la priorité de son mandat. 

« Comme beaucoup de pays de la région habitués aux coups d’État, le Niger fait les frais de tensions persistantes entre son gouvernement et son armée », analyse Idrissa Abdourahmane. « Cette méfiance réciproque empêche d’engager les réformes nécessaires au sein de l’institution militaire. On cantonne les soldats dans des camps, souvent peu protégés, et ils deviennent les cibles des jihadistes qui sont eux très mobiles. Certes, le gouvernement actuel a augmenté les effectifs et investi dans du matériel mais l’armée ne pourra pas être efficace sur le terrain tant qu’une réflexion n’est pas engagée pour l’adapter au conflit en cours. » 

La peur d’un coup d’État 

Face à la dégradation de la situation sécuritaire au Niger, le spectre d’un coup d’État inquiète les autorités de ce pays qui a connu quatre putschs militaires depuis son indépendance en 1958. Une inquiétude d’autant plus grande que le pays n’est pas épargné par le sentiment anti-Français qui progresse dans la région. 

Le 27 novembre 2021, des manifestants opposés à la présence militaire de Barkhane avaient bloqué un convoi militaire français dans la ville de Tera, dans l’ouest du Niger. Le même jour, Mohamed Bazoum avait dénoncé « la campagne menée » contre Barkhane dans la région, avant d' »exiger », quelques semaines plus tard, que Paris mène une enquête sur les circonstances de la mort de trois civils lors de cet incident. 

« La position du président nigérien, aujourd’hui considéré comme l’allié privilégié de la France, est très délicate dans le contexte actuel, car les jihadistes pourraient décider de lui faire payer son engagement auprès de Paris », souligne Jean-Vincent Brisset. « Or, une recrudescence d’attaques pourrait contribuer à accroître le sentiment anti-Français et donc potentiellement le risque de coup d’État. »

Autre signe de cette inquiétude grandissante à Niamey, le transfert du commandement de Takuba dans la capitale du Niger, annoncé par Emmanuel Macron en juillet 2021, et qui n’a toujours pas eu lieu. 

« La base de Niamey est certes un appui aérien important, mais elle ne permet pas de mener des opérations d’envergure au sol. Et le Niger manque cruellement de capacité opérationnelle », poursuit Jean-Vincent Brisset l’ancien militaire. « Ce repli est loin d’être une solution idéale, mais la réalité est que la France n’a plus vraiment le choix de choisir ses partenaires. » 

Jeudi lors de sa conférence de presse, Emmanuel Macron a affirmé que le retrait des forces françaises du Mali serait effectif d’ici à six mois. Le président français a également indiqué que le soutien militaire apporté aux pays de la région serait défini prochainement « en fonction des besoins qu’ils auront exprimés ». 

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