Vue de France, « l’Afrique, c’est si loin », déplorait, au lendemain de l’annonce des résultats du premier tour, le site d’information Mourya, la Voix du Niger. Et pour cause, l’Afrique n’aura pas été particulièrement présente dans la campagne électorale française. Alors que le continent africain a largement occupé le mandat du président sortant Emmanuel Macron, les relations de la France et de l’Afrique seront, à n’en pas douter, au c?ur du prochain quinquennat. Mais sous quel angle les deux candidats qui s’affrontent pour le second tour dimanche 24 avril les abordent-ils ? Quelles sont leurs propositions ? Éléments de réponse.
Marine Le Pen, l’Afrique sous le prisme de l’immigration
Présente au second tour de l’élection présidentielle face à Emmanuel Macron, la présidente du Rassemblement national (RN) détaille peu, dans un programme centré autour de la question migratoire, ses ambitions à l’égard du continent. Les rares fois où l’Afrique est évoquée, elle l’est à travers le prisme des collaborations militaires. Et toujours pour défendre les « intérêts français ». Marine Le Pen projette par exemple, dans la partie consacrée à la Défense, de consolider les partenariats stratégiques avec le Tchad ? où elle s’était rendue en 2017 ?, le Niger, le Sénégal, le Togo, le Gabon ou encore le Maroc, la Libye et l’Égypte. « Dans chacun de ces pays, il sera repensé un schéma global ? diplomatique, militaire, armement ? de partenariat stratégique afin de leur donner la consistance et la cohérence qu’ils méritent », est-il écrit. Objectif de ces « alliances lointaines » : « démultiplier l’influence française dans les affaires du monde », poursuivre « ses intérêts », et « lutter contre le terrorisme islamiste où qu’il soit perpétré ».
Une ambition qu’elle poursuivait aussi en 2017. Durant cette campagne, Marine Le Pen avait en effet affirmé vouloir porter l’aide au développement à 0,7 % du PIB, non par solidarité, mais parce que « cet effort [?], en contribuant à la sécurité et à la prospérité des Africains, constitue le seul rempart efficace contre les menaces que sont les migrations massives et le terrorisme », avait-elle précisé à l’époque.
Les thèmes de la défense et de la sécurité abordés
Concernant l’opération Barkhane, la présidente du RN admet, dans une interview au Figaro le 20 février dernier, qu’elle sonne comme « un échec ». Elle avait pourtant salué en 2017 cette initiative. Tout en regrettant que les conditions de sécurité ne soient pas réunies pour le départ des soldats français, la candidate fustige la politique d’Emmanuel Macron qui, certes, « n’a pas décidé qu’on s’y installe » [l’opération Barkhane est le dernier volet de l’opération Serval entamée en 2013, sous la présidence de François Hollande], mais qui « aurait pu changer de stratégie depuis quatre ou cinq ans ».
Une proposition forte autour de la Francophonie
Le seul engagement tenu pour l’Afrique, au-delà des prismes militaires et migratoires, reste celui d’une Union francophone. Dotée d’un organe arbitral, d’une agence de promotion de l’industrialisation et d’une banque de développement, l’organisation servira, parallèlement « à la réforme radicale de la politique d’immigration », « une politique de codéveloppement et de respect avec l’Afrique francophone ». Son programme ne donne pas davantage de détails sur cette potentielle institution.
L’Algérie tient une place à part
Marine Le Pen n’a pas non plus abordé cette question lors de la conférence de presse donnée à Paris le 13 avril dernier sur le thème de la diplomatie et de la politique étrangère. Son discours, centré autour des intérêts franco-français, n’a quasiment pas fait mention de l’Afrique subsaharienne. En revanche, le Maghreb a eu une bonne place. La frontiste a assuré que le royaume du Maroc lui « était cher » et qu’elle n’hésiterait pas à « appuyer » la Tunisie, si son gouvernement « en fait la demande ». « Je souhaite nouer des relations amicales avec le peuple algérien », a-t-elle aussi indiqué. Avant d’agiter, une fois de plus, la prétendue menace migratoire. Marine Le Pen l’assure, si elle est élue, elle tiendra un discours « clair, décomplexé et lisible » à l’égard d’Alger sur la question des « ressortissants indésirables » algériens présents sur le sol français. Elle souhaite ainsi « conditionner tout nouvel octroi de visa au profit de ressortissants algériens, toute autorisation de transferts de fonds, toute acquisition de propriété en France par un dignitaire algérien, par la réadmission par les autorités consulaires algériennes en France ». Une politique, selon elle, « à l’inverse » de celle d’Emmanuel Macron jusqu’ici.
