Alors que la menace djihadiste demeure latente, particulièrement dans les zones frontalières du Nord, la Côte d’Ivoire monte en puissance pour tenter d’éradiquer le phénomène. Le pays dirigé par Alassane Ouattara mise aussi bien sur la hausse de ses moyens militaires et juridiques que sur le dialogue social.
Fin janvier, le Premier ministre ivoirien, Patrick Achi, a annoncé le lancement d’un programme spécial pour l’insertion des jeunes dans les zones frontalières du Nord. Un budget de 8,6 milliards de francs CFA – 13,2 millions d’euros – a ainsi été alloué au projet, destiné à aider 20.000 jeunes issus des régions de Bounkani, Tchologo ou Poro, à trouver un emploi. En parallèle, l’Union européenne, à l’instar d’autres partenaires internationaux de la Côte d’Ivoire, participe à l’amélioration du dialogue intercommunautaire à travers le financement de projets. Après plus d’une décennie à combattre les groupes djihadistes au Sahel, les armées européennes comme africaines affichent ainsi leur volonté de s’attaquer aux racines du mal.
Si la Côte d’Ivoire n’a pas connu d’attaque majeure depuis celle de la station balnéaire de Grand-Bassam en 2016 – qui avait fait 19 morts – les groupes terroristes exercent une pression croissante sur les forces armées locales, particulièrement au Nord, à la frontière avec le Burkina Faso. L’armée ivoirienne a été la cible de plusieurs offensives lors des deux dernières années. La plus meurtrière d’entre elles remonte à juin 2020 à Kafolo, où 14 soldats sont tombés sous les balles djihadistes. Depuis, au moins une dizaine de militaires ont perdu la vie, soit au cours d’affrontements directs, soit victimes d’engins explosifs improvisés (EEI), déployés en nombre par les groupes terroristes opérant dans la région.
La recrudescence du danger terroriste en Côte d’Ivoire s’inscrit évidemment dans le contexte plus large du Sahel, où les groupes terroristes affiliés à Daesh et Al-Qaida ne cessent de sévir. Alors qu’elles avaient augmenté de 250% entre 2018 et 2020, le nombre d’attaques terroristes dans la région continue de croître, de l’aveu même du Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres.
Pour autant, l’alarmisme n’est pas de mise du côté des autorités ivoiriennes. Le Président Ouattara a fait état d’une situation «sous contrôle sur toute l’étendue du territoire national», lors de son discours sur l’État de la nation, le 19 avril dernier. Identifiée comme une zone à risque en matière d’incursions djihadistes, la forêt de Comoé, à la frontière burkinabè, fait l’objet d’une attention particulière de l’armée et des renseignements ivoiriens.
Hausse des moyens financiers et juridiques
Les autorités ivoiriennes ont entrepris des efforts considérables pour enrayer le phénomène djihadiste, depuis deux ans. À la faveur d’une militarisation accrue du Nord-Est – et d’une restructuration de ses unités de commandement dans la région, regroupées dans une entité unique – l’armée ivoirienne parvient à sécuriser de nombreux points stratégiques dans la lutte antiterroriste. Le recrutement de 3.000 soldats supplémentaires, tous dédiés à cette mission, a été annoncé fin avril.
En parallèle, le gouvernement a décidé de renforcer son arsenal juridique antiterroriste, en conseil des ministres, le 23 février dernier. Adopté à cette occasion, un projet de loi étend notamment la définition du terrorisme à «certains actes antisociaux» visant la police, la protection civile ou les services médicaux. Il prévoit également une aggravation des sanctions prévues pour ce type de faits, jusqu’à la prison à perpétuité.
Leadership régional
Dans le contexte du retrait programmé des forces françaises de l’opération Barkhane, la Côte d’Ivoire entend accroître son leadership en matière de lutte antiterroriste, à l’échelle régionale. Le pays a accueilli, en novembre dernier, le comité des chefs d’état-major des pays membres de la CEDEAO. En marge de l’événement, le ministre ivoirien de la Défense, Téné Birahima Ouattara, a fait part de la volonté de son pays d’intensifier «les opérations conjointes» entre les armées des quinze pays de l’organisation. La Côte d’Ivoire a, en outre, hébergé un exercice annuel d’opérations spéciales du Commandement des États-Unis pour l’Afrique (U.S. Africom), du 15 au 28 février dernier. Il visait à «renforcer les partenariats entre les organisations militaires et policières africaines, américaines et internationales», afin d’accroître «leur interopérabilité pendant les crises et les opérations», selon un communiqué de l’U.S. Africom.
L’installation, l’été dernier, d’une Académie internationale de lutte contre le terrorisme (AILCT) à Jacqueville, témoigne par ailleurs de la volonté ivoirienne de jouer un rôle dans l’«africanisation» des opérations. Lors de son inauguration, le Président Ouattara avait marqué son ambition de voir la structure devenir un «pôle régional d’expertise et de compétence […] au bénéfice de la stabilité» des États de la région. Son Premier ministre, Patrick Achi, avait souligné le besoin d’être «à l’avant-garde de la riposte ouest-africaine». Depuis, l’AILCT a formé plus de 500 militaires ouest-africains, notamment des forces spéciales encadrées par des commandos de la marine française. Elle a aussi intégré un institut de recherche stratégique, centré sur l’étude des dimensions sociales, politiques et économiques du djihadisme. Nouvelle preuve, s’il en fallait, d’une prise de conscience, par les États de la région, de la nécessité d’étendre le domaine de la lutte contre un phénomène complexe.
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