« Nous avons évoqué un cessez-le-feu, mais aucun progrès n’a été accompli en ce sens ». À l’issue des pourparlers organisés dans la cité balnéaire turque d’Antalya ce jeudi, le ministre ukrainien des Affaires étrangères Dmytro Kouleba a dressé un bilan bien maigre de son échange avec son homologue russe Sergueï Lavrov.
La ville du bord de la Méditerranée accueillait, sous l’égide de la Turquie, la première rencontre entre des officiels ukrainiens et russes de haut-niveau depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine, le 24 février. Les pourparlers, qui auront duré 1h40, n’auront pas permis d’avancées majeures.
« Je suis d’abord venu ici pour des raisons humanitaires, pour l’évacuation des civils. Mais Lavrov n’a rien voulu promettre sur ce point », a regretté Dmytro Kouleba à l’issue de la rencontre.
Les deux diplomates ont cependant indiqué qu’ils souhaitaient continuer les discussions. Reste à savoir si des avancées concrètes peuvent en déboucher, alors que sur la scène internationale, les officiels russes comme ukrainiens n’ont eu de cesse de s’invectiver depuis le début de l’opération russe.
Le 25 février, Vladimir Poutine avait qualifié le gouvernement ukrainien de « clique de drogués et de néonazis ». Plus récemment, sur CNN, Dmytro Kouleba avait comparé Sergueï Lavrov, qu’il a rencontré ce jeudi à Antalya, de « Ribbentrop contemporain », du nom du ministre de Hitler.
Des compromis avancés par les Ukrainiens
La tentative de médiation turque intervient après les précédents français et israéliens, peu concluants. Mais un nouvel élément est désormais à prendre en considération. Lundi, dans une interview accordée à la chaîne américaine ABC, le président ukrainien s’est pour la première fois montré ouvert à la discussion concernant les exigences russes.
L’ancien acteur devenu chef de guerre a ainsi déclaré vouloir « discuter et trouver un compromis » avec la Russie concernant le statut des territoires séparatistes prorusses du Donbass mais aussi de la Crimée, une région annexée en 2014. Expliquant également s’être « refroidi » sur l’adhésion de son pays à l’Otan.
« Ce qu’il faut, c’est que le président Poutine commence à parler, entame le dialogue, au lieu de vivre dans une bulle informationnelle », a-t-il enjoint.
« Il y a là une évolution potentiellement majeure du dossier. Cette évolution peut peser, puisque le président Zelensky est revenu sur les refus qu’il avait opposés aux demandes de Poutine. C’est vraiment l’ouverture de négociations. Après, feu de paille, feu de poutre… On verra. Mais c’est une nouveauté importante dans cette guerre », analyse sur BFMTV le général Bruno Clermont.
Côté russe, le déplacement du ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov constitue en soi une avancée. Son déplacement à Antalya est sa première sortie du territoire russe depuis le début de guerre.
Et mercredi, la diplomatie russe a indiqué que son objectif n’était pas de « renverser le gouvernement » ukrainien. « Ça se joue marche par marche. Si déjà on arrive à Lavrov qui se déplace, on peut espérer que Poutine le fasse. Sachant qu’encore une fois, les Ukrainiens ont lâché du lest, mais les Russes, à l’inverse, semblent avoir rajouté des conditions », juge Patrick Sauce, éditorialiste politique internationale pour BFMTV.
Une position russe à appréhender avec prudence
Du côté de l’Otan, on salue l’organisation de ces discussions. « La reprise du dialogue en direct est forcément importante est intéressante. Mais ce qui est important, c’est que cette conversation se tienne dans des conditions acceptables pour les Ukrainiens, et à bon niveau. Il faut espérer qu’elle permettra des avancées, au moins sur le plan humanitaire », déclare sur BFMTV Camille Grand, secrétaire général adjoint de l’Organisation.
Pour ce dernier, ces discussions doivent cependant se tenir dans un contexte apaisé. « Sur le plan diplomatique, la chose la plus importante, c’est que les autorités ukrainiennes déterminent elles-mêmes ce qui leur apparaît comme un espace de négociations, et pas sous la pression des bombardements », déclare-t-il. Des conditions qui ne sont actuellement pas remplies, alors que l’armée russe a bombardé mercredi une maternité à Marioupol.
La position russe est également à nuancer. Vladimir Poutine a reitéré dimanche à Emmanuel Macron sa volonté de parvenir à ses objectifs, « soit par la négociation, soit par la guerre ».
Le choix de la Turquie
Les prochaines négociations se dérouleront-elles toujours en Turquie? Le pays se veut en tout cas un médiateur de premier plan dans la crise ukrainienne. Bien que membre de l’Otan et ayant condamné l’invasion, Ankara n’a pas encore fermé son espace aérien aux compagnies russes, ni imposé de sanctions économiques à Moscou.
« C’est un lieu neutre, qui sonne aux oreilles des Russes. Antalya est très connue des touristes russes. De plus, la ville donne sur la Méditerranée et non sur la Mer Noire, qui est actuellement un champ de bataille naval », déclare Patrick Sauce.
Une position partagée par le général Bruno Clermont. « La Turquie est un pays très intéressant, qui est un peu nulle part. Il est mal dans l’Otan, a des relations particulières avec la Russie… Le pays contrôle également les détroits du Bosphore et des Dardanelles (indispensables pour se rendre en Mer Noire, ndlr) ».
Mais bien que l’Ukrainien Dmytro Kouleba ait indiqué ce jeudi vouloir continuer les échanges sous ce format, son homologue russe Sergueï Lavrov s’est montré plus mesuré. « La rencontre d’aujourd’hui a confirmé que le format russo-ukrainien en Biélorussie n’a pas d’alternative », a-t-il souligné. Refermant déjà la parenthèse turque?
bmftv
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