Ketanji Brown Jackson devient la première femme noire à la Cour suprême américaine

US President Joe Biden and Judge Ketanji Brown Jackson watch the Senate vote on her nomination to be an associate justice on the US Supreme Court, from the Roosevelt Room of the White House in Washington, DC on April 7, 2022. (Photo by MANDEL NGAN / AFP)

La confirmation jeudi par le Sénat américain de la juge Ketanji Brown Jackson à la Cour suprême vient de marquer l’histoire en ouvrant la porte de la plus haute institution judiciaire des États-Unis à une toute première femme afro-américaine.

Ce vote symbolique en faveur de la magistrate choisie par Joe Biden vient mettre un terme à plusieurs semaines d’auditions de la candidate entachées par la violence des attaques des républicains à son endroit, mais aussi par la normalisation dans leur discours, durant cet exercice, des théories complotistes et de la diabolisation par l’absurde de leurs opposants démocrates.

« Ce que les auditions pour la confirmation de Ketanji Brown Jackson ont montré, c’est qu’il n’y a désormais plus de limites aux mensonges portés par les théories du complot », dit le spécialiste de la contamination du débat public par le complotisme Russell Muirhead, professeur au Dartmouth College, au New Hampshire, joint par Le Devoir. « Et malgré l’affaissement du débat public, on ne voit pas encore comment ceux qui disent n’importe quoi pour conserver le pouvoir vont finir par sombrer. »

En après-midi, à 53 sénateurs contre 47, la chambre haute du Congrès américain a confirmé le choix de Mme Brown Jackson, juriste de 51 ans, en remplacement du juge progressiste Stephen Breyer, 83 ans, qui prendra sa retraite à la fin juin. Cette succession ne change donc en rien l’équilibre des forces au sein du plus haut tribunal du pays, toujours contrôlé à six magistrats contre trois par les conservateurs.

Une réalité en décalage avec l’évolution de la société américaine, qui devient de plus en plus progressiste depuis les années 1990, indiquait récemment une étude du sociologue américain Michael Hout publiée dans les pages du Public Opinion Quarterly.

Devant le faible enjeu lié à cette nomination pour les républicains, les élus du parti de Donald Trump ont donc profité du passage de Mme Brown Jackson àWashington pour faire campagne en vue des élections de mi-mandat de novembre prochain sur leur thème de prédilection : la démonisation des démocrates, qu’ils qualifient à tort d’extrémistes de gauche radicaux et qu’ils accusent de laxisme en matière de lutte contre la criminalité.

Sans ménagement, la juge Jackson a ainsi été critiquée sur les jugements qu’elle a rendus dans des causes liées à la pédopornographie qui, selon eux, n’étaient pas assez sévères. Des accusations non fondées au regard d’analyses des décisions des tribunaux dans ce type d’affaires, qui ont confirmé que les décisions de Mme Brown Jackson sont au diapason avec celles d’autres juges, y compris des magistrats plus conservateurs.

Rafale d’accusations

Malgré cela, le sénateur du Texas, Ted Cruz, a accusé la candidate d’avoir « le cœur avec les meurtriers, avec les criminels » et d’avoir amené avec elle cette inclination au moment de devenir juge à la Cour suprême.

Pour sa part, le sénateur Tom Cotton, de l’Arkansas, a prétendu que si elle le pouvait, Mme Brown Jackson irait àNuremberg pour « défendre les nazis » plutôt que de les poursuivre comme l’avait fait un autre « Jackson », le juge Robert H. Jackson, en quittant la Cour suprême en 1946 pour devenir procureur en chef des États-Unis dans ce procès historique.

Mardi, la représentante complotiste Marjorie Green Taylor, une fidèle de Donald Trump, en a rajouté une couche en accusant les trois sénateurs républicains ayant confirmé leur vote en faveur de la candidature de Mme Brown Jackson à la Cour suprême — Mitt Romney, Lisa Murkowski et Susan Collins — de « complicité avec les pédophiles ».

« Tout sénateur qui vote pour confirmer KJB est un propédophile », a-t-elle écrit sur Twitter. « Vous êtes soit un sénateur qui soutient les violeurs d’enfants, la pédopornographie et les plus vils prédateurs d’enfants » ou non, a-t-elle ajouté.

Délégitimer par l’odieux

« Nous sommes devant l’exploitation des théories complotistes qui cherchent à discréditer les démocrates en les plaçant sur un pied d’égalité avec les nazis et en prétendant qu’ils soutiennent en secret le trafic sexuel d’enfants », dit Russell Muirhead.

« C’est ce que nous avons vu avec le “pizzagate” ou encore dans les théories soutenues par le groupe complotiste QAnon. Et désormais, cette pratique trouve écho dans les audiences pour la confirmation d’une juge, comme arme pour délégitimer les opposants politiques en cherchant à les dépeindre comme des participants non respectables au jeu politique. »

Jeudi, le vote confirmant la nomination de Ketanji Brown Jackson à la Cour suprême a été accueilli avec exaltation par le chef de la majorité démocrate au Sénat, Chuck Schumer. « C’est une journée merveilleuse, une journée joyeuse, une journée inspirante, pour le Sénat, pour la Cour suprême et pour les États-Unis d’Amérique », a-t-il dit.

Depuis la Maison-Blanche, le président Joe Biden a salué pour sa part un « jour historique », qui vient finalement remplir une de ses promesses électorales faites durant la campagne de 2020. Le démocrate avait alors indiqué son intention de nommer au sein du plus haut tribunal du pays, dès qu’il le pourrait, la première femme afro-américaine en 233 ans d’existence de l’institution.

Sur les 115 juges qui y ont siégé jusqu’à aujourd’hui, on compte à peine cinq femmes — quatre blanches et une d’origine hispanique — et deux hommes noirs, dont l’un, Clarence Thomas, était un conservateur nommé par George Bush père.

« Aujourd’hui, l’extrême gauche a obtenu la juge de la Cour suprême qu’elle voulait », a fustigé pour sa part le chef des républicains au Sénat, Mitch McConnell, juste avant le vote.

Pour le sociologue Martin Orr, de la Boise State University, ce processus d’audition et de confirmation de la juge n’a fait rien de plus que de confirmer que le « complotisme s’ancre de plus en plus dans les discours contemporains », dit-il depuis l’Idaho, où Le Devoir l’a joint, et ce, « avec le risque de voir les tentatives de résoudre des problèmes communs contrecarrées par la diabolisation des opposants politiques ».

La chose n’est d’ailleurs pas sans risque, selon lui, puisque parfois, elle peut inciter « certaines personnes à essayer de bloquer le processus démocratique », en revendiquant cette diabolisation, « violemment si nécessaire », conclut-il.

ledevoir

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