Mathieu Guidère, professeur des universités spécialiste des questions de radicalisation, évoque la décennie de terrorisme qui vient de toucher la France. Elle a débuté le 11 mars 2012, avec la première des attaques perpétrées à Toulouse et Montauban
En cette journée nationale d’hommage aux victimes du terrorisme, qui signe aussi le premier jour des tueries perpétrées à Toulouse et Montauban en 2012, Mathieu Guidère, professeur des universités spécialiste des questions de radicalisation, revient sur cette décennie marquée par le terrorisme.
Il évoque les menaces actuelles, qui ne se limitent plus aux djihadistes, mais aussi le contexte international avec la guerre en Ukraine et son impact.
Entre le 11 et le 19 mars 2012, sept personnes étaient tuées lors de trois attaques terroristes perpétrées à Toulouse et Montauban par Mohammed Merah contre des militaires et l’école juive Ozar Hatorah. Ces tueries ont marqué le début d’une décennie d’attentats terroristes islamistes en France.
Dix ans plus tard, la situation géopolitique internationale a changé, le profil et les modes d’action aussi. Mathieu Guidère, professeur d’université spécialiste de la radicalisation et de l’extrémisme violent, auteur de l’Atlas du terrorisme islamiste, décrypte pour « 20 Minutes » cette vague d’attentats et la situation aujourd’hui.
En 2012, le contexte de l’époque permettait-il de prévoir cette vague sans précédent d’attaques ?
Il était pour le moins inquiétant : Al-Qaïda avait intensifié ses attentats après la mort de son chef, Ben Laden, en mai 2011 et, surtout, le Printemps arabe avait libéré les forces islamistes et donné un élan nouveau aux groupes djihadistes un peu partout, notamment en Syrie et en Libye, où la France était intervenue pour aider les rebelles contre Kadhafi. Le contexte de 2012 était très tendu sur les deux rives de la Méditerranée. Les menaces étaient nombreuses contre la France et ses ressortissants.
Comme en 2012, nous sommes dans une période d’élection présidentielle. Au vu des moyens déployés depuis par les différents gouvernements, ces attentats pourraient-ils se reproduire aujourd’hui ?
Géopolitiquement, le contexte de 2022 est encore plus explosif que celui de 2012 car la tension se trouve maintenant au cœur de l’Europe et mêle à la fois le mécontentement intérieur aux affrontements extérieurs. En plus, comme en 2012, la campagne présidentielle à droite s’est focalisée sur la question de l’immigration musulmane. Tout cela représente un risque non négligeable d’actions violentes sur le territoire national.
Mohammed Merah a été, au début, désigné comme un loup solitaire par les renseignements intérieurs, avant que l’on se rende compte qu’il avait reçu des soutiens extérieurs. Ces loups solitaires radicalisés, existent-ils vraiment ?
La question des loups solitaires a été longuement débattue et sa définition est variable selon les pays et les cas. Disons que le loup solitaire est un individu qui exécute seul son action terroriste, mais il existe toujours une source d’inspiration et un soutien logistique. Autrement dit, il n’existe pas de génération spontanée du terrorisme, il y a toujours un terreau favorable et une idéologie de revendication.
Le terreau de cette radicalisation est souvent l’antisémitisme. Est-il de plus en plus prégnant chez ces jeunes radicalisés ou en voie de l’être ?
L’antisémitisme est en effet un terreau favorable au terrorisme parce qu’il se confond avec l’antisionisme. Mais la situation a évolué depuis 2012 notamment avec les accords d’Abraham entre Israël et les pays arabes du Golfe. Il existe une certaine normalisation des relations qui a relégué, pour l’instant du moins, l’antisémitisme en tant que facteur de déclenchement au second plan. Mais d’autres sources de ressentiment sont en train de prendre le relais tels que le wokisme et le néo-décolonialisme.
Internet a joué un rôle majeur dans cette décennie de terrorisme, que ce soit dans le recrutement, la formation ou la radicalisation. Les services spécialisés peuvent-ils, et ont-ils les moyens, de lutter sur ce terrain-là ?
Beaucoup d’efforts ont été déployés et des lois votées pour donner aux services de renseignement les moyens de détecter en amont et d’agir contre ce type de menaces. Mais aujourd’hui, ces services sont submergés et dépassés par de nouvelles formes de radicalisation qui mêlent plusieurs motivations et griefs.
Quelles sont ces nouvelles formes de radicalisation ?
Le terme « radicalisé » dans le domaine de l’antiterrorisme, renvoie toujours à l’idée l’utilisation de la violence pour imposer son point de vue. Depuis quelques années, il n’y a plus uniquement les djihadistes qui utilisent la violence. Des militants animalistes, décolonialistes, wokistes utilisent la violence, l’extrême-droite aussi pour défendre une cause qu’ils estiment sacrée ou très importante. Les mêmes services qui travaillaient sur les djihadistes se retrouvent à travailler sur ces militants, quel que soit leur type de radicalité.