Un contre-pied qu’elle prendra aussi sur la question des mémoires. « S’il s’agit de réconcilier les mémoires en se flagellant devant l’Algérie qui ne cesse de réclamer des actes de repentance, moi, en ce qui me concerne, ce sera non », expliquait-elle sur France Inter le 18 mars dernier. Comme en 2017, où Marine Le Pen avait déclaré dans une interview au Monde que « la France [n’avait] pas à s’excuser pour cette période ». Pour rappel, son père Jean-Marie Le Pen a été accusé de nombreuses fois d’avoir commis des actes de torture alors qu’il servait dans un régiment parachutiste lors de la bataille d’Alger en 1957. Il a toujours démenti avoir perpétré lui-même ce type d’exactions, tout en affirmant que s’il en avait reçu l’instruction, il se serait « sans doute » et par « devoir » exécuté.
Emmanuel Macron, un bilan et des engagements
Le travail des mémoires est en revanche un des points principaux de la politique africaine d’Emmanuel Macron, réunis dans son programme sous le nom d’« agenda ambitieux entre l’Afrique et la France ». Depuis sa campagne de 2017, le « travail mémoriel » est un fil rouge de la politique du président français. Lors d’une visite en Algérie alors qu’il était candidat, il avait qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité » et même de « barbarie ». Durant son mandat, le chef de l’État a d’ailleurs commandé auprès de l’historien Benjamin Stora un rapport et des préconisations pour sortir de la paralysie mémorielle qui empoisonne la relation franco-algérienne. Certaines de ces préconisations devraient être appliquées si le président est réélu.
Emmanuel Macron a fait de même au sujet du Rwanda. Commandé en avril 2019 et livré en mars 2021, un rapport de la commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsis présidée par le professeur Vincent Duclert conclut à des « responsabilités lourdes et accablantes de la France ». Il écarte cependant la complicité de génocide.
Autre point de l’agenda présidentiel pour l’Afrique, la continuité des événements dédiés à la société civile africaine et à la prise de parole de sa jeunesse, comme le Nouveau Sommet Afrique-France organisé à Montpellier en octobre 2021. Le but ? « Renouveler les échanges » entre la France et l’Afrique. D’autres initiatives dédiées à l’entrepreneuriat et à la tech du continent, à l’instar de Choose Africa et Digital Africa, sont aussi au programme. Emmanuel Macron souhaite également dans les cinq ans à venir promouvoir la langue française dans le monde grâce à « l’expansion de la francophonie » et à « la stratégie lancée à l’Académie française en 2018 », sans plus de détails sur les finalités africaines de ce projet. Le dernier et quatrième point de cet « agenda ambitieux » soutient « une réponse juste et solidaire à la crise du Covid-19 en Afrique » [?] « avec l’initiative ACT-A, le soutien à l’Union africaine, le sommet de financement des économies africaines à Paris le 18 mai 2021, ou la fabrication de vaccins en Afrique du Sud ».
Un programme dans la continuité
Dans la partie de son programme consacrée à l’international, Emmanuel Macron revient très succinctement sur le retrait des troupes françaises au Mali, acté en février dernier. Plutôt que d’évoquer l’Afrique, le président-candidat préfère affirmer que, désormais, « les Français sont mieux protégés : la France agit avec détermination contre les groupes terroristes au Sahel, en Méditerranée et au Levant ». Ces prochaines années, Emmanuel Macron devra pourtant assurer le départ des troupes en toute sécurité, alors que les violences s’intensifient dans la zone. Le 23 mars, à Moura, près de 300 civils auraient été tués par des soldats maliens et des hommes blancs, selon les témoignages des rescapés. « Ces personnes décrivent toutes à la fois des soldats étrangers ainsi que l’armée malienne comme s’étant engagée dans des exécutions sommaires », a assuré Corinne Dufka de l’organisation Human Rights Watch Afrique de l’Ouest, à France Info. Il pourrait s’agir de membres du groupe de sécurité privé russe Wagner, qui se déploierait au Mali depuis déjà plusieurs mois.
Un nouveau mandat d’Emmanuel Macron sera aussi l’occasion pour le président d’aborder la question des visas pour les ressortissants du Maghreb. Les restrictions appliquées par le gouvernement ont suscité de vives réactions de l’autre côté de la Méditerranée. Le programme d’Emmanuel Macron souligne pourtant, avec une certaine satisfaction que « le nombre de visas accordés aux ressortissants du Maroc et d’Algérie a diminué de moitié. Il a diminué d’un tiers pour les ressortissants de Tunisie. »
Sur le volet économique, aucune mention des échanges franco-africains. Seule la réforme du franc CFA est mise en lumière, mais la manière dont celle-ci prendra forme n’est pas explicitée. Globalement, peu d’informations se détachent quant à la forme que prendront, ces cinq prochaines années, les relations franco-africaines. « Pour l’Afrique et l’insécurité au Sahel, pour le franc CFA et son avenir, pour la lutte contre la pauvreté, il faudra repasser », déplore ainsi l’Observateur Paalga. « Ou plutôt, dénonce le journal burkinabé, il faudra attendre que le nouveau locataire, ou le [président] reconduit à l’Élysée, se paie une visite d’affichage diplomatique [?] pour nous rejouer le disque rayé des promesses d’une rupture avec le paternalisme français ».
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