Des tissus humains cultivés grâce à une épaule de robot

Et s’il devenait possible de développer des cellules humaines grâce aux robots ? Un test a été effectué avec une épaule robotique sur laquelle était fixé un bioréacteur visant à « cultiver » un tendon, entraîné grâce aux mouvements du bras. Encore expérimentale, cette méthode pourrait permettre de créer des greffons adaptés pour les patients.

La déchirure des tendons de la coiffe des rotateurs est l’une des causes les plus fréquentes de douleur à l’épaule : elle concerne 25 % des plus de 60 ans. Bien qu’elle puisse être traitée par chirurgie, cela échoue dans 40 % des cas à cause d’une mauvaise cicatrisation. Mais une solution pourrait bien résider dans la création de greffons sur-mesure, développés grâce aux mouvements d’une épaule robotique.

L’ingénierie tissulaire, qui consiste en la création de substituts biologiques de tissus (peau, cartilage, muscles), a connu d’importants progrès depuis 20 ans. Une équipe de l’université d’Oxford, assistée par l’entreprise de robotique allemande Devanthro, a ainsi pu développer des cellules d’un tendon sus-épineux, le tendon reliant le bras à l’épaule. Expérimentale mais prometteuse, l’étude a été publiée sur Communications engineering le 26 mai 2022.

Des robots aux mouvements aussi fluides que les humains ?
En 2017, l’équipe propose d’utiliser un robot humanoïde musculosquelettique à taille réelle. Produits par l’entreprise Devanthro, ces robots visent à imiter le plus fidèlement possible la structure osseuse, musculaire et tendineuse de l’humain, mais aussi toute sa gamme de mouvements articulaires. Une partie du robot orignal a été modifié pour reproduire plus précisément la physiologie d’une épaule humaine, notamment grâce à l’utilisation d’un implant chirurgical d’épaule.

Toutefois, les bioréacteurs – systèmes qui simulent les cellules pour développer des tissus organiques – sont limités lorsqu’ils utilisent la robotique. D’abord, ils imitent mal les contraintes réelles subies par les tendons à cause de mouvements trop linéaires. La plupart des robots humanoïdes sont programmés pour réaliser des mouvements uni-axiaux (par exemple bouger le bras d’avant en arrière), mais sont moins capables de recréer les torsions et les rotations complexes que fait un bras humain en activité. Pour cette étude, les chercheurs se sont donc contentés d’observer la réaction des cellules à de simples mouvements d’adduction/abduction du bras robotique.

Une boîte de Pétri innovante
Pour fabriquer un bioréacteur flexible et adapté à l’expérience, 200 filaments de polycaprolactone (un matériau biocompatible) ont été utilisés pour imiter les fibres collagènes, qui composent à 90 % les tendons humains. Ici, l’objectif est de développer des cellules qui correspondent à celles du tendon sus-épineux, qui relie l’humérus (l’os du bras) à l’épaule. Les cellules ont donc été ensemencées sur ces filaments. Entouré d’une solide membrane de polyuréthane, la chambre de culture reste stérile. Ce bioréacteur présente l’avantage d’être souple pour s’adapter à tous types de mouvements du robot, mais aussi de pouvoir être attaché et détaché de l’épaule robotique sans compromettre la culture des cellules dans la chambre.

Toutefois, les chercheurs considèrent qu’utiliser un seul type de bioréacteur pour produire tous les tendons du corps n’est pas pertinente, car une simulation appropriée au rôle de chaque tendon est importante pour produire un greffon adapté. Grâce à des étirements cycliques, les cellules ensemencées sont entraînées à subir les charges et les torsions classiques d’une épaule. De fait, des signaux mécaniques pertinents pourraient améliorer la qualité des greffons produits. Ces mouvements sont cruciaux car, laissés inertes pendant une longue période, les tendons se dégradent. D’où l’intérêt de les « cultiver » en mouvement, et non de façon statique.

Les cellules expriment leurs gènes selon la charge qu’on leur impose
Après l’ensemencement, l’épaule robotique a enchaîné des séances de 30 minutes d’adduction/abduction, séparées de phases de repos sans mouvement. Les séances se faisaient soit à faible régime (vitesse du bras plus lente), soit à fort régime (vitesse du bras plus élevée). Au bout de 14 jours, les chercheurs ont observé que 255 gènes s’exprimaient différemment lorsque les cellules étaient soumises au régime fort, pour seulement 13 gènes exprimés différemment à régime faible. Cela montre que la charge et la force du mouvement influence directement l’expression des gènes dans les tissus, et donc que les cellules s’adaptent au type de charges subies par le tendon.

« Si elle réussit à faire croître des greffons tendineux, nous espérons que cette approche pourra être appliquée à d’autres types de tissus, comme les muscles », explique Pierre-Alexis Mouthuy, professeur associé au département d’orthopédie, de rhumatologie et de sciences musculo-squelettiques de l’université d’Oxford, à Sciences et Avenir. « Mais dans le cas du muscle, nous avons affaire à des besoins énergétiques plus élevés qui nécessiteraient un apport adéquat de nutriments au cœur du greffon – c’est un défi de l’ingénierie tissulaire qui n’a pas encore été résolu. Aussi, le ligament croisé antérieur (LCA) de l’articulation du genou pourrait être un autre tissu intéressant à explorer. Les blessures du LCA sont fréquentes, en particulier chez les jeunes actifs, et les réparations chirurgicales, généralement réalisées par autogreffe (tissu prélevé à un autre endroit du corps), échouent encore dans environ 15 % des cas. »

sciencesetavenir

You may like