Les processus de « déradicalisation » déployés ces dernières années, que ce soit en prison ou en milieu ouvert, ont-ils une chance de fonctionner un jour ?
Comme la radicalisation a évolué et qu’elle inclue d’autres formes représentées notamment par l’extrême droite ou encore l’écoterrorisme, il est peu probable que ces programmes fonctionnent sur le long terme car ils se focalisent sur une seule idéologie pendant que d’autres minent la cohésion sociale.
Il y a plusieurs années, les djihadistes allaient se former dans des camps en Afghanistan. Avec le retour des talibans, peut-on le craindre à nouveau et être confronté à nouveau à des attentats mieux préparés ?
Là encore, le contexte a beaucoup changé : aujourd’hui, les talibans eux-mêmes sont menacés par plus radicaux qu’eux et subissent les attaques d’organisations terroristes comme l’État Islamique, donc il est peu probable qu’ils soient tentés d’héberger ou de soutenir d’autres organisations terroristes comme avant 2001.
On pensait l’Organisation Etat islamique à bout de souffle, c’est loin d’être le cas. Est-ce une réelle menace aujourd’hui ?
On a juste détruit l’organisation militaire en Irak. Mais en Syrie, la Syrie et la Russie, continuent de tuer tout ce qu’ils peuvent. Mais il est vrai que cela s’est déplacé vers le Mali, vers l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique centrale en général où l’Organisation recrute de nouveau où elle a un poids important. Ça s’est renforcé énormément en Afghanistan depuis l’arrivée des Talibans.
La France a été l’une des nations les plus visées au cours de cette dernière décennie. Son retrait du Mali ou d’Afghanistan, va-t-il changer la donne ?
Le retrait militaire est un facteur d’apaisement qui contribue à baisser le niveau de la menace. Mais il intervient dans un contexte intérieur et extérieur marqué par une radicalisation galopante de tous les acteurs, ce qui rend le risque de violence encore plus fort.
Est-ce que les djihadistes ont désormais d’autres cibles ou la France, et l’Occident en général, reste une priorité pour leurs attaques ?
Le constat que l’on fait, ce sont des effets de mode très dépendant de la situation géopolitique. Il suffirait qu’un acteur important de la géopolitique mondiale, que ce soit la France, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ou la Russie, en fait les membres du conseil de sécurité, introduise une nouvelle donnée sur la scène internationale pour que cela évolue énormément. Aujourd’hui, des djihadistes vont en Ukraine ; on a jamais vu ça, c’est inquiétant. Ces phénomènes de terrorisme sont très dépendants de la géopolitique et par conséquent de la politique étrangère de chaque pays qui est visé.
Quelle pourrait être l’impact de cette guerre en Ukraine sur le terrorisme ?
On se souvient qu’au début, lorsqu’il s’agissait de faire tomber le régime de Bachar al-Assad, les gens n’étaient pas nécessairement contre le fait que les Français aillent se battre. C’est à partir du moment où ils ont rejoint l’Etat islamique que cela a commencé à poser problème et que l’on s’est posé des questions. Pour l’Ukraine c’est pareil. A partir du moment où vous acceptez que des personnes partent utiliser la violence à l’étranger, quelle que soit la raison pour laquelle ils y vont (contre d’autres armées ou pays), se pose toujours la question du retour de ces combattants. Avant c’était chez les islamistes, maintenant on ne sait pas tout à fait pourquoi ils partent. Il y a des raisons religieuses, parfois humanitaires. Les premiers combattants qui sont partis contre le régime Assad l’ont fait pour des raisons humanitaires, leurs déclarations au début c’était pour sauver les civils qui se faisaient bombarder. La question est donc d’accepter le départ de combattants à l’étranger et de gérer après leur retour. Parce qu’ils reviennent marquer par le théâtre de la guerre, avec des compétences nouvelles en matière d’armes et ils sont en situation de démobilisation.
« Le problème, c’est la gestion du retour des combattants à l’étranger »
Que ce soit le terrorisme de l’OAS (Organisation de l’armée secrète) dans les années soixante, celui d’extrême-gauche dans les années soixante-dix ou le terrorisme islamiste, les études montrent deux choses lorsqu’ils rentrent car ils n’ont rien à faire d’autre et ne savent rien faire d’autre que se battre : soit ils rejoignent des partis d’extrême, soit ils retournent leurs compétences contre leur pays d’origine car ils estiment qu’ils ne sont pas reconnus ou remerciés pour leur combat pour la liberté, pour la démocratie, pour l’islam, pour la Syrie… C’est ça le problème : la gestion du retour des combattants à l’étranger.
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