« Butterfly Vision », le nouveau film ukrainien présenté cette année à Cannes, s’est vu offrir un traitement de faveur avec l’organisation d’une manifestation autorisée contre la guerre en Ukraine. En toile de fond, la question du boycott des films russes continue de faire débat.
Pour marquer le coup, le Festival de Cannes avait donné son autorisation pour qu’une manifestation politique contre la guerre en Ukraine soit organisée lors de la montée des marches. Une protestation silencieuse au cours de laquelle l’équipe du film a déroulé une grande banderole noire, dévoilant le message : « Les Russes tuent des Ukrainiens. Trouvez-vous qu’il est offensant et dérangeant de parler de génocide ? »
À la fin de la séance, le public a longuement ovationné l’équipe du film, présente dans la salle. Derrière eux, des drapeaux ukrainiens ont été brandis en soutien.
Un soutien qui « réchauffe le cœur »
Nika Shova, réalisatrice ukrainienne installée en France, a, elle aussi, assisté à la séance. La jeune femme travaille au pavillon ukrainien, qui représente l’industrie cinématographique de son pays, et se félicite de l’accueil « très chaleureux » réservé par le festival à l’Ukraine.
« Les gens ont défilé chez nous pour nous demander comment ils pouvaient nous soutenir, nous et notre industrie. Tout cela nous réchauffe le cœur. La presse internationale nous a beaucoup soutenu et surtout c’était vraiment touchant de voir notre président à [la cérémonie d’] ouverture. Quand je l’ai vu, j’ai pleuré » explique-t-elle, émue.
Depuis l’ouverture du Festival de Cannes, marquée par le discours surprise, à distance, de Volodymyr Zelensky, l’Ukraine s’est imposée comme le thème majeur de l’événement. Alors que le pays est représenté en sélection officielle avec deux films, « L’Histoire naturelle de la destruction », de Sergueï Loznitsa et « Butterfly Vision », la guerre en cours est évoquée dans un troisième long métrage choc, « Mariupolis 2 », dont le réalisateur, le lituanien Mantas Kvedaravicius, est décédé durant le tournage, tué par les forces russes.
« On va penser beaucoup [à l’Ukraine] », avait affirmé Thierry Frémaux, quelques jours avant le festival. Si tout le monde s’accorde à dire que le délégué général du Festival de Cannes a tenu sa promesse, la présence du réalisateur russe Kirill Serebrennikov cette année sur la Croisette, continue quant à elle de faire grincer des dents.
L’affaire Serebrennikov
Depuis le début de la guerre en Ukraine, les soutiens européens et américains de Kiev ont imposé de lourdes sanctions à l’égard de Moscou afin d’isoler au maximum la Russie. Face à la multiplication des appels à boycotter les produits culturels russe, le Festival de Cannes avait choisi une autre voie en invitant le réalisateur Kirill Serebrennikov, qui a passé deux années assigné à résidence en Russie, avant de quitter le pays au début de la guerre.
Pour certains ukrainiens, la présence de cet habitué de la Croisette, qui a ouvert le bal de la compétition avec « La femme de Tchaïkovski », ne passe toujours pas. « Serebrennikov n’a pas soutenu l’Ukraine », s’indigne Nika Shova, la jeune réalisatrice ukrainienne. « Est-ce qu’on l’a vu à notre stand ? A-t-il pris des photos avec nous ? Non, il n’est même pas venu dire bonjour. »
Considéré comme un opposant au Kremlin, le cinéaste a, à plusieurs reprises, affirmé son opposition à l’invasion russe de l’Ukraine. « Nous nous battons pour la culture russe, la vraie culture russe, pas la propagande. Il s’agit de la vie humaine, de la fragilité de la vie humaine. Cette culture est contre la guerre », déclarait-il jeudi dernier, interviewé par France 24.
Mais pour Artem Koliubaiev, producteur et président du Conseil de l’industrie cinématographique ukrainienne, le réalisateur sert la propagande de Moscou. « C’est un faux opposant, lorsqu’il était assigné à résidence, il a pu continuer à tourner ses films. Puis, lorsque la guerre a éclaté, il a été libéré. Depuis, quand la Russie libère les dissidents en période de guerre ? C’est de la manipulation. De plus il ne dit rien sur Poutine. Il dit qu’il est contre la guerre… Mais tout le monde est contre la guerre, ce n’est pas un engagement ! »
Débat sur l’exclusion de la culture russe
Artem Koliubaiev milite pour un boycott total de la Russie y compris contre sa culture et sa langue. « Nous nous battons contre leur culture, car c’est par ce biais qu’ils justifient l’invasion de notre pays », souligne le producteur, en référence aux déclarations de Vladimir Poutine sur l’opération spéciale motivée par la défense des populations russophones en Ukraine. Une position partagée par la jeune réalisatrice Nika Shova, qui juge qu’au vu de la gravité de la situation, tout doit être mis en œuvre pour contrer le Kremlin.
En Ukraine, quelques rares voix s’élèvent pour défendre une approche moins radicale. C’est le cas du réalisateur Sergueï Loznitsa, présent cette année sur la Croisette. Je trouve la position du Festival de Cannes tout à fait appropriée », a-t-il estimé sur France 24 lundi.
« Toute délégation officielle représentant la Fédération de Russie représente un État fasciste. Pourtant, je ne suis pas d’accord pour exclure les auteurs, cinéastes et artistes russes qui sont contre cette guerre et qui, comme le reste du monde civilisé, essaient de lutter contre ce mal. Chaque artiste doit prendre sa propre décision. Mais je pense qu’ils doivent savoir qu’en acceptant un financement public, ils travaillent avec un État fasciste. Accepterais-je un financement de l’État russe si j’étais un réalisateur russe ? La réponse est bien sûr non ».
En mars 2022, le réalisateur avait été exclu de l’Académie cinématographique d’Ukraine pour sa prise de position en défense de la culture russe.
